28.7.17

CENT ANS DE PLICATAS

A plusieurs reprises j'ai expliqué ici que les iris plicatas provenaient de l'action d'un gène récessif inhibant le développement des pigments anthocyaniques dans les sépales – surtout – mais aussi dans les pétales. L'intervention, plus ou moins active de ce gène aboutit à l'infini variétés de la coloration des plicatas. Si on y ajoute l'action d'autres gènes, comme celui des amoenas, on multiplie encore la variété des aspects. 

Les hybrideurs ont créé une infinité de variétés plicatas. Nous partirons de 'San Francisco', la première variété ayant reçu la Médaille de Dykes, en 1927, et, à raison de quatre par semaine et par décennie, nous ferons un grand tour dans cette immense famille au cours des cent dernières années. 

VIII – 1990


 'Rebound' (Wilkerson, 1996) 


'Barn Dance' (Byers, 1991) 


'Desert Renegade' (Ernst, 1992) 


'Madeleine Spring' (Bartlett, 1998))

TROIS PETITS TOURS ET PUIS S'EN VONT

Faut-il s'étonner que le petit monde des iris soit soumis, comme le reste, aux phénomènes de mode ? Cela semble évident, tant il est vrai que certaines choses plaisent à un moment puis provoquent un mouvement de lassitude qui aboutit, si ce n'est à leur rejet, du moins à leur éloignement de l'actualité. On peut faire ce constat sur deux points exemplaires : les iris à éperons (autrement dit « spage-age » ou rostrata) et les iris aux couleurs brouillées (qu'on appelle aussi « broken color »).

Le temps des éperons 

On peut dire que c’est à Lloyd Austin, obtenteur installé dès 1925 en Californie, que l’on doit le démarrage de l’intérêt pour les iris à éperons. C’est d'ailleurs lui qui a inventé l’expression « Space Age » pour désigner ces nouveaux iris, leur attribuant du même coup une identité synonyme de modernité. Mais Manley Osborne, Henry Rowlan et quelques autres ont été parmi ceux qui ont repris le flambeau. Ensuite vint Monty Byers, qui a hissé le modèle au sommet de la hiérarchie mondiale, puis de nombreux autres comme George et Michaël Sutton, Tom Burseen, Jim Hedgecock, Larry Lauer, Paul Black, et Richard Tasco, aux USA de même que Graeme Grosvenor en Australie et Gérard Madoré, Bernard Laporte ou Richard Cayeux en France et aussi Ladislaw Muska en Slovaquie qui en a fait son principal thème de recherche. Tous ces hybrideurs, parmi les meilleurs, se sont engouffrés dans une voie qui leur a semblé prometteuse et susceptible de mettre en avant leurs aptitudes.

Au début les éperons n'étaient que de petites excroissances prolongeant timidement les barbes de certaines variétés, qui n'apparaissaient pas toujours sur toutes les fleurs, mais qui attisaient la curiosité des professionnels comme des amateurs. Peu à peu ces excroissances ont pris de la régularité et de l'importance : elles se sont allongées, grossies, diversifiées, se transformant pour certains en pétaloïdes extravagants. L'espoir était qu'elles transforment les fleurs d'iris comme se sont transformées certaines autres (roses, pivoines, œillets...) jusqu'à la situation de « flore pleno » comme on dit en latin botanique. Comme c'est généralement le cas, on est arrivé à des situations extrêmes, où l'originalité avait pris le pas sur l'élégance. Et l'on s'est aperçu aussi que ces énormes appendices provoquaient des tensions dans le tissu floral qui déformaient les sépales. Les clients se sont détournés de ces fleurs monstrueuses et les obtenteurs les ont délaissées. Aujourd'hui les outrances sont terminées, mais la recherche d'améliorations aussi et rares sont ceux qui mettent sur le marché des variétés nouvelles de ce qui fut un must pendant un temps. L'espoir de parvenir à des fleurs doubles s'est évanoui et si on voit apparaître souvent encore des « Space Age », c'est surtout en vue d'obtenir des fleurs à pompons, curieuses, mais encore pas au point. 

Voilà la bousculade 

Avec les iris aux couleurs brouillées, qui sont connus sous la dénomination américaine de « Broken Color » à moins que ce ne soit « Novelty », assiste-t-on à la même évolution ?

