13.5.16

LE CÔTÉ OBSCUR DES PLICATAS

La disposition des couleurs que l'on appelle « plicata » est celle qui constitue l'originalité particulière des fleurs d'iris. Avec une économie de moyens exceptionnelle – seulement deux groupes de pigments – elle permet une diversité de coloris pratiquement infinie. D'ailleurs tous les plus grands hybrideurs l'ont bien compris et se sont livrés à un savant jeu d'association aboutissant à des milliers de plicatas différents et le plus souvent remarquables. Certains en ont fait leur occupation principale, voire exclusive, mais sans aller jusqu'à l'extrême, plusieurs y ont connu leurs plus grands succès.

Rappelons le principe. Les deux types de pigments sont présents simultanément. Ils ne se disputent pas l'espace mais se le partage en restant chacun chez soi. Les pigments caroténoïdes (jaune, orangé) sont installés à l'intérieur des cellules des pièces florales, les pigments anthocyaniques (bleu, violet) baignent dans le liquide intercellulaire. Toute la diversité des plicatas tient dans la répartition des uns et des autres. Et cette répartition est encore compliquée par l'intervention de gènes qui agissent sur l’apparition des pigments, favorisant ou paralysant celle-ci, suivant leur destination et qui peuvent être responsables de leur disparition, au gré de leur concentration dans telle ou telle partie de la fleur. Les caroténoïdes peuvent être plus ou moins intensément répartis dans les deux sortes de pièces florales (pétales et sépales). Ils constituent la coloration du fond sur lequel les broderies des anthocyaniques viennent se plaquer avec plus ou moins de force. En se superposant aux caroténoïdes les anthocyaniques provoquent, par illusion d'optique, les colorations pourpre, grenat, acajou, voire brun. Là où ils ne sont pas présents les caroténoïdes apparaissent en clair, là où ils sont en quantité le fond clair, jaune, orange ou blanc – en cas d'absence ou de faible présence – est masqué.

 À l'heure actuelle la répartition des pigments a atteint une diversité et une complexité formidables, accrue par l'apparition de fleurs où le modèle plicata s'ajoute aux modèles amoena et variegata. Pour rester dans le modèle de base, disons qu'il y a dans celui-ci des plicatas clairs, et même quasiment incolores, et des plicatas sombres , presque uniformément colorés en rouge sang de bœuf ou en brun tête de nègre, à moins que cela ne soit en violet profond. C'est parmi ceux-ci que nous allons nous promener maintenant.

 Commençons par la disposition qui reste la plus proche du plicata basique, c'est à dire celui à fond blanc brodé de violet. Là comme ailleurs il existe des fleurs fortement colorées, au point qu'il est préférable de consulter le pedigree pour être certain qu'il ne s'agit pas d'un iris unicolore. C'est le cas de 'Cruzin' (Mary Dunn, 1986), en bleu-indigo foncé, griffé de blanc sous les barbes, ou de 'Bubble Bubble' (Ghio, 2004), en violet profond lavé et piqueté de blanc bleuté au centre des sépales, et même de 'Baltic Star' (Stahly, 1994) plusieurs fois décrit ici. La même interrogation se pose à propos de 'Circle of Light' (Paul Black, 2009) car l'effet plicata n'est pas toujours visible sur cette fleur d'un violet indigo profond à peine – et irrégulièrement - piqueté de blanc. La lecture du pedigree rassure à son sujet puisqu'on trouve dans ses parents 'American Spirit' d'un côté et 'Inside Track' de l'autre, tous deux franchement plicatas. Il n'y a en revanche aucune hésitation quand on parle de 'Eramosa Ridge' (Chapman, 2009), de 'Celestial Explosion' (Tasco, 2003) ou de 'Sugar in the Morning' (Ernst, 2006), car le pointillé caractéristique y est tout de même nettement présent. A noter que cette disposition, où le côté plicata se fait discret, ne date pas d'aujourd'hui. Il suffit de se pencher sur 'Gypsy Baron' (Schreiner, 1942) pour en être convaincu.

Il existe un grand nombre de variétés chez qui les pigments anthocyaniques, superposés aux pigments caroténoïdes, apparaissent comme grenat ou amarante. Et quand ils prennent le pas sur le fond coloré de jaune ou d'orangé cela donne 'Changing Winds' (Tompkins, 1994), où le fond beige pâle apparaît sous forme de fines rayures, ou 'Rockstar' (Byers, 1991) dont le fond crémeux est tout de même plus apparent. Tous les meilleurs hybrideurs ont travaillé la question, que ce soit Jim Gibson ('Can-Can Red', 1979), Sterling Innerst ('Colortart', 1983), Bryce Williamson ('Parquet', 1987), Joseph Ghio ('Double Vision', 1998) ou Keith Keppel ('Tangled Web', 1999). Plus récemment l'Italien Augusto Bianco a enregistré 'Polvere di Stelle', 2003, que j'apprécie chaque printemps dans mon jardin, et Keppel a frappé fort avec son étonnant 'Tunnel Vision' de 2010, mais la famille Schreiner n'est pas en reste, avec 'Wonderful World' (2004).

 Au moins aussi nombreux que les précédents sont les plicatas où la couverture anthocyanique prend une coloration brune. A commencer par le trentenaire 'Bronco Brown' (Hamner, 1982), par le fameux 'Chief Hematite' (Gibson, 1983), presque totalement rougeâtre ou par 'Dance Step' (Keppel, 1989), finement pointillé. On a là des classiques du monde des iris. Keith Keppel s'est évertué à enrichir ce coloris avec des variétés exceptionnelles qui ont pour nom 'Dark Drama' (2005), 'High Octane' (2007), 'Tuscan Summer ' (2010) et le tout nouveau 'Dark Energy' (2016). Mais son prédécesseur et maître Jim Gibson avait bien préparé le chemin avec 'Rustic Dance' (1980), 'Red Lightning' (1983), et ses chants du cygne 'Sing Out' (1994) ou 'Huckleberry Fudge' (1996).

Admirer ces nombreuses variétés et toutes celles qui ne peuvent pas être citées dans cette chronique, est un délicieux moment pour l'amateur d'iris. Il n'y a aucune monotonie dans ces innombrables variations sur le thème des riches plumetis, et ce n'est que du plaisir que de se pencher sur le côté obscur des plicatas.

Illustrations : 


'Circle of Light' 


'Eramosa Ridge' 


'Gypsy Baron' 


'Changing Winds' 


'Polvere di Stelle' 



'Red Lightning' 


'Dark Energy'

Aucun commentaire: