19.5.17

LES NOMBREUSES VIES DE JESSE WILLS

Il est bien des gens qui se lèvent le matin en bâillant à la pensée d'aller au travail, et qui se dépêchent de rentrer chez eux le plus tôt possible, pour se vautrer sur leur canapé devant la télévision. Ce n'est pas sur ce ton désabusé qu'il faut parler de Jesse Wills, celui que l'on peut qualifier sans exagérer d'homme le plus extraordinaire du monde des iris. J'ai rédigé à son sujet une page biographique publiée dans Irisenligne il y a trois ans, mais les recherches que j'ai faites à propos de cet homme m'ont tellement marquées que j'éprouve aujourd'hui le besoin de revenir sur son histoire.

La seule chose que Jesse Wills n'ait pas totalement réussie dans son existence, c'est de vivre vieux. Mais est-ce un échec ? La vieillesse est-elle un moment tellement souhaitable ? On peut avoir des doutes là-dessus. En tout cas Jesse Wills s'est éteint à l'âge de 78 ans, sans avoir eu le temps de perdre la plus grande partie de ses aptitudes. Jusqu'à ce triste mais inévitable instant la vie de ce personnage avait été absolument exceptionnelle.

Ce fils d'une vieille famille de Nashville (Tennessee) était doué pour tout ! Après de brillantes études secondaires, il entra à l'Université Vanderbilt, établissement de grand renom qui fait la gloire de Nashville, pour y poursuivre des études littéraires. Il y acquiert vite une notoriété particulière en raison de ses dons pour la poésie. Il fait partie d'un petit groupe d'étudiants d'élite qui s'était baptisé « les Fugitifs » où l'on rencontre plusieurs noms d'écrivains et de poètes qui sont très connus aux États-Unis, comme Robert Penn-Warren ou Allen Tate. C'est en quelque sorte l'un des piliers du « cercle des peètes disparus » ! Selon ses condisciples il aurait pu devenir un des meilleurs poètes de son pays, mais il fut contraint de choisir un travail pour subvenir aux besoins de sa famille à cause de la maladie de son père et il décida de ne conserver la poésie qu'à titre de loisir et d'entrer dans une compagnie d'assurance, National Life. Parti du bas de l'échelle, il en gravit tous les barreaux jusqu'à en devenir, en 1965, le Président Directeur Général et en faire l'une des premières compagnies d'assurance des Etats-Unis. Bien des hommes, et des plus doués, auraient pu se contenter de cette activité, mais pas lui. Il créa une station locale de radio et de télévision, c'était dans le vent à cette époque. Entre les mains de Jesse Wills une affaire pareille ne pouvait pas se limiter à de petites émissions provinciales. Sa chaîne devint le foyer principal de la musique « country », spécialité du Tennessee, et atteignit avec ça une renommée nationale. On parlait de Dysneyland et des parcs d'attraction ? Il fut à l'origine du premier parc de ce genre dans l’État, du Tennessee, Opryland. Il prit des responsabilités dans la direction de l'Université Vanderbilt dont il fit l'une des plus réputées des USA, ouvrit un hôpital pour enfants, fut l'initiateur du plus grand musée du Tennessee, anima la Société locale de Cardiologie et la section locale de la Croix-Rouge, fit de la vieille église presbytérienne de Nashville la plus importante de la ville, développa la bibliothèque de l'Université et dirigea son club de football !!

Mais tout ceci n'était pas suffisant ! Dès son plus jeune âge il s'était pris d'intérêt pour l'histoire des Indiens et il devint un des spécialistes de cette question, publiant plusieurs ouvrages dont une somme essentielle, « Meditations on the American Indian » . L'ornithologie était aussi parmi ses pôles d'intérêt. Dans ce domaine comme dans le reste il acquit une connaissance du sujet qui faisait référence.

Tout ceci dépasse déjà tout ce qu'un homme normal peut accumuler comme activité et comme succès. Mais il faut y ajouter la belle et heureuse famille qui fut la sienne, …et la coquette fortune qu'il s'est arrondie. Enfin n'oublions pas – et c'est la raison pour laquelle on parle de lui ici - que comme pour les oiseaux, il s'est passionné pendant plus de 45 ans pour les iris et, bien entendu, a pris une place prépondérante parmi les animateurs de l'AIS, jusqu'à en devenir le Président dans les années 1940. A ce titre il décida de mener une réflexion sur les iris amoenas et les difficultés rencontrées pour leur hybridation et leur culture, réflexion qui aboutit à l'apparition de 'Bright Hour' (G. Douglas, 1948). Il faut encore ajouter que, mettant régulièrement son tablier de jardinier, il trouvait le temps de pratiquer l'hybridation, allant jusqu'à obtenir des iris aussi superbes et célèbres que 'Chivalry' (1943) – qui triompha dans la course aux honneurs en 1947 – 'Glacier Gold' (1964), ou 'Natchez Trace' (1969).

 Il ne doit pas y avoir grand monde pour imaginer de connaître une existence aussi remplie, riche et réussie que celle de cet homme. Elle fut à ce point foisonnante qu'il est préférable de ne pas en conclure qu'il n'en a connu qu'une seule, et de parler plutôt des nombreuses vies de Jesse Wills.

Iconographie : 


Couverture de « Fugitives », anthologie réalisée par J. Wills en 1928 


'Chivalry' 


'Glacier Gold' 


'Natchez Trace'

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