Ce n'est qu'aux confins des années 1970 qu'on a commencé à s'intéresser sérieusement à ces iris dont on ne sait toujours pas bien comment les appeler. Le premier de l'espèce réellement intéressant qui ait été enregistré se nomme ‘Doodle Strudel’ (Ensminger 1977), un iris bleu ciel, taché de bleu marine, descendant perturbé de ‘Stepping Out’. Son obtenteur avait longuement hésité avant de baptiser une variété de cet acabit : pendant des années il en a mis à son catalogue, sans les considérer comme des plantes sérieuses, les vendant comme des fantaisies tout juste bonnes à constituer des bouquets surprenants. Mais le succès commercial est venu et il s'est lancé pour de bon ! Vint ensuite le règne de Brad Kasperek. Ce dernier n’est pas parti du néant. Il a tout simplement utilisé les variétés d’Ensminger, notamment ‘Maria Tormena’ et ‘Painted Plic’, pour commencer sa nouvelle lignée. Dès le début, ses iris ont été remarqués, non seulement pour leurs noms qui allient assonances, calembours et évocations animalières, mais surtout pour leurs qualités et l’originalité de leurs coloris. Ces iris ne peuvent pas passer inaperçus. Ils ont incité quelques autres obtenteurs à se lancer dans l'aventure. Les plus chevronnés s'y sont mis et, à côté des BC façon Kasperek, un peu canaille, on trouve ceux façon Paul Black ou Keith Keppel, beaucoup plus raffinés. Cependant tous ceux qui se sont lancés dans l'aventure ont vite remarqué que, si l'on fait abstraction du mauvais goût qui guette dans cette production, la tâche n'est pas facile. Il y a beaucoup de déchet : plantes malingres, rabougries, fragiles… C’est d’ailleurs pourquoi il y a de très nombreux iris de petite taille (BB) dans la catégorie. Et certains hybrideurs font état de leurs scrupules quant à l'intérêt de banaliser des anomalies génétiques. Bref l'engouement est passé. Ce qui ne veut pas dire que l'on ne produit plus ce genre de fleurs, mais seulement qu'on se limite le plus souvent à des associations modérées des couleurs, ou à de nouveaux mélanges. Après le retrait de la famille Kasperek, deux ou trois jeunes hybrideurs se font connaître, tandis que quelques anciens continuent sur leur lancée, comme Donald Spoon ou Michael Sutton. Néanmoins on sent que l'enthousiasme n'y est plus...

 D'autres anomalies 

D'autres anomalies ont été exploitées au titre de la recherche de nouveautés, mais il n'y en a pas qui aient atteint un certain succès. Ce sont, entre autres, les « flatties », ces iris sans pétales. Ils sont peu nombreux et n'ont jamais eu de succès commercial. On peut aussi évoquer les iris dont la feuillage est coloré, soit de violet, à la base, soit de jaune ou de crème. D'accord, mais cultive-t-on les iris pour leurs feuilles ?

 En fait il semble que quel que soit l'accident génétique, l'exploitation qui en est faite n'a pas abouti à un succès populaire prolongé. Peut-être un jour en découvrira-t-on un qui, sans se presser, prendra rang parmi les formes normales. En attendant, ceux que l'on connaît n'ont guère fait plus que trois petits tours avant de s'éloigner.

Iconographie : 


 'Flounced Frivolity' (Austin, 1963) 


'Offa Chart' (Burseen, 2015) 


'Oghab' (Muska, 2006) 


'Isnt' This Something' (Ensminger,1992) 


semis Sutton 2017 


'Die Laughing' (P. Black, 2014)

21.7.17

CENT ANS DE PLICATAS

A plusieurs reprises j'ai expliqué ici que les iris plicatas provenaient de l'action d'un gène récessif inhibant le développement des pigments anthocyaniques dans les sépales – surtout – mais aussi dans les pétales. L'intervention, plus ou moins active de ce gène aboutit à l'infini variétés de la coloration des plicatas. Si on y ajoute l'action d'autres gènes, comme celui des amoenas, on multiplie encore la variété des aspects. 

