12.5.18

GRANDEUR ET DÉCADENCE

La plupart des activités humaines connaissent des hauts et des bas. Il en va des iris comme du reste. C'est ainsi qu'après avoir exercé une autorité mondialement reconnue sur le monde des iris, la Grande-Bretagne connaît aujourd'hui un certain effacement dont on espère qu'il ne sera que passager.

Ainsi la Grande-Bretagne, considérée longtemps comme le premier pays des iris aura connu, en cent ans et un peu plus, une phase de gloire, entre 1900 et1930, et un lent déclin amorcé avec le déclenchement de la 2eme guerre mondiale et qui, sans doute, touche le fond maintenant.

L'âge d'or 

C'est intéressant de constater combien grande est la différence qui marque l'iridophilie anglaise par rapport au comportement des amis des iris ailleurs dans le monde. C'est ce que l'on constate à la lecture de la savante et remarquable analyse qu'a fait Clarence E. Mahan dans son ouvrage « Classic Irises and the Men and Women who created them ». Il y raconte l'histoire de chacun des grands personnages du monde des iris entre les tout débuts, vers la milieu du XIXe siècle, et le plein développement, au cours de ce que l'on a appelé les années folles (1920/30). Cela permet de constater qu'aux Etats-Unis comme en Europe continentale et même dans l'hémisphère sud l'approche a été principalement économique. Ferdinand Cayeux, Philippe de Vilmorin était d'abord des hommes d'affaires et ils ont orienté leur activité commerciale (avec une connotation artistique) vers les plantes qui les intéressaient. En Grande-Bretagne, même si la notion de profit n'est pas ignorée, on a eu affaire à des scientifiques, passionnés de fleurs et de jardinage, travaillant à parfaire ce que la nature avait créé.

En France, par exemple, les Lémon père et fils sélectionnaient des iris dont ils appréciaient la beauté mais dont ils voulaient avant tout faire commerce. En Angleterre, au même moment, Jonn Salter, homme de génie, se passionnait pour les plantes en général et pour les iris en particulier, et les variétés qu'il a hybridées, peu nombreuses, l'ont été principalement dans le but de créer des fleurs belles et fortes, même si il fallait bien faire des affaires : sa pépinière, baptisée « Versailles » en souvenir d'un séjour dans cette ville sous le règne de Louis-Philippe, était bien connue du tout Londres.

Mahan fait ensuite le portrait d'un groupe de pépiniéristes qui s'est distingué aux confins du XIXe et du XXe siècle. C'est la « bande des quatre » de l'époque : Peter Barr, Thomas Ware, Robert Parker et George Reuthe. C'est à eux que l'on doit le véritable essor de l'amélioration des iris et du commerce de ces plantes. Avec le recours à d'autres espèces que celles originaires d'Europe occidentale, comme 'Dalmatica', espèce méditerranéenne présente en Angleterre dès le milieu du 19eme siècle et affublée de diverses dénominations de circonstance dans les différents catalogues comme 'Princesse Beatrice', toujours présent dans les catalogues anglais. Pour ces pépiniéristes, les iris n'étaient qu'une des fleurs qu'ils avaient à vendre, parmi d'autres comme le jonquilles. Cela explique que la liste de leurs obtentions soit courte.

« Le nom de Sir Michael Foster brille plus qu'aucun autre dans l'histoire des iris des jardins du 19e siècle. Il a plus fait pour étendre notre connaissance du genre iris qu'aucune autre personne. Ses hybridations étaient principalement à but scientifique » (C. Mahan). C'est effectivement ce grand savant qui a placé son pays au firmament du monde des iris. Il s'est intéressé à toutes les catégories de cette plante mais si ses hybridations enregistrées sont restées peu nombreuses (une trentaine de TB seulement) plusieurs ont eu une importance considérable ('Kashmire White'- 1912, 'Mrs. George Darwin' – 1895, 'Nine Wells' – 1909, et, surtout, 'Amas' - 1885, qui fut le premier tétraploïde introduit en Europe).

Un autre grand personnage fut Amos Perry (1871/1953). Il fit ses premiers pas chez Thomas Ware avant de créer sa propre pépinière et de se lancer dans un vaste programme d'hybridation visant toutes les sortes d'iris et particulièrement les iris sans barbes (apogons), ce qui lui valut, en 1927, la Dykes Medal britannique pour 'Margot Holmes ' (1927). Les iris de Sibérie furent une de ses spécialités, mais il ne négligea pas les grands TB dont il enrichit le monde d'une centaine de variétés parmi lesquelles 'Black Prince' (1900), 'Belladonna' (1923),'Olive Murrell' (1924) ou, encore mieux, 'G.P. Baker' (1930).

