12.9.16

68-110 : (Ponderosa X New Moon) ou le sommet de l'art

Un nez, un créateur de parfum, imagine d'abord une nouvelle fragrance, puis il réunit les ingrédients dont il va se servir, et commence les subtils mélanges qui vont constituer sa nouvelle création. L'hybrideur Joë Ghio, en matière de création de nouveaux iris, doit procéder à peu près de la même façon. Sans doute a-t-il dans la tête – mais aussi dans sa documentation – tous les éléments qui constituent la formidable « gènothèque » qu'il a rassemblée au cours de sa longue carrière. Il sait, évidemment, ce que chaque élément peut apporter et il visualise sans doute avec une science approfondie et un génie confondant ce qu'il espère obtenir à partir de chaque croisement. Sans doute échoue-t-il parfois car la nature conserve ses mystères et sait ménager ses surprises. Mais ces échecs ne nous sont évidemment pas connus et nous ne constatons, admiratifs, que les succès qu'il obtient. Chaque année il y en a une poignée, devant laquelle nous nous extasions. Pratiquée avec une pareille maîtrise, l'hybridation n'est plus l'exercice d'une sorte de curiosité ou une forme de loisir, mais l'expression d'une science diabolique.

Parmi toutes les fioles que cet alchimiste manipule il y en a une qui apparaît à de nombreuses reprises dans les pedigrees si complexes qui accompagnent souvent les descriptions de ses nouveautés : c'est (Ponderosa X New Moon). Dans le crypto-catalogue de Joë Ghio elle apparaît sous le numéro 68-110. Elle se répartit en de nombreux « flacons » identifiés par une lettre distinctive, et il doit y en avoir au moins une vingtaine qui correspondent chacune à une plante dont seul son obtenteur (et peut-être quelques initiés amis) connaît les couleurs et caractéristiques.

Faisons connaissance avec chacun des éléments de ce croisement mythique.

'Ponderosa' (Ghio, 1968) = (Denver Mint X Moon River), est une fleur qui n'attire pas nécessairement l'attention. Elle est décrite comme « pétales brun rosé ; sépales mélange de brun de violet et de rouge ; barbes brun jaunâtre. » Ghio nous dirait peu-être les qualités qu'il lui trouve, car il es certain qu'elle ne doit pas en manquer ! Il l'a croisé avec de nombreuses variétés très variées d'aspect mais essentiellement dans les tons de jaune ou abricot : 'Travel On', 'Gracie Pfost' (le seul qui soit rouge), 'Debby Rairdon', 'Honey Rae', 'Orange Chariot', 'Ghost Story', 'Saffron Robe', 'Peace Offering', 'Opening Round'...

 'New Moon' (Sexton, 1968) = (Moon River X New Frontier), universellement connu. C'est un jaune lumineux issu d'un jaune et d'un rose. « Unicolore jaune citron, barbes jaune citron » dit la check-list. Il a été très abondamment utilisé en hybridation dans toutes les parties du monde et pendant de nombreuses années. Joë Ghio a été l'un de ceux qui s'en sont le plus servis, sur plusieurs générations.

Le croisement (Ponderosa X New Moon) fait partie des éléments de base de la palette de Joë Ghio. On le retrouve dans plusieurs combinaisons dont la suivante, qui a été employée très souvent et qui est répertoriée, si je ne me trompe pas, sous le numéro 71-147P :((((Commentary x Claudia Rene) x Claudia Rene) x Ponderosa) x (Ponderosa x New Moon)). Voici une variété dont la généalogie s'étend sur quatre générations. On constate qu'au départ il y a un premier croisement : (Commentary x Claudia Rene). Ensuite le produit de ce croisement est de nouveau croisé avec 'Claudia Rene'. A la génération suivante un nouvel élément est ajouté ; cette fois il s'agit de 'Ponderosa'. Pour terminer, le produit de ce dernier croisement est apparié avec une variété non dénommée, mais notée sous le numéro 68-110 et qui s'écrit (Ponderosa x New Moon).Ce genre de combinaison, qui se complique avec le temps, est classique chez Joë Ghio. Car, pour garder notre exemple, 71-147P a été par la suite marié plusieurs fois. C'est ainsi que, de fil en aiguille, on parvient à 88-129R2 où on atteint la onzième génération depuis notre 68-110, de vingt ans antérieur. Et depuis 1988 il s'en est passé des choses et il y en a eu des croisements !

Au fil des années les pedigrees s'allongent et se complexifient car Ghio ne prend pas la peine d'enregistrer – et donc de nommer – les semis qu'il trouve intéressants et qu'il conserve, si bien que là où certains se contentent de deux noms réunis par un X, Ghio énumère les différents composants de chaque membre du croisement, parfois sous la forme d'un simple numéro de semis, parfois avec la désignation des variétés utilisées. Est-ce une stratégie ? En effet ne pas décrire (ni photographier) un semis conserve à celui-ci une part de mystère qui est peut-être volontaire. C'est une façon de garder un secret de fabrication ! Cela présente l'avantage de détailler le cheminement de l'obtenteur vers la variété enregistrée, en revanche, cela a l'inconvénient de donner une liste à rallonge, pas facile à déchiffrer. Et c'est à ce moment qu'on se rend compte de la finesse du travail de Joë Ghio : on suit l'évolution de sa pensée, on note les touches de tel ou tel coloris ou de telle ou telle qualité horticole qu'il ajoute (ou retranche) pour atteindre le but qu'il s'est fixé.

C'est un travail de grand seigneur. Ils ne sont que quelques-uns, dans notre monde, à être capables de maîtriser autant de paramètres, peut-être trois ou quatre. Si on peut effectivement les comparer à de grands parfumeurs, on pourrait aussi bien faire un parallèle avec de grands compositeurs comme Mozart, Wagner ou Mahler. A ce degré de perfection, l'hybridation n'est plus un jeu mais une science et un art exceptionnels.

Illustrations : 


Ponderosa 


New Moon 


Commentary 


Claudia Rene

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