Les hybrideurs ont créé une infinité de variétés plicatas. Nous partirons de 'San Francisco', la première variété ayant reçu la Médaille de Dykes, en 1927, et, à raison de quatre par semaine et par décennie, nous ferons un grand tour dans cette immense famille au cours des cent dernières années. 

VII – 1980 

'Capricious' (Hamblen, 1981) 


'Cozy Calico' (Schreiner, 1980) 


'Theatre' (Keppel, 1981) 


'Bama Berry' (Burch, 1984)

GLENN CORLEW

J'aime beaucoup les biographies et j'ai déjà rédigé celle de bon nombre de personnages du monde des iris. Il y a tellement de situations intéressantes, émouvantes ou cocasses dans la vie de tous ces gens qu'on n'est jamais déçu quand on essaie de la retracer. Cette fois nous allons faire connaissance avec Glenn Corlew, un hybrideur californien, né en 1921 et décédé en 2010. La chronique nécrologique publiée au moment de sa mort nous renseigne sur son existence, bien classique, mais qui comporte aussi quelques particularités. En voici l'adaptation :

« Glenn Corlew a grandi dans les collines de l'est de Fresno, sur un domaine créé par ses grands parents dans les premiers temps de la Californie. Plusieurs montagnes, lacs et canyons de la région portent le nom de différentes branches de sa famille. Glenn a servi dans la Marine pendant le deuxième guerre mondiale puis a repris ensuite ses études au Milligan College (dans le Tennessee) où il a reçu son diplôme d'Administration des Affaires en 1948. C'est aussi a Milligan qu'il a rencontré celle qui allait devenir sa femme, avec qui il a eu deux garçons, Curtis et Stuart Alan. 

Peu après l'obtention de son diplôme, Glenn a rejoint une entreprise de gaz et d'électicité de Californie où il a travaillé au Département des Constructions Nouvelles. Les iris sont entrés dans la vie des Corlew quand Mrs.Kimzey leur a donné une petite collection issue de son propre jardin, pour orner leur nouvelle demeure. Deux capsules naturelles se sont formées l'année suivante et c'est ainsi que la carrière d'un nouivel hybrideur a commencé. Le pas entre les hybridations naturelles et les croisements programmés a été franchi en 1955. A partir de là, jusqu'à l'introduction de 'Carolands' et 'Signature' en 1965 une grande quantité de semis a pris le chemin du compost. Glenn a pris une part active dans les affaires de la Région 14 de l'AIS ainsi que dans la Sydney B. Mitchell Iris Society et dans le Mount Diablo Iris Society. 

Glenn était bien connu pour ses photographies et il a gagné de nombreuses récompenses avec elles. Comme beaucoup d'hybrideurs il ne pouvaient pas s'empêcher de s'occuper de différentes choses et il a travaillé dans plusieurs groupes différents à côté de celui des grands iris. C'était aussi un éminent éleveur de canaris. Il a servi l'AIS de plusieurs façons , mais peut-être la plus importante a-t-elle été de rester son Trésorier pendant de longues années. Il a reçu la Distinguished Service Medal in 2000. » 

C'est un peu « fourre-tout » mais c'est un résumé somme toute fidèle. En ce qui me concerne, j'insisterai plutôt sur deux aspects de cette vie : l'hybrideur et le photographe.

Glenn Corlew ne fait pas partie des stakhanovistes de l'hybridation. Son carnet d'enregistrement est plutôt modeste, avec seulement 90 enregistrements, toutes catégories confondues. Ce sont en majorité des TB. La particularité de sa production est qu'elle concerne essentiellement des iris roses et, plus précisément, des iris rose pâle. La plupart d'entre eux a reçu au moins une récompense de l'AIS, preuve de ce qu'il s'agit de fleurs de qualité, bien nées et bien distribuées. D'ailleurs la renommée de plusieurs a réussi à traverser l'Atlantique et l'on a trouvé un certain nombre de ses iris dans les catalogues français des années 1980/1990. Ils se rencontrent donc toujours dans nos jardins. C'est ainsi le cas de 'Candelero' (1980), 'Cherub Choir', 1966, 'Descanso' (1995), 'Fortune Teller', 1983), 'Prominent' (1978), ou 'Storybook' (1978).

