17.11.17

DOMMAGES DE GUERRES

La passion des iris qui est née en France vers 1830 avec les fleurs sélectionnées par Guillaume-Marie de Bure, notamment à partir du plicata 'Iris buriensis', a quitté notre pays au moment de la guerre franco-prussienne de 1870. A l'époque c'est la pépinière de Nicolas Lémon, à Belleville, qui focalisait l'iridophilie chez nous. Mais, Paris occupée, la population affamée ne songeait plus guère à s'acheter des plantes d'ornement, et la famille Lémon a délaissé les iris. C'est en Grande Bretagne que l'intérêt pour les iris s'est alors développé. Peter Barr et quelques autres ont repris au point où ils l'avaient laissé le travail des Lémon. C'est à dire que les croisements étaient l’œuvre des bourdons, l'horticulteur se contentant d'effectuer les semis puis de choisir parmi ces derniers ceux qui lui semblaient présenter de l'intérêt. Ce n'est que vers 1890 que l'idée est venue, toujours en Grande-Bretagne, de réaliser des croisements manuels. A ce moment, adieu les insectes, le côté totalement artificiel de la création des iris a pris définitivement le dessus. Les promoteurs de ce changement étaient les britanniques Amos Perry et George Reuthe, ainsi que les associés allemands Goos et Koenemann. Mais au même instant chacun convenait que les iris nouveaux n'apportaient en fait plus aucune amélioration. Les iris étaient si beaux qu'il n'y avait plus rien à espérer... Un savant anglais, Michael Foster, passionné d'horticulture, qui avait essayé toutes sortes de croisements interspécifiques, en était lui-même arrivé à la conclusion que tout progrès était devenu quasi impossible sauf à découvrir de nouvelles espèces à croiser avec les anciennes.

C'est alors, comme s'ils répondaient au souhait de Foster, que des explorateurs botanistes rapportèrent du Moyen-Orient des iris, beaux, forts et bleus, que Foster et ses amis plantèrent et cultivèrent sans hésiter. Dans leur enthousiasme pour leur nouveau travail, ils oublièrent de noter les origines des plantes qu'ils utilisaient. C'est ainsi que, lorsqu'on s'aperçut de l'erreur au plan génétique, il n'était plus possible de retrouver la réalité biologique et qu'en quelque sorte, les plantes qui ont résulté de ces premières cultures furent considérées comme des espèces à part entière, auxquelles on donna sans vergogne des dénominations latines : I. cypriana, I. trojana, I. mesopotamica...

Des pépiniéristes français avaient à ce moment repris la culture des iris. Ils ont sans hésiter utilisé les plantes fabriquées par les anglais et cette opportunité leur a permis de rejoindre leurs voisins d'outre-manche dans l'évolution des iris de jardin. Ils s'appelaient Lionel Millet, Ferdinand Denis et Victor Verdier. Après la mort de ce dernier, c'est la Maison de graineterie Vilmorin-Andrieux qui a racheté le fond de commerce parce que son chef Philippe de Vilmorin avait dans l'idée de développer son activité par un volet de plantes d'agrément dans lequel les iris avaient une place évidente. Par cette action, Philippe de Vilmorin (aidé de son fidèle chef-jardinier, Séraphin Mottet) peut être considéré comme le père de l'iridophilie moderne en France. En effet la riche collection Verdier, certainement la plus belle de l'époque, avec ses iris tétraploïdes moyen-orientaux, a été la base du travail d'hybridation de la paire Vilmorin/Mottet qui a consisté à l'assemblage des qualités des grands iris de Turquie et de Syrie, malheureusement monochromes, et des teintes variées des variétés européennes. Ces événements se déroulent entre 1903 et 1917, date de la disparition de Philippe de Vilmorin.

Un événement infiniment plus dramatique allait se produire au cours de la même période : le début de la Première Guerre Mondiale. Le conflit a particulièrement touché la France et sa voisine et alliée la Grande-Bretagne. L'esprit n'était plus à la culture de plantes de jardin, et les moyens humains non plus. De sorte que parmi les dommages collatéraux de cette abomination, il y a le déclin de la culture des iris en Europe, et le transfert de la maîtrise de cette culture vers les USA.

