30.12.16

ENTRE DEUX GUERRES (1919/1938)

La période dite « de l'entre deux guerres » fut fondamentale pour le monde des iris. La conversation ci-dessous explique pourquoi.

Q. - En quoi les années qui se situent entre les deux conflits mondiaux ont-elles été importantes pour le monde des iris ?

R. - Dans le monde en général ce ne fut pas la meilleure des périodes. A peine une guerre terrible s'était-elle terminée que l'on s'est engagé vers un autre conflit encore plus meurtrier, et que des soubresauts économiques et sociaux énormes sont apparus de toutes parts. Mais à côté de cela notre petit monde des iris, lui, a connu l'une de ses périodes les plus fastueuses. Lorsque s'est achevée la première guerre mondiale, l'iridophilie était encore une science balbutiante, lorsque s'est déclenchée la seconde, elle avait atteint un niveau considérable, et les développements qui sont intervenus plus tard, après la fin du conflit, n'ont jamais été aussi rapides.

Q. - Que s'est-il donc passé qui ait ainsi provoqué une révolution ?

R. - Ce n'est pas une révolution qui a eu lieu, mais plusieurs, à côté desquelles d'autres événements majeurs, d'autres découvertes, ont transformé les fleurs d'iris et leur ont donné la plupart des traits qu'elles ont encore.

Q. - Puisque révolutions il y a eu, en quoi ont-elles consisté ?

R. - Commençons par la première. On l'appelle la révolution tétraploïde. Lorsqu'on a commencé à hybrider des iris – c'était au milieu du XIXe siècle – on n'en connaissait qu'une sorte, les grands iris présents dans tous les jardins qu'on appelait les Iris x germanica. Au tout début du XXe siècle l'hybridation des iris connut un engouement particulier mais très vite on s'aperçut que, si les obtentions étaient magnifiques, les améliorations marquaient le pas et les horticulteurs se sont accordés pour considérer qu'un seuil était atteint et qu'on n'arriverait plus à améliorer ni les formes ni les couleurs. L'hybridation menaçait ainsi de s'éteindre. Mais des botanistes voyageurs, parcourant le Moyen-Orient, ont rapporté d'autres iris, assez semblables aux anciens, mais plus grands, plus spectaculaires. Certains hybrideurs de l'époque ont eu l'idée de les croiser avec les iris autochtones, dans le but de relancer leur activité. Les iris d'Asie Mineure en effet avaient un défaut : ils étaient uniformément d'un bleu violacé et il aurait été intéressant de leur faire prendre les couleurs superbes et variées des anciens iris. C'était au tout début du XXe siècle. L'opération ne fut ni simple ni facile, mais le miracle finit par se produire et à force de persévérance les qualités des uns et des autres se trouvèrent réunies. Ce que l'on ne savait pas au début des années 1920 c'est qu'il y avait une incompatibilité biologique entre les deux espèces d'iris et que ce n'est qu'un accident génétique qui pouvait les faire s'accorder. Ce sont les travaux du Français Marc Simonnet, dix ans plus tard, sur le décompte des chromosomes qui ont fait comprendre le phénomène : les iris européens (les « anciens ») disposaient de deux paires de chromosomes, les « nouveaux » en avaient quatre. Pour que leur union puisse être féconde il faut qu'une anomalie se produise au moment de la réduction du nombre de chromosomes et que les nouvelles cellules en possèdent à leur tour quatre paires au lieu des trois – stériles – qui résultent normalement du croisement. Ces accidents se sont produit de temps en temps et c'est ce qui a donné naissance aux grands iris modernes que l'ont dit « tétraploïdes ».