J'ai découvert aussi que Glenn Corlew était un excellent photographe. Ses gros plans d'iris (surtout ceux de ses propres obtentions, évidemment) sont particulièrement réussis et, d'ailleurs, ils feront l'objet, dans « Irisenligne » d'un prochain feuilleton.

Tous ces traits spécifiques font de Glenn Corlew un hybrideur remarquable, typique de ce que l'on rencontre dans ce petit monde qui regorge de gens intéressants.

Iconographie : 



'Candelero' 


'Cherub Choir' 


'Descanso' 


'Storybook'

14.7.17

LA FLEUR DU MOIS

‘GOING MY WAY’ (J. Gibson, 1972) . 

'Border Happy' X 'Stepping Out'. 

 Cette fois, c'est une variété qui n'a jamais figuré dans ma collection qui fait l'objet de cette « Fleur du Mois ». J'ai néanmoins choisi d'en parler parce qu'elle fait partie d'une série de plantes qui ont eu un énorme succès commercial mais qui n'ont pas connu la consécration de la part des « professionnels de la profession ». Il y a des années où la concurrence est vraiment sévère. Dans ce cas la moindre faiblesse, la moindre défaillance est fatale. C'est sans doute un de ces impondérables qui a perturbé la course aux honneurs de 'Going my Way' et fait que sa meilleure place pour la Médaille de Dykes a été la troisième, en 1979. Cette année là c'est 'Mary Frances' qui a triomphé et on ne peut pas dire que les juges n'ont pas eu la main heureuse parce que leur choix fut excellent, et même le seconde place revenue à 'Lemon Mist' n'a pas été usurpée. C'est malheureux pour 'Going my Way' mais cela ne l'a pas empêché de se faire une place de géant dans nos jardins.

Pourtant les années qui entourent l'enregistrement de 'Going my Way' ont été riches en variétés excellentes parmi les plicatas ; les acheteurs avaient le choix ! Des exemples ? 'Charmed Circle' (1969), 'Hey Looky' (W. Bown, 1970), 'Odyssey' (Babson, 1971), 'Rondo' (Schreiner, 1973), 'Modern Classic' (Knocke, 1975), 'Blue Staccato' (Gibson, 1977)... 'Going my Way' s'est ouvert un chemin que rien n'a entravé. Non seulement aux Etats-Unis, mais encore en Europe : je consultais récemment le catalogue Cayeux de 1992 et 'Going my Way' y avait encore sa place ! En Amérique, une bonne façon de savoir si un iris a eu du succès, c'est de vérifier le parcours qu'il a fait dans le Symposium compilé par l'AIS. 'Going my Way' y est apparu en 1975, à la 41eme place ; il a progressé régulièrement jusqu'à la 5eme place en 1982 ; après avoir plafonné entre les 8 et 10eme place entre 1983 et1989, il est encore 9eme en 1994, et il n'a disparu du Top 100 qu'après 2014 où il figurait encore au 56eme rang ! C'est une longévité qui démontre l'estime que le public lui a porté.

'Going my Way' est une application exemplaire de l'endogamie. Ses deux parents sont des plicatas violets. Côté maternel on trouve 'Border Happy' (Gibson, 1971), une plante qui n'a pas rencontré son public, mais dont les quelques descendants sont restés célèbres. Comme 'Blueberry Trim' (Gibson, 1973) ou 'Licorice Fantasy' (Gibson, 1985). 'Going my Way' a aussi un frère de semis, 'Bold Overture' (1973) resté dans l'ombre de son grand frère, et dont je n'ai pas trouvé de photo. Notons que parmi les ancêtres de 'Border Happy' figure le fameux 'Rococo' (Schreiner, 1959), un des plicatas les plus connus et riches en descendants. Côté paternel, c'est 'Stepping Out' (Schreiner, 1964) qui a été utilisé. Pour celui-ci, ultra-célêbre, on n'est pas certain de l'ascendance, ce qui a frustré plus d'un généticien de l'iris, mais on lui connaît une flopée de descendants. Son « « fils » 'Going my Way' lui ressemble comme deux gouttes d'eau : même les barbes sont pratiquement identiques (je pense même que dans bien des jardins, il y a des confusions qui se sont produites et que certains que l'on dit s'appeler 'Stepping Out' sont en réalité des 'Going my Way', ou vice-versa!).

