15.1.16

CEUX QUI L'ONT RATÉE

Dans toute compétition il y a des gagnants et des perdants. La bataille pour la Médaille de Dykes n’échappe pas à cette règle. Et puisqu'il ne faut qu'un vainqueur chaque année, on rencontre forcément des variétés qui auraient mérité d'être distinguées, mais qui sont restées sur le carreau. L'hybrideur – et juge – américain Perry Dyer, qui prend part à la compétition depuis maintenant quarante-trois ans, en a fait la constatation et a rapporté ses commentaires dans le numéro 94/4 (quatrième trimestre 2013) du Bulletin de l'AIS. À la traduction de certains de ses propos, j'ai ajouté mes propres opinions sur le sujet.

 Il a commencé son analyse avec 'Snow Flurry' (C. Rees, 1939). Cette variété exceptionnelle n'a, en effet jamais dépassé le stade de l'Award of Merit dans la course aux honneurs. Aujourd'hui tout le monde s'accorde à dire qu'il s'agit d'une injustice criante car : « À y regarder de nos jours, c'est difficile de croire que c'est cette variété qui a accompli une révolution chez les iris grâce à l'adjonction des ondulations. Si un cultivar, aujourd'hui, présente de riches ondulations, il y a des chances pour que son lignage remonte jusqu'à 'Snow Flurry'. » Alors, pourquoi les juges lui ont-ils préféré, dans le début des années 1940, des variétés comme 'Prairie Sunset' (H. Sass, 1939 – DM 1943) ou 'Spun Gold' (Glutzbeck, 1940 – DM 1944) qui n'ont apporté aucun progrès sensible dans l'hybridation ? Et puisqu'il n'y a pas eu de DM en 1946, était-il trop tard pour distinguer alors ce 'Snow Flurry', à la fois joli et important ?

 La seconde variété dont Perry Dyer déