3.3.17

DE LA SAISONNALITÉ ET DE SES CONSÉQUENCES

On entend souvent les amateurs d'iris se plaindre de la brièveté de la saison de leurs fleurs préférées. Les hybrideurs ont donc essayé de prolonger celle-ci en proposant des plantes dont la période de floraison était soit en avance par rapport à la saison normale, soit, au contraire, en retard de quelques jours ou de quelques semaines. On en est arrivé aujourd'hui à distinguer sept périodes de floraison dans lesquelles les différentes variétés sont classées. C'est ainsi que l'époque de floraison des grands iris commence avec les fleurs Très Hâtives. Suivent les fleurs dites Hâtives, puis les Moyennement Hâtives, les fleurs de Mi-Saison, celles Moyennement Tardives, les Tardives, et enfin les Très Tardives. Avec cet étalement on arrive à avoir une floraison qui dure au moins six semaines. Chez moi, en Touraine, cela veut dire en moyenne du 25 avril au 10 juin.

 Les réjouissances commencent donc par les iris dits Très Hâtifs, repérés dans les descriptions et les catalogues par le sigle TH.

Cela fait évidemment plaisir de voir enfin des grands iris en fin d'avril. Il y avait si longtemps qu'on les attendait. Les iris nains, puis les iris intermédiaires nous avaient mis l'eau à la bouche, mais cela n'était pas suffisant. Avec les grands iris on atteint le summum du plaisir. Mais cette avancée de la floraison n'est pas sans risque. En effet les fleurs en formation dans les capsules sont tendres et fragiles. Elles se gonflent de liquide intercellulaire et cela les rend très sensibles au gel. Or celui-ci n'est pas rare dans les matins clairs d'avril et les brûlures des premiers rayons de soleil, dans les jours qui entourent la St Georges (23 avril) provoquent des ravages. Si bien que ne manquent pas les années où mes premières fleurs (y compris celles des iris intermédiaires) sont irrémédiablement perdues. L'aspect d'une fleur gelée est assez semblable à celui d'une fleur badigeonnée de glyphosate (Roundup) : tiges prostrées, souvent tordues, pétales et sépales en tout ou partie fondus comme de la salade confite dans du vinaigre. Cela n'est pas applicable à toutes les régions de notre pays, mais les conséquences d'un gel à cette période sont suffisamment désagréables et attristantes pour qu'il soit préférable, au moins dans la moitié nord de la France, d'éviter de choisir les variétés très hâtives.

Sera-ce mieux avec les variétés seulement hâtives (HA) ? Evidemment les risques sont moindres. Passée la St Georges, les gels matinaux deviennent plus rares et, surtout, les plantes, moins avancées au moment critique, vont mieux résister et échapper à la fonte des fleurs. Mais il faut tenir compte de l'évolution de la pousse en fonction des circonstances chaque année différentes qui font que les iris sont plus ou moins en avance et donc plus ou moins en danger. Je note tous les ans les dates de début de floraison et je constate des variations importantes, allant jusqu'à trois semaines au milieu du printemps (les choses ont tendance à s'égaliser par la suite et la fin de saison se situe à peu près toujours au même moment). Les iris intermédiaires sont moins sensibles au gel : ils comportent une certaine quantité de gènes d'iris nains qui, prévus pour fleurir assez tôt en saison, sont conçus pour résister au froid.

Quoi qu'il en soit les iris hâtifs ou très hâtifs comportent à mes yeux un autre inconvénient. Ils sont relativement peu nombreux dans le jardin et se trouvent le plus souvent dispersés au milieu de variétés qui n'ont pas leur hâte de fleurir. Ils apparaissent donc isolés parmi une armée de hampes dressées comme des lances de légionnaires romains. L'effet n'est pas des plus agréables.