Le succès commercial de 'Going my Way' n'a pas eu son équivalent en matière d'hybridation. La base de données « Irisregister » ne lui attribue qu'une quarantaine de descendants, et parmi ceux-ci ne figure aucune variété transcendante. On peut quand même citer 'Exotic Isle' (Plough, 1980), 'Graphique' (Mary Dunn, 1993) ou 'Sew It Up' (Hedgecock, 1997).

Jim Gibson est l'obtenteur d'un grand nombre de variétés exceptionnelles. Il fait partie du Top 10 des meilleurs hybrideurs de tous les temps. 'Going my Way' se situe parmi les iris les plus connus et les plus appréciés. Il doit cette réputation a son coloris d'un grande pureté, à sa vigueur parfaite et à sa prolificité. Cette réputation est amplement méritée et s'il est des variétés qui dureront dans le temps, il en est l'un des meilleurs exemples.

Iconographie : 


'Going my Way' 


'Rondo' 


'Rococo' 


'Exotic Isle'

CENT ANS DE PLICATAS

A plusieurs reprises j'ai expliqué ici que les iris plicatas provenaient de l'action d'un gène récessif inhibant le développement des pigments anthocyaniques dans les sépales – surtout – mais aussi dans les pétales. L'intervention, plus ou moins active de ce gène aboutit à l'infini variétés de la coloration des plicatas. Si on y ajoute l'action d'autres gènes, comme celui des amoenas, on multiplie encore la variété des aspects. 

Les hybrideurs ont créé une infinité de variétés plicatas. Nous partirons de 'San Francisco', la première variété ayant reçu la Médaille de Dykes, en 1927, et, à raison de quatre par semaine et par décennie, nous ferons un grand tour dans cette immense famille au cours des cent dernières années. 

VI – 1970 


 'Caramba' (Keppel, 1975) 


'Casino Queen' (Gibson, 1971)


 'Decolletage' (Hager, 1970) 


'Hey Looky' (W. Brown, 1970)

IRIS REMONTANTS : LE RETOUR ?

La recherche sur les iris remontants traverse aujourd'hui une crise parce que les progrès dans ce domaine marquent le pas, et que les adeptes de ces fleurs ne voient pas ce qu'ils pourraient faire pour déboucher sur un espoir d'avancée. La disparition récente, et prématurée, de Betty Ward Wilkerson, hybrideuse américaine de Scottsville dans le Kentucky, a créé dans cette communauté un vide d'autant plus grand qu'elle était un des meilleurs espoirs, et que son travail était un des plus productifs.

Obtenir des iris qui refleurissent tout au long de l'année, de façon fidèle et abondante, avec des fleurs jolies, solides et qui tiennent le plus longtemps possible, tel est le défi qu'ont tenté de relever des hybrideurs visionnaires ou avides de renouveau. Il est vrai que la saison traditionnelle des iris est courte, c'est un des handicaps de cette plante, et que réussir à la prolonger valablement serait quelque chose de passionnant. Il y a déjà longtemps que la recherche a commencé. Les progrès sont-ils à la hauteur des espérances ? Nous allons examiner la question au travers de l’œuvre de six grands spécialistes : Hans Sass, Percy Brown, Raymond Smith, Lloyd Zurbrigg, Betty Wilkerson et Mike Lockatell.

La culture des iris sous le rude climat du Nebraska n'est pas chose aisée, et les frères Sass, dans les années 1920, confrontés à cette difficulté, ont essayé d'y apporter une solution en tentant d'obtenir des plantes qui, après leur floraison normale, formaient de nouvelles fleurs à l'automne. Ils ont effectivement obtenu des variétés excellentes sous leur climat, et c'est attesté par cette phrase écrite par un de leurs émules Raymond Smith, en 1959 : « Les iris Sass, originaires du Midwest, sont sans exception des plantes rustiques et résistantes aux maladies. » Dans le genre, plusieurs variétés ont été des points de départ pour les travaux de leurs successeurs. C'est le cas, entre autres de 'Autumn King' (H. Sass', 1924), 'Flora Zenor' (J. Sass, 1941), 'Tiffany' (H. Sass, 1931) ou 'White Autumn King' (H. Sass, 1935).

