15.4.16

SOIXANTE-QUINZE ANS DE LUMINATAS

C'est celui qui les connaît le plus qui en parle le mieux. Dans un article publié dans le numéro d'avril 2012 du bulletin de l'AIS, Keith Keppel a fait le point sur les iris du modèle baptisé « luminata » dont il s'est fait une spécialité. C'est à partir de ce texte que la chronique d'aujourd'hui a été réalisée.

Pour commencer il faut préciser un peu de quoi on parle et faire la différence entre trois situations propres au domaine des iris : le « glaciatisme », le « plicatisme » et le « luminatisme ». Trois situations à propos desquelles deux théories ont été échafaudées.

La théorie la plus couramment acceptée est celle élaborée par Keith Keppel qui fait appel à trois gènes voisins mais différents agissant sur le développement des pigments anthocyaniques dans les fleurs d'iris. Le premier gène, celui qui intervient dans les iris glaciatas, bloque totalement les pigments bleus ou violets, ce qui donne des fleurs où les pigments caroténoïdes (ou leur absence) apparaissent dans toute leur pureté.Un autre gène, voisin, crée la situation que l'on constate sur les plicatas : le blocage des gènes anthocyaniques est partiel et intervient essentiellement dans les pétales et au centre des sépales, créant ce dégradé de coloration caractéristique. Enfin un troisième gène provoque l'apparition du modèle luminata : la paralysie des pigments anthocyaniques se produit en partie sur les pétales, et plus vigoureusement sur les sépales où le cœur de la fleur apparaît dépourvu de pigments bleus ou violets, de même qu'a la bordure des pièces florales et sur les barbes. Keppel justifie l'existence de trois gènes différents par le fait que les trois situations peuvent exister simultanément sur certaines fleurs, créant par exemple des « luminata-plicatas ». Avec quelques autres spécialistes, il a rédigé en 1990 une définition du modèle luminata d'une précision admirable (1) : « Luminata est une disposition des pigments anthocyaniques génétiquement reproductible où la couleur est présente sous forme de marbrures irrégulières dans la zone centrale des pétales, et plus ou moins absente des zones périphériques.L'effet de marbrure est produit par des veines non-anthocyaniques (blanc, jaune, rose ou orange), et il n'y a pas d'anthocyanine dans une zone située de chaque côté de la barbe (zone qui s'étend plus ou moins en direction de la bordure du sépale), ainsi que dans la barbe elle-même. Le modèle luminata peut apparaître seul ou en combinaison avec le modèle plicata ; quand ils sont en combinaison, les modèles se superposent, ne laissant presque aucune partie de la fleur privée de coloration anthocyanique. On donne généralement à cette combinaison le nom de « luminata-plicata » ou « lumi-plic ».

Une autre théorie a été proposée par Chuck Chapman. Celui-ci a émis l’hypothèse que la pureté idéale représentée par le modèle glaciata pourrait être encore plus dégradée que dans le cas des luminatas qui constitueraient un premier degré de dégradation. A un second degré, seule une zone franchement blanche, sous les barbes, serait nettoyée des pigments anthocyaniques. Au troisième degré, il n’y aurait plus que les barbes à être franchement blanches. Enfin, lorsque l’inhibition est totalement absente, on serait en présence d’une fleur parfaitement envahie par les pigments anthocyaniques et donc d’un bleu, d’un violet ou d’un brun (à cause de l’effet conjugué des deux familles de pigments) sans trace de blanc, un anti-glaciata, en quelque sorte. Il attribue ces dégradations successives à l’intervention plus ou moins efficace d’un gène inhibiteur. Il voit ce gène à la puissance 4 chez les glaciatas, à la puissance 3 chez les luminatas, à la puissance 2 chez les ‘zonals’ ou ‘zonatas’, à la puissance 1 chez lez iris bleus à barbes blanches et à la puissance 0 chez les iris entièrement ‘gouachés’ d’anthocyanine.

Quelle que soit la réalité, il existe bien un modèle spécifique que Keppel définit ainsi (1) :
1) La barbe et une surface de chaque côté de la barbe sont blanches ou colorées de pigments caroténoïdes (jaune, rose ou orange) ;
2) Les bras du style sont colorés de la même façon bien que quelque trace de pigmentation anthocyanique puisse apparaître sur la partie supérieure ;
3) Les pétales sont marqués de façon irrégulière (qu'on appelle généralement marbrure ou brossage) par un coloris anthocyanique qui diminue d'un certaine intensité en allant vers les bords. La marbrure est causée par un veinage de couleur non-anthocyanique (blanc, jaune, rose ou orange). L'extérieur des pétales peut avoir une bordure ou un liseré non-anthocyanique prononcé, mais le bord peut aussi n'avoir qu'une légère décoloration, enfin l'effet peut se situer n'importe où entre ces extrêmes ;
4) Le degré de coloration anthocyanique peut se situer n'importe où entre les extrêmes ; il peut aussi bien aller d'un marquage très dense et sombre, jusqu'à un léger poudrage. »