Le nom de George Yeld est essentiellement connu pour son grand iris 'Lord of June' (1911), descendant de 'Amas', mais il s'était au préalable fait les dents avec des variétés diploïdes et il doit sa conversion à son amitié avec Michael Foster à qui il dédia l'une de ses meilleures obtentions 'Sir Michael' (1925).

On aborde ensuite le personnage de William Rikatson Dykes. Un monument des iris. Non pas tant par la qualité ou la quantité de ses hybrides, mais pour son inestimable bible « The Genus Iris ». Dykes est la démonstration de ce que je disais en commençant cette chronique : les hybrideurs britanniques sont plus intéressés par l'amélioration des iris que par les autres aspects de la question. Prenez l'exemple de 'Fulvala' (1916), croisement de deux iris Hexagonae et base des iris de Louisiane : espérer distribuer en Grande-Bretagne, en plein conflit mondial, une plante aussi peu rustique, ce n'est pas raisonnable, mais réaliser un croisement original et créateur, c'est un acte considérable et désintéressé ! Parmi ses quelques réalisations de grands iris, l'un des plus jolis me semble être 'Harmony' (1923).

Beaucoup moins connu est Arthur Fenton Hort. C'est encore un hybrideur de la période 1910/1930, et sa variété fétiche est certainement 'Ann Page' (1919) dont Clarence Mahan dit que c'est « l'un des premiers grands iris tétraploïdes à avoir acquis les faveurs du public des jardiniers ». Hort n'était pas un professionnel de l'iris mais plutôt un intellectuel, passionné de jardinage, professeur à Harrow, où il eut comme élève Winston Churchill.

La revue des grands hybrideurs britanniques des années 1920/30 s'achève avec Arthur J. Bliss. Tous ceux qui s'intéressent un tant soit peu aux iris connaissent (ou tout au moins ont entendu parler de) 'Dominion' (Bliss, 1917) car l'apparition de cette variété a été, comme l'écrit Clarence Mahan, « un événement révolutionnaire dans l'histoire des iris de jardin ». C'est ce que l'on a appelé « la révolution tétraploïde ». Arthur Bliss n'a jamais été certain des origines de son 'Dominion'. Il a longtemps cru que le parent femelle était un certain 'Cordelia', obtention de Robert Parker, mais il s'est aperçu que la variété qu'il avait utilisée comme s'appelant 'Cordelia' n'était sans doute pas la vraie. Le cas du parent mâle, 'Asiatica' est tout aussi sujet à caution. L'iris que Michael Foster avait baptisé 'Asiatica' avait été récolté en Turquie (un peu comme le fameux 'Amas') mais plusieurs iris cultivés comme étant 'Asiatica' se sont révélés comme étant en fait des variétés baptisées 'Kharput' ou 'Fontarabie', voire même 'Amas' en personne ! Quoi qu'il en soit, 'Dominion' est une pièce maîtresse de l'iridophilie moderne et ses gènes sont présents dans à peu près tous les iris contemporains. Car l'intérêt porté à son 'Dominion' a incité Bliss à en faire un usage intensif dans son programme d'hybridation, un véritable programme qui rapproche son comportement de celui de ses contemporains français ou américains et qui s'est prolongé jusqu'au début des années 1930 avec des variétés aussi connues que 'Cardinal' (1919), 'Bruno' (1922), 'Romola' (1923) et 'Grace Sturtevant' (1926), 'Hester Prynne' (1929) et 'Carfax' (1930).

Avec Arthur Bliss s'achève le tour d'horizon sur l'iridophilie anglaise de cet âge d'or que fut le premier quart du XXe siècle. Pendant cette période la Grande-Bretagne a été considérée partout dans le monde comme la grande nation des iris. Cette suprématie s'est matérialisée avec munificence par la création des différentes Médailles de Dykes que la British Iris Society a offert aux sociétés sœurs aux Etats-Unis, en France et en Australie et qui continuent de maintenir son influence, alors qu'au fil des ans, comme on va le voir, son importance s'est peu à peu éffilochée.
(à suivre...) 

Iconographie : 


'Princess Beatrice' 


'Kashmir White' 


'G.P. Baker' 


'Sir Michael' 


'Carfax'

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