Le docteur G. Percy Brown, contemporain des Sass, est un autre précurseur dans le domaine des remontants. Mais il a commencé par s'intéresser aux remontants diploïdes, comme 'Autumn Elf' (1933), avant de se convertir à la tétraploïdie. Il n'est parvenu à ses fins que dix ans plus tard, avec des iris comme 'September Sparkler' (1943), descendant à la fois de 'Autumn Elf' et de 'Autumn King', 'Autumn Twilight' (1948), 'Fall Primrose' (1953) ou 'Green Dragon' (1954). Avec cet hybrideur, la recherche en remontance a fait un grand pas en avant, mais deux difficultés restaient à résoudre : la consistance et l'apparence des fleurs, d'une part, la fiabilité de la remontance d'autre part.

La carrière de Raymond G. Smith, de Bloomington dans l'Indiana, a commencé au début des années 1960 et a duré une trentaine d'années. Toutes ses variétés sont des variétés remontantes. Il est parti des obtentions de G.P. Brown et a cherché à en supprimer les défauts, à savoir l'insuffisance de la matière des tépales, accompagnée de l'étroitesse des épaules, du manque de rigidité des tiges et l'irrégularité de la remontée. Il a fait des progrès en ces matières, et ses iris ont reçu un accueil commercial satisfaisant. Plusieurs ont été importés chez nous, comme le brun 'Brown Duet' (1971), l'orangé 'Returning Glory' (1971), le vrai jaune 'Summer Olympics' (1976) ou l'autre jaune (façon 'Bride's Halo') 'Lemon Duet' (1978). Ces variétés sont effectivement remontantes sous climats tempérés, mais les gros défauts signalés sur les iris de G.P. Brown sont loin d'être résorbés.

C'est parce que ses expériences avec les iris « normaux » avaient été décevantes dans son pays d'origine, le Canada, que Lloyd Zurbrigg s'est intéressé aux remontants. Il en a fait l'oeuvre de sa vie. Ses premières hybridations ne l’ont pas totalement satisfait. Mais Paul Cook l’a encouragé à persévérer. C’est ce qu’il a fait, après son installation en Virginie. Il considérait que son premier iris vraiment valable était 'Grand Baroque' (1969). Il s’agit d’un amoena jaune pâle, avec des traces de mauve sur les sépales ; pas une variété qui attire l’œil, mais un iris à fort potentiel génétique. D’ailleurs Lloyd Zurbrigg l’a utilisé largement à cette fin. Des variétés aussi connues que 'Baroque Prelude' (1974) et son frère de semis 'I Do' (1979), ainsi que 'Earl Of Essex' (1980), 'English Cottage' (1976), 'Latest Style' (1979), 'Spirit Of Memphis' (1977), 'Youth Dew' (1976) ou 'Immortality' (1982) en sont des descendants. Il a également utilisé largement des variétés comme 'Gibson Girl' (Gibson, 1946), issu des travaux des frères Sass, 'Autumn Sensation' (G.P. Brown, 1961) et 'Replicata' (R. Smith, 1966). A-t-il résolu les problèmes structurels des remontants ? Pas sûr ! Néanmoins son chef d’œuvre, 'Clarence' (1990) est une réelle avancée.

Betty Wilkerson s'était promis d'aboutir à un progrès palpable. Il est certain qu'elle n'en a pas eu le temps. Elle avait conscience des faiblesses récurrentes des remontants et elle voulait lutter contre. Son premier objectif était d'obtenir des iris dont la remontance serait plus fiable et plus constante. Les remontants issus des régions américaines au climat doux ou méditerranéen atteignent souvent ce résultat (voir le remontants de Monty Byers, autre grand du microcosme), mais ceux créés sur des terres plus ingrates se montrent plus irréguliers. Betty Wilkerson était en voie de réussir sur ce point. Ses variétés 'Another Bridge' (2002), 'All Revved Up' (2005), 'Just Call Me' (2008), 'Cool Character' (2012) ou 'Summer Honney' (2012) en sont les exemples. Elle s'est malheureusement arrêtée en cours de route.

