13.10.17

OEUVRE AU NOIR

La nature sait très bien concevoir des fleurs toutes blanches, mais elle n'a pas de prédispositions pour en fabriquer des noires. Ce n'est pas étonnant. Il ne faut pas perdre de vue que la nature est essentiellement préoccupée par la reproduction. Elle met tout en œuvre pour permettre ou faciliter celle-ci. Les fleurs sont des organes sexuels et àce titre elles se doivent d'être séduisantes. Cette séduction concerne essentiellement les vecteurs de la reproduction, et particulièrement les insectes qu'il faut attirer absolument. Elles se mettent en quatre pour cette tâche. Et qu'y a-t-il de plus attirant que des couleurs vives, chatoyantes ? Le noir ne répond ps du tout à ce but : les insectes soit ne le distinguent pas, soit s'en détournent. Les fleurs noires n'ont donc pas lieu d'exister et celles des iris ne font pas exception à cette règle. Mais justement parce que cela n'est pas naturel, bien des hybrideurs se sont donné pour but d'obtenir des fleurs noires. Leur route a été semée d'embûches mais rien ne les a arrêtés ! Leur acharnement vaut celui des alchimistes qui ont régulièrement passé toute leur existence à tenter d'obtenir cette matière mythique, l'oeuvre au noir, cuisant et recuisant, distillant et redistillant leur mixture.

Pour nous limiter à l'essentiel, on peut dire, comme c'est raconté dans « The World of Irises », que l'oeuvre au noir chez les iris a eu trois initiateurs :

 - Le premier, et le moins connu, est le colonel Jesse Nicholls,. Cet officier supérieur était aussi savant en art militaire qu'en horticulture et en particulier en celle des iris. Son aventure commence avec 'Valor' (1932), un bitone aux sépales tirant sur le bleu noir. Nicholls, en bon horticulteur, a aussitôt tenté d'approfondir le côté sombre de son iris en le croisant avec un autre bleu-noir, 'The Black Douglas' (Jacob Sass, 1934). 'Black Valor' (1938) est le résultat de ce croisement. Comme il se doit c'est un bleu-noir profond. Fort de ce résultat, Jesse Nicholls a poursuivi en croisant de nouveau 'Valor' avec un descendant de 'Alcazar' et 'Souvenir de Mme Gaudichau'. Deux variétés bien sombres en ont été sélectionnées : 'Mata Hari' (1936) et 'Smolder' (1937). Unis, ces deux iris ont donné 'Storm King' (1939) décrit comme « A self color. Very deep blackish purple with red underglow » soit « Un iris unicolore, d'un violet-noir très profond, tirant sur le rouge ». Cet iris fut très admiré, comme en témoigne l'appréciation parue dans le Bulletin de l'AIS de l'été 1940 : « 'Storm King', is one of the smoothest and best dark iris I have ever seen », en français « 'Storm King' est un des iris sombres les meilleurs et les plus veloutés que j'ai jamais vu».
 - Passons à l'action d'un major de l'hybridation, Paul Cook. Son coup de génie, c'est d'avoir introduit les gènes de I. aphyla dans le patrimoine des grands iris. Il avait compris que ces petits iris de montagne avaient, entre autre, le pouvoir d'approfondir les couleurs et particulièrement celles des fleurs sombres. Cela lui a demandé plusieurs générations, mais un jour est apparu 'Sable' (1936) qui fut qualifié de « The Black Iris », dès qu'il fut commercialisé.Un nouveau pas était franchi.
 - Ce sont les Schreiner qui se situent sur la troisième marche du podium. C'est vrai chronologiquement, mais c'est peut-être la première marche qui devrait leur être attribuée. Ils ont eux aussi profité des aptitudes de I. aphyla puisque 'Dymia', la mère de 'Black Forest' est considéré comme provenant de cette espèce. « Ce 'Black Forest' (1944), en association avec 'Storm King' et 'Sable' forme le triumvirat qui est à la base de toute la recherche moderne sur les iris noirs » (The World of Irises).

Après ces premiers pas exaltants, la progression vers le noir vraiment noir a été poursuivie par Orville Fay à qui l'on doit 'Gulf Stream' (1945), puis, surtout, 'Black Hills' (1950), 'Total Eclipse' (1952) et 'Black Swan' (1960) ; chez ces quatre variétés sont rassemblés tous les cultivars cités au paragraphe précédent. Quelques autres ont suivi. Notamment Walter Luihn -'Dusky Dancer' (1966) -, Jim Gibson – 'Opening Night' (1969) - , Ben Hager – 'Basic Black' (1970) - , Gordon Plough -'Interpol' (1972) - , tandis que les Schreiner poursuivaient leur chemin – 'Tuxedo' (1964) - , 'Superstition (1977) - ,'Swazi Princess' (1978) -. Leur travail fut assez semblable à celui des alchimistes puisqu'il a consisté à renforcer la couleur et améliorer la plante par croisements successifs.

Les améliorations ont été surtout flagrantes au cours des années 1980 au cours desquelles sont apparus 'Black Madonna' (Stahly, 1984), 'Back in Black' (Schreiner, 1986), 'Blackout' (Luihn, 1986), 'Black Orpheus' (Schreiner, 1987), 'Before the Storm' (Innerst, 1988), pour n'en citer que quelques-uns. Aujourd'hui les hybrideurs américains ne sont pas loin d'avoir atteint une saturation du noir parfaite : 'Here Comes the Night' (Schreiner, 2009).

En France c'est essentiellement la famille Anfosso qui s'est collée à la tâche d'obtenir des iris noirs made in France, en appliquant les mêmes procédés que leurs confrères américains. 'Calamité' (1980) ('Basic Black' X 'Dusky Dancer'), 'Bar de Nuit' (1986) ('Calamité' X 'Superstition'), 'Draco' (1988) ('Calamité' X 'Storm Center') puis 'Nuit de Chine '(1993) ('Bar De Nuit' X 'Black Flag') et 'Nuit Fauve' (1994), frère de semis du précédent. Pour revoir des iris noirs français il faudra attendre longtemps, jusqu'à 2009... Il semble que le noir ne soit pas le coloris favori des hybrideurs français. Auraient-ils perdu l'espoir d'atteindre un jour la pierre philosophale ?

Iconographie : 


'Valor' 


'Black Hills' 


'Opening Night' 


'Back in Black' 


'Here Comes the Night' 


'Nuit Fauve'

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