Beaucoup moins éprouvés par les conséquences de la guerre, les Etats-Unis ont profité des malheurs des hybrideurs européens pour créer une véritable industrie de l'iris. L'engouement pour cette fleur a été très vif et très rapide dans une population dont le niveau de vie s'élevait à grande vitesse. Il a débuté sur la côte est puis, peu à peu, au fur et à mesure du développement de leur population, il a gagné les Etats du Middle-West, puis atteint, au-delà des Montagnes Rocheuses, les Etats de la côte ouest. Cette progression apparaît dans la liste des hybrideurs de l'époque. On trouve d'abord Grace Sturtevant, en Nouvelle-Angleterre, puis Bruce Williamson, dans l'Indiana, suivi des frères Sass, dans le Nebraska, de l'autre côté du Mississipi, enfin William Mohr et Sidney Mitchell, en Californie. Les iris sont désormais partout et en masse. Cela nous vaut le fait qu'aujourd'hui, et depuis les années 1920, la production et l'organisation américaines exercent une suprématie sur le monde des iris.

Bien sûr, après la guerre, les Européens ont redressé la tête, mais ils avaient perdu la main et ils ne l'on jamais regagnée. Même le règne de Ferdinand Cayeux, de 1920 à 1940, n'a pas réussi à revenir au premier rang. Pourtant ces vingt années ont été particulièrement glorieuses pour notre pays. On venait de partout admirer les iris de Ferdinand Cayeux et ceux-ci s'en allaient en Amérique, mais aussi en Nouvelle – Zélande et en Australie ! Les Etats-Unis s'étaient placés en leader au plan de la production et de l'organisation mais le génie était français. Cela n'a pas évité un nouveau déclin quand en 1939 notre pays a été de nouveau en proie à une guerre, encore plus destructrice et meurtrière que la précédente. René Cayeux, le fils de Ferdinand, n'a pas eu le loisir de s'occuper d'iris, il a davantage pensé à nourrir ses concitoyens en cultivant des plantes potagères !

Aux Etats-Unis, la période 1940/1945 ne semble pas avoir affecté la culture des iris et leur hybridation. Pendant ces années, même, des avancées majeures dans l'amélioration des iris sont survenues là-bas, alors que plus rien ne se passait en Europe. D'où un nouveau bond en avant de l'iridophilie américaine et un nouveau recul de l'activité iridistique de l'Europe. Dans les années 1950/1960, seul Jean Cayeux, le petit-fils, a repris le flambeau. Cependant ses meilleures obtentions datent des années 1970 et c'est à ce moment qu'on peut fixer une véritable reprise de sa place par la France. Même si Jean Cayeux était pratiquement le seul sur le marché.

A cause de trois guerres la France (et même l'Europe) a tenu le haut du pavé puis lourdement chuté. La puissance humaine, technique et commerciale des USA en a profité pour s'épanouir. Mais il en est du monde des iris comme du monde tout court. Après une domination outrancière, l'iridophilie américaine a cédé un peu de place à celle du reste du monde. L'Australie, avec l'appoint de sa voisine néo-zélandaise, s'est fait une jolie place, inventive et généreuse, la Russie et ses ex-satellites, partie de zéro en 1990, a rapidement rejoint la tête du peloton tandis que l'Europe de l'Ouest a repris sa marche en avant, et se distingue aujourd'hui par sa vivacité et la qualité de ses obtentions. Les guerres l'auront meurtrie et ruinée, mais elle n'ont pas détruit sa créativité.

Iconographie : 


'Madame Chéreau' (Lémon) 


'Nuée d'Orage' (Verdier) 


'Ambassadeur' (Vilmorin) 


'San Francisco' (Mitchell) 


'Jean Cayeux' (F. Cayeux) 


'Condottiere' (J. Cayeux)

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