Reste le cas de Mike Lockatell. C'est un homme qui se bagarre depuis toujours pour des remontants en tous points comparables aux « monoanthésiques ». Il n'en est encore qu'au début de son travail et il est encore bien tôt pour parler de réussite ou d'échec. Mais il a déjà constaté que les iris remontants intéressent de moins en moins les hybrideurs, et il attribue cette perte d'intérêt au fait que les progrès tardent à apparaître. « Après beaucoup d'optimisme au cours de la dernière partie du XXe siècle, écrit-il, les avancées dans le développement des iris remontants semblent toujours aussi rares ». A son vis, quelque peu lassés, les plus ardents chercheurs sont devenus bien discrets et à l'heure actuelle on constate un net désintérêt pour la question. Lui-même, fidèle disciple de Lloyd Zurbrigg, avoue son désarroi : « Qui sera le successeur des Percy Brown, Raymond Smith ou Lloyd Zurbrigg ? » interroge-t-il. Il est peut-être un peu trop pessimiste, mais néanmoins il n'est pas certain que les iris remontants soient actuellement sur le retour au premier plan.

Iconographie : 


'Autumn King' 


'Summer Olympics' 


'Baroque Prelude' 


'Another Bridge'

7.7.17

CENT ANS DE PLICATAS

A plusieurs reprises j'ai expliqué ici que les iris plicatas provenaient de l'action d'un gène récessif inhibant le développement des pigments anthocyaniques dans les sépales – surtout – mais aussi dans les pétales. L'intervention, plus ou moins active de ce gène aboutit à l'infini variétés de la coloration des plicatas. Si on y ajoute l'action d'autres gènes, comme celui des amoenas, on multiplie encore la variété des aspects. 

Les hybrideurs ont créé une infinité de variétés plicatas. Nous partirons de 'San Francisco', la première variété ayant reçu la Médaille de Dykes, en 1927, et, à raison de quatre par semaine et par décennie, nous ferons un grand tour dans cette immense famille au cours des cent dernières années.

 V – 1960 

 'April Melody' (Gibson, 1965)


 'Da Capo' (Zurbrigg, 1968) 


'Radiant Apogee' (Gibson, 1964) 


'Ribbon Round' (Tompkins, 1963)

AU PLUS JUSTE

En anglais de jardin pour décrire des fleurs un peu raide d'apparence on dit qu'elles sont « tailored », un mot qu'il n'est pas facile de traduire puisque il signifie « ajusté » ou « sur mesure », ce qui ne correspond pas exactement au sens qui est le sien en matière horticole. Usons plutôt d'une périphrase et disons qu'il s'agit de fleurs qui semblent découpées dans un tissu un peu lourd et qui, de ce fait, ne présentent ni frisures ni ondulations. Lawrence Ransom avait une préférence pour elles tout comme pour celles qui sont dites « dainty » ou « mignonnes » à cause de leur aspect délicat et de leurs dimensions modestes. A l'heure qu'il est elles paraissent un peu démodées et l'on admire plutôt celles qui présentent de nobles ondulations ou bien s'agrémentent de bords comme déchiquetés, à moins qu'on ne s'extasie carrément pour des pétales bouillonnés comme les dessous d'une robe de danseuse de french-cancan.

Ce n'est pas cet aspect qui était celui des fleurs d'iris des premiers âges, mais bien plus cette allure rigoureuse, plus proche de la destination naturelle des pièces florales, à savoir attirer et accueillir les insectes pollinisateurs. La nature cependant avait également songé à ce que ces iris aient une certaine grâce plaisante à l’œil humain. Les pétales se recourbaient en un berceau protecteur des organes reproducteurs, tandis que les sépales, rétrovertis, offraient aux bourdons une piste d'atterrissage solide et un accès facile au nectar caché au cœur de la fleur. De fait les premiers hybrideurs ne cherchaient pas à modifier la forme de la fleur. Il en est même qui rejetaient systématiquement tout semis présentant une allure hors de l'habituel. Ce n'est qu'à la fin des années 1930, c'est à dire environ cent ans après les premières sélections horticoles d'iris, que certains on trouvé de l'intérêt pour les fleurs ondulées ou laciniées. L'apparition de 'Snow Flurry' (Rees, 1939) a été déterminante en ce domaine. C'est à partir de cette variété que les fleurs ondulées ont été acceptées et même recherchées, de même que c'est à partir de 'Chantilly' (Hall, 1943) que les bords frisés ont eu du succès. Peu à peu ondulations et crêpelures sont devenues des éléments incontournables, et certains, en mal d'originalité, ont sélectionné des fleurs de plus en plus gaufrées allant jusqu'à ces bouillonnés dont il a été question un peu plus haut.

