12.5.17

NEANDERTAL

Tout le monde connaît aujourd'hui l'extraordinaire destin qui fut celui des hommes de Neandertal. Voilà des être humains robustes, intelligents, largement (pour l'époque) répandus à travers le monde européen, qui en quelques temps ont disparu. Les spécialistes hésitent encore sur les causes de cette disparition, et ils semblent admettre qu'ils n'ont pas été en capacité de s'adapter aux transformations de leur environnement et, nettement moins nombreux que les autres hommes avec qui ils partageaient le territoire, ils ont été génétiquement absorbés par ces derniers. Adieu donc àux hommes de Neandertal... C'est un peu la même mésaventure qui est survenue dans le monde des iris avec les amoenas des premiers temps. A cette époque – c'est avant les années 1940 - , obtenir un amoena n’était pas chose aisée car non seulement les croisements à partir d’autres amoenas n’étaient pas très fertiles, mais encore les graines germaient mal et les jeunes plantes avaient du mal à se développer. C’est Jesse Wills, hybrideur de Nashville dans le Tennessee et véritable génie, qui a fait cette remarque. Il a écrit :  « Les croisements entre amoenas, et même entre amoenas et les autres bicolores sont difficiles à réussir ; de plus le taux de germination des graines ainsi obtenues est inférieur à la moyenne. Quant au développement des plantules, il est lent, surtout la première année, ce qui retarde encore la floraison, de sorte que l’on doit souvent attendre la seconde, voire la troisième année, pour porter un jugement sur les iris provenant de ces hybridations. » Il ajoute, d’après ses constatations, que le blanc des pétales est un caractère récessif, et que « si les chances d’obtenir un amoena sont d’une sur trente-cinq, combien petite sont-elles quand seulement cinq ou six semis provenant d’un croisement peuvent pousser et fleurir »(1). Il a convaincu d’autres hybrideurs, dont son voisin Geddes Douglas, de Brentwood (Tennessee) et le Docteur L. F. Randolph, d’Ithaca (New York), d’entreprendre une recherche sur le sujet. Un grand nombre d’hybrideurs, tant aux Etats Unis qu’ailleurs dans le monde, ont participé à cette expérience. Pour la Convention de l’AIS qui s'est tenue à Nashville, en 1948, de très nombreux semis expérimentaux étaient en fleur. Le semis le plus remarqué était issu du croisement d’un semis de Paul Cook par le produit de 'Wabash' et d’'Extravaganza'. Il a été baptisé par Geddes Douglas, son obtenteur, 'Bright Hour'.

 'Bright Hour' a été enregistré en 1949. Il a été aussitôt commercialisé et a reçu un accueil formidable des amateurs d’amoenas comme du public en général. Par rapport à son « grand-père » 'Wabash', il présente l’intérêt de ne plus être strié sous les barbes, et le ton de violet des sépales est plus vif. Par ailleurs, comme il se doit, la fleur est mieux proportionnée, avec des sépales plus ronds et plus dressés. 'Bright Hour' n’a cependant jamais obtenu la récompense suprême, c'est certainement une injustice, mais il faut bien reconnaître que, malgré son succès commercial, les problèmes de fertilité et de germination constatés avant son apparition n'ont pas été résolus et il n'a pas eu de véritable descendance : à peine deux variétés enregistrées dont une seule a laissé une trace dans l'univers des collectionneurs. Ce descendant remarquable, c'est 'Repartee' (C. & K. Smith, 1966), curieux amoena blanc crémeux et rouge sang de bœuf que l'on trouve toujours dans nos jardins pour son coloris exceptionnel. Ainsi la lignée des amoenas issus de 'Wabash' et de 'Bright Hour' s'est-elle éteinte, comme ce fut le cas pour celle des premiers hommes des cavernes.

 Mais on sait que le modèle amoena n'a pas subi le même sort. Et ce sauvetage a eu pour cause les travaux de Paul Cook et de ce qui s'est passé à partir de l’apparition de ‘Progenitor’. De cette plante insignifiante sont venus ‘Melodrama’ (Cook, 1956), ‘Whole Cloth’ (Cook, 1957), ‘Emma Cook’ (Cook, 1957), ‘Miss Indiana’ (Cook, 1961) et d'autres d'immense valeur qui nous valent de disposer aujourd'hui d'un panel pratiquement infini d'iris amoenas et bicolores, qui ne présentent aucune difficulté à s'hybrider et à se développer. Ce n'est cependant pas à Paul Cook lui-même que l'on doit la brillante multiplication du modèle amoena. Pour une raison qui n'appartient qu'à lui il a laissé à d'autres la mission qu'il avait initiée.

Le travail de ces heureux successeurs est parti essentiellement de ‘Whole Cloth’, celui des trois principaux descendants de ‘Progenitor’ qui est le plus franchement proche du modèle. On peut donc dire que la succession dans le développement du modèle amoena s'établit à partir de 'Wabash', a atteint une apogée avec 'Bright Hour', puis s'est éteinte malgré les efforts de certains comme Catherine et Kenneth Smith, jusqu'à renaître grâce à Paul Cook et son 'Whole Cloth', pui, à partir de là, s'est considérablement étendue, jusqu'à ce que les amoenas deviennent l'un des modèles les plus courants et les plus jolis, comme le délicat 'Sea Cruise' (Keppel, 2012).

La comparaison avec ce qu'il est advenu des hommes de Neandertal puis des « homo sapiens » me parait tout à fait judicieuse.

(1) traduction de Richard Cayeux in "L'Iris, une fleur royale".

 Iconographie : 


 'Bright Hour' 


'Repartee' 


'Whole Cloth' 


'Sea Cruise'

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