Q. - Mais en dehors de la taille, quel avantage a-t-on retiré de cette « révolution » ?

R. - Voici ce qu'a écrit à ce sujet l'obtenteur américain Ben Hager : « En augmentant de deux à quatre le nombre de paires de chromosomes dans une cellule, on porte à plusieurs millions le nombre de combinaisons possibles de gènes. (…) et l'on multiplie encore, de façon inimaginable, les possibilités de combinaison de couleurs et de motifs. »

Q. - Et quelles ont été les autres révolutions ? 

R. La suivante a été la révolution rose. C'est une conséquence de la précédente. Alors que les hybrideurs essayaient vainement depuis des années d'obtenir des iris rose pur à partir d'iris rose orchidée ou rougeâtres, brusquement le rose est apparu en plusieurs endroits et au même moment ! A ce sujet Ben Hager écrit ceci : « Il existait une bonne raison à l'apparition soudaine d'iris roses. Le rose est une couleur récessive. En d'autres termes, les quatre chromosomes de l'hybride tétraploïde (…) doivent tous porter le gène responsable de la couleur rose pour que puissent être produits des plantes à fleurs roses. » Cette addition a été – c'est normal - longue à obtenir, et n'a été vraiment intéressante qu' à la fin des années 1920, mais à partir de ce moment les iris roses se sont multipliés à l'envi.

Q. - Et ensuite ? 

R. - Au cours de ces vingts années sont apparues d'autres améliorations, plus ou moins conséquences de la tétraploïdie. A commencer par l'apparition d'ondulations sur les pétales. Ce phénomène est lié à un nom de variété : 'Snow Flurry'. Tous ceux qui s'intéressent aux iris connaissent, au moins de nom, celui qui s'appelle 'Snow Flurry'. C'est Clara Rees, une dame californienne, qui a croisé 'Purissima', un tétraploïde blanc, avec le rose (et français) 'Thais', et a obtenu seulement deux graines. Il n’y a qu’une de ces deux graines qui a germé, mais le produit a dépassé toutes les espérances : un iris blanc, tétraploïde, impeccablement coiffé, mais surtout joliment ondulé. On était en 1939. 'Snow Flurry' est à l’origine d’une foule de descendants, dans un grand nombre de coloris, et on peut dire qu'à partir de cet iris rien n'a plus été comme avant.

Q. - Et il y a eu encore d'autres modifications ? 

R. - Bien sûr ! Par exemple les bords dentelés des pièces florales. C'était une « anomalie » constatée dès le début des années 1930 parmi les semis des frères Sass, dans le Nebraska. Mais cela ne fut exploité comme une fantaisie décorative qu'un peu plus tard car les amateurs qui rendaient visite à leur pépinière trouvaient cela joli et ils finirent par se décider à enregistrer deux variétés frisées, 'Midwest Gem', en 1937, puis, en 1939, 'Matula'. Depuis cet ornement est devenu fort courant.

Q. - Ça continue ? 

R. - On peut encore parler de l'apparition de la couleur jaune pure. Ce n’est qu’en 1926 qu’un jaune tétraploïde valable est apparu. Il s’agit de 'W. R. Dykes', du nom de célèbre obtenteur et exégète des iris. Cependant il faut remercier le grand obtenteur Sydney Mitchell, toujours dans les années 1930, parce qu'il a tenté d’améliorer la pureté de cette couleur et alliant une variété d’un ton de bronze et une variété blanche ou vice-versa. Il a essayé et après une grande quantité de semis plus ou moins intéressants il a obtenu ce qu’il cherchait : du jaune vraiment jaune. C’est le cas de 'California Gold' (1933) et de 'Happy Days' (38), ce dernier étant considéré comme l’aboutissement de la recherche entreprise. A partir de là, la ligne jaune était tracée. Ainsi les vingt ans qui ont séparé les deux guerres mondiales ont-ils été primordiaux dans le monde des iris. Ce qui nous paraît aujourd'hui comme parfaitement banal est en général un caractère apparu pendant cette période dont on peut dire qu'elle est la plus riche que nous ayons connu depuis le début de l'hybridation des iris.

Iconographie : 


'Purissima' 


'Thaïs' 


'Midwest Gem' 


'California Gold'

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