Au début de l'hybridation, donc, les fleurs « raides » étaient les seules : regardez 'Jeanne d'Arc' (Verdier, 1907), ce joli plicata. Cette apparence a persisté longtemps : voyez 'Angelus' (Egelberg, 1937), qui a trente ans de moins. Et cela se poursuit encore pendant bien des années. C'est le cas pour 'Three Oaks' (Whiting, 1940), tout comme pour 'Singar' (Cayeux, 1946) et même pour 'Fairy Rose' (Schreiner, 1964). Toutes ces plantes maintiennent la tradition de la fleur 'tailored ». Pour les variétés anciennes, c'est quelque chose d'inévitable. Pour 'Fairy rose', c'est peut-être une coquetterie, mais il faut bien reconnaître aussi que la famille Schreiner est plutôt du genre conservateur !

Cela dit, dans certains cas, l'obtention d'une fleur à la fois de couleur foncée et comportant des ondulations est restée longtemps très difficile. Prenez le cas de 'Congo Song' (Christensen, 1961) et même de 'Patent Leather' (Schreiner, 1971) qui sont deux iris violets presque noirs et qui conservent l'apparence des variétés plus anciennes. Ce n'est que dans les années 1980 et plus tard que les ondulations ont fait leur apparition sur les iris noirs'. D'ailleurs les fleurs brun-rouge sont à peu près dans le même cas.Les exemples sont nombreux. Ainsi 'Gypsy Jewels' (Schreiner, 1963) ou 'Copper Mountain' (Schreiner, 1978).

En dehors de l'ancien temps, il existe des obtenteurs qui, comme Lawrence Ransom, apprécient les fleurs sans ondulations. J'ai remarqué que c'était souvent le choix de Mont Byers. 'Be Mine' (1985) fait partie de ces iris « tailored », de même que 'Winesap' (1988) qui a fait une brève apparition dans mon jardin.

Même chez les plus grands il arrive que des variétés « tailored » soient encore sélectionnées. Témoin, ce 'Skye' (Blyth, 1988) qui prend un air « à l'ancienne » pas du tout désagréable. Enfin il n'y a pas de doute que Lawrence Ransom a mis en application la forme qu'il appréciait. On peut le voir avec 'Ultimatum' (1993), comme avec 'Parfum de France' (1999) ou encore avec 'En Douceur' (2006).

Les fleurs qui ne présentent ni ondulations ni frisures sont devenues rares. Les hybrideurs, et encore plus leurs clients, donnent aujourd'hui la préférence aux bouillonnés et même aux bords crêpés, même si parfois l'excès de ces ornements contrarie l'épanouissement des corolles. Cependant les meilleurs savent raison garder et proposent des iris gracieusement « ruffled » qui sont autant de preuves d'élégance et de bon goût.

Iconographie : 


'Jeanne d'Arc' 


'Angelus' 


'Patent Leather' 


'Copper Mountain' 


'Be Mine' 


'Skye' 


'En Douceur'

ECHOS DU MONDE DES IRIS

En Lituanie 

Laimonis Zakis, hybrideur lituanien, publie son premier catalogue. Destiné essentiellement à la clientèle de son pays, Zakis offre à la vente des iris internationaux, donc dûment enregistrés, mais aussi certaines de ses propres obtentions qui, elles, ne le sont pas. Je n'arrête pas de dire que mettre en vente des variétés non enregistrées est une erreur car cela provoque nécessairement un risque de confusion. Il est regrettable que L. Zakis n'ait pas compris ça...

En Bretagne 

Le catalogue de notre ami Jean-Claude Jacob « Iris de la Baie » est également sorti. Plusieurs variétés « maison » sont d'une apparence et d'un coloris remarquables. Mais là aussi il y a des variétés non enregistrées proposées à la vente...