 Ce modèle a une histoire particulière et qui mérite d'être contée, dont l'apparition est datée du début des années 1940, dans les rangs de la pépinière des frères Sass, dans le Nebraska. Même si Keppel affirme que le modèle luminata se trouvait déjà, conjointement avec le modèle plicata dans des variétés de Ferdinand Cayeux comme 'Ensorceleur' (1924) ou 'Madame Louis Aureau' (1934), c'est le côté plicata qui est le plus visible sur ces deux variétés : 'Ensorceleur' est décrit comme possédant des pétales blancs et des sépales à peine teintés de bleu, brodés de dessins lilas ; 'Madame Louis Aureau' a des pétales à dominante bruyère et des sépales très blancs au centre, puis nettement marqués d'un plumetis bruyère. 'Madame Louis Aureau figure dans le pedigree du premier luminata découvert par Jacob Sass. En revanche on n'est pas très renseigné sur 'Bertha Gersdorff' (1941) – premier luminata enregistré - puisque le relevé de l'AIS dit seulement qu'il est le produit du croisement de deux plicatas...

Au début, il n'y a guère que les Sass à avoir trouvé de l'intérêt à ces fleurs que ceux qui ne les aimaient guère qualifiaient pudiquement de « odd » ou de « weird », ce qui veut dire à peu près la même chose, soit « bizarre » ou « étrange ». Ils ont donc enregistré plusieurs variétés de ce modèle, comme 'le très célèbre 'Moonlit Sea' (1942) ou bien 'Cuban Carnival' (1948). Une autre variété de la même décennie a atteint une certaine renommée, il s'agit de 'Aladdin's Wish' (Murawska, 1943).

Les années 1950 ont vu une progression lente mais constante de l'intérêt pour les luminatas, sans pour autant que leur côté incongru soit oublié. En témoigne certains noms attribués aux cultivars enregistrés. Comme 'Ghostie' (Craig, 1949) ou 'Weirdie' (Craig, 1949). Peu à peu néanmoins le modèle se banalise : 'Can-Can' (Craig,1951) ; 'Wish Again' (Muhlestein, 1952) ; 'Glowing Amber' (Craig, 1953) ; 'Fancy Flare' (Austin, 1955) ; 'Cuba Libre' (Plough, 1956) ; 'Moonlight Midnight' (Vallette, 1958)...

Ce n'est qu'au cours des années 1960 que sont apparus les premiers luminatas européens. Ils sont allemands et s'appellent 'Havelberg' (Schwarz, 1959) ou 'Havelsee' (Werckmeister, 1966). Ce dernier est décrit comme « sépales blancs poudrés de bleu, pétales blancs poudrés de bleu plus sombre », ce qui n'est pas très explicite. Mais ces expériences n'ont pas eu vraiment de suite, ni en Europe, ni ailleurs, et il faut attendre la fin des années 1990 pour que les luminatas connaissent un regain d'intérêt.

Cette renaissance est due exclusivement au travail de Keith Keppel qui a enregistré simultanément trois variétés exemplaires :
'Spirit World' (1992)
'Mind Reader' (1992)
'Flights of Fancy' (1992).
Les deux premiers sont des frères de semis, le troisième est un cousin très proche. Chez les trois on retrouve les mêmes géniteurs, 'Irma Melrose', 'Tea Apron', 'April Melody' associés à quelques autres variétés classiques chez Keppel.

Ces trois iris ont déclenché un véritable engouement, et des dizaines de luminatas sont apparus chez tous les bons faiseurs américains (Ghio, Baumunk, Black, Johnson, Christopherson, Spoon...). Les obtenteurs de l'ancien monde hésitent encore à s'y mettre, Mais les australiens ne sont pas en reste ! Parce que, tout comme chez les plicatas, l'infinie variété des combinaisons ouvre un immense champ de recherche, le modèle est en plein développement.

Tous les amateurs d'iris seront de l'avis de Keith Keppel qui m'a écrit : « Voir une planche en fleur de semis de plicatas ou de luminatas , c'est comme regarder dans un kaléidoscope : chaque tour (chaque semis) est une expérience visuelle unique. »

Illustrations : 



'Aladdin's Wish' 


'Havelberg' 


'Elisabethan Age'


'Shine on Thru' 


semis Keppel 

(1) Bulletin AIS n° 277 (avril 1990)

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