3.12.16

L'AUTRE CHARME DES IRIS

SIMPLICITÉ ET FÉMINITÉ

 Le jeune parfumeur Olivier Polge, nez chez Chanel, a donné une interview à la journaliste du Figaro Hélène Guillaume. Il y décrit son attirance pour le parfum d'iris et les raisons pour lesquelles il utilise cette senteur dans la plupart de ses créations. Il explique ce qui l'a séduit dans le parfum d'iris, et c'est très joliment dit : « Il y a une certaine complexité dans l'iris, (…) bien sûr, la rose est tout à fait complexe, chimiquement parlant, avec ses 400 composants. L'iris est intrinsèquement plus simple, mais son odeur se manifeste moins facilement... Elle est très sophistiquée, associée quoi qu'on en dise à une idée puissante de la féminité. » Était-ce pour ces raisons que les aristocrates de la Renaissance, qu'ils soient florentins, milanais, vénitiens ou romains, raffolaient de cette senteur proche de la violette qui pouvait à la fois ajouter à l'attrait des gentes dames et masquer les senteurs obscures des cités italiennes ?

Longtemps délaissé, pour cause de prix prohibitif et de fabrication laborieuse, le parfum d'iris est revenu à la mode. Les initiateurs de ce retour en force s'appellent Henri Robert (Chanel n° 19), Jean-Claude Ellena (Déclaration, de Cartier) et, bien sûr, Olivier Polge. Aujourd'hui la culture a repris, non seulement sur la Côte d'Azur, du côté de Pégomas, mais aussi dans la région traditionnelle du Chianti, près de Florence, sans compter que la Chine s'est mise aussi à cette culture, en vue de produire une essence peut-être moins raffinée mais bien moins coûteuse. Ce que l'on voit aujourd'hui dans les champs n'est plus I. florentina, moins riche en principes actifs, mais I. dalmatica, reconnaissable à sa délicieuse couleur bleu pâle, qui possède deux caractéristiques très originales. D’abord sa multiplication qui ne s’obtient pas de façon sexuelle, mais uniquement de façon végétative, ce qui garantit la pérennité des caractères (et démontre par conséquent que la multiplication végétative n’entraîne aucune dégénérescence de la plante). Ensuite ses rhizomes qui contiennent beaucoup d’irone, substance extraite pour obtenir ce parfum très spécifique que l'on appelle aussi « essence de violette ». Cependant on conserve encore quelques plantations de I. florentina, moins riche et moins subtil, mais dont la puissance peut s'avérer utile en parfumerie.

Certes la fleur de I. pallida a un parfum inoubliable et prononcé, des plus délicieux. Ce qui fait que beaucoup s'imaginent que c'est cette fleur qui est utilisée en parfumerie, mais il n'en est rien. Ce qui compte, c'est le rhizome ! O. Polge constate avec amusement qu'il a fallu soit beaucoup d'imagination soit un coup de chance miraculeux pour découvrir que le parfum se cachait dans le rhizome et non dans la fleur. Et combien d'essais avortés, combien de récoltes gâchées a-t-il fallu pour parvenir au procédé maintenant utilisé ! Les iris restent en place dans les champs pendant au moins trois ans. Les rhizomes sont alors déterrés, sélectionnés, nettoyés épluchés avec une espèce de rasoir, puis coupés en rondelles qui sont mises à sécher sur des clayettes dans une pièce ventilée et chauffée à 30 °C, pour que les rhizomes perdent 60 % de leur eau et puissent se conserver en concentrant leur fameux irone. Il va falloir trois ans de séchage avant que les rondelles de rhizomes, devenues grises et dures, ne soient broyées et envoyées à la distillation. Celle-ci s'effectue après macération dans l'eau froide. On obtient alors une substance de couleur et de consistance crémeuse. Ce «beurre d'iris» appelé aussi «concrète» sera à son tour distillé pour donner l'absolu, qui est la base des parfums. Il ne faut pas moins de 13 tonnes de rhizomes frais pour obtenir un seul kilo de l'extraordinaire produit, ce qui explique son prix exorbitant (près de 100 000 euros le kilo).

 A ce propos Olivier Polge imagine que le fait « de savoir que ce produit est l'un des plus chers le rend peut-être aux yeux du débutant encore plus aristocratique ». En tout cas, dès son apprentissage, il en est tombé amoureux, et il avoue : « J'aime l'iris et toutes les odeurs qu'on lui associe traditionnellement. » Cela nous vaut « Dior Homme », qui est la senteur de ses débuts, puis « Balenciaga Paris », « Valentino Uomo » et « Misia » pour Chanel. Autant de parfums où l'iris est présent et constitue, en quelque sorte, la signature de leur créateur.

Aujourd'hui, des parfums à base d'iris, il y en a de plus en plus. A côté des créations d'Olivier Polge, on trouve « Infusion d'Iris » de Prada, « Iris Noir » d'Yves Rocher, « Chanel n° 19 », déjà évoqué, « Bois d'Iris » de Van Cleef et Arpels, « Songe d'Iris » de Rochas, « Iris Ukioyé » de Hermès et le rare « Terre d'Iris » de Miller Harris. Autant de parfums qui nous rappellent que nos chers iris ne sont pas que les fleurs splendides qui nous ensorcellent.

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