Avec les variétés moyennement hâtives (HM) on arrive à la pleine saison des iris. Les fleurs en formation n'ont pas eu à souffrir des gelées tardives. Elles vont s'épanouir dans les premiers jours de mai (chez moi) et elles résisteront aux rosées traitresses des saints de glace. Elles sont nombreuses et leur luxuriance masquera les places encore vacantes des floraisons plus paresseuses à venir. Bref, pour moi, les variétés HM ne présentent aucun inconvénient. Pour faire bonne mesure il se trouve que les iris jaunes fassent en majorité partie de ce lot. C'est la lumière du jardin.

Avec les iris qualifiés de mi-saison (MO) qui constituent le gros de la floraison on est au meilleur de la floraison. Avec eux le risque n'est pas dans la pauvreté mais plutôt, dans le fait que, dans un jardin un peu fourni, ils peuvent passer inaperçus, dans la masse des variétés qui éclosent chaque matin ! Par dessus le marché il y a dans ce contingent beaucoup d'iris bleus, mauves et violets, dont les coloris sont proches et peuvent créer la confusion. L'amateur est un peu dépassé par les événements. Mais surabondance de biens ne nuit jamais dans un jardin d'iris.

 Il n'y a pas beaucoup de différence en ce qui concerne les fleurs moyennement tardives (MT). Elles apparaissent ici vers le 20 mai et cela constitue le dernier paquet du pic de floraison. Elles arrivent juste au bon moment pour être dans tout leur éclat au moment de l'ouverture des compétitions comme Franciris. Cela leur confère un petit avantage par rapport à leurs concurrentes un peu plus précoces. Parmi ces fleurs il me semble qu'il y ait beaucoup de tons chauds : c'est la saison des iris bruns ou mordorés. Le jardin d'iris atteint son paroxysme de splendeur, mais très vite celle-ci va décroître.

Quand arrivent les iris tardifs (TA) le jardin a déjà perdu de sa superbe. Pour que l'aspect global reste beau il faut avoir régulièrement retiré les fleurs fanées et même coupé les hampes des premiers venus qui ne comportent plus que des enveloppes chitineuses qui font négligé. De plus quelques adventices opportunistes profitent de la confusion et de la difficulté à les extraire pour se hisser au niveau des grands iris. Pour maintenir l'attraction du jardin il y a par bonheur l'apparition, décalée vers le tard, des variétés dont c'est la première floraison. Ce sont celles qui ont été plantées à la fin de l'été précédent et qui n'ont pas toujours déjà pris leur rythme naturel. Cependant, en quelques jours, le jardin va plonger dans sa léthargie estivale, et l'amateur, un peu saturé de fleurs, va lui-même se montrer moins vigilant... Il va néanmoins tirer les leçons de la période qui s'achève et constater, par exemple, que les iris tardifs poussent moins vite que les autres et que leurs fleurs durent moins longtemps que celles qui les ont précédées, notamment pour peu que la chaleur ait accéléré leur flétrissement.

Quelques variétés méritent la qualification de très tardives (TT). Elles vont souffrir psychologiquement, de la lassitude de ceux qui vont les observer, esthétiquement d'un environnement plutôt desséché et, techniquement, d'un développement ralenti et souvent même d'un nombre de boutons moins élevé. Une certitude, elles ne sont pas qualifiées pour les concours : lors du passage des juges elle n'auront montré que des promesses de fleurs , ce qui n'est pas suffisant pour triompher ! Avec elles la saison des iris s'achève dans un enthousiasme émoussé et la perspective pour l'amateur d'une tâche ingrate et fatigante de nettoyage et de déblaiement.

 Mais très vite la ferveur va renaître, parce qu'un amateur d'iris, quand il n'a plus de fleurs à admirer, voit déjà en rêve celles qui feront son bonheur dès l'année suivante.

Iconographie : 

Quatre iris français qui prolongent la saison :

 'Diane Cella' (Dalvard, 2000) Très hâtif 


'Aube Rose' (Murati, 2005) Hâtif 


'Marius' (Laporte, 2013) Tardif '


Velours Noir' (L. Bourdillon, non enregistré) Très tardif

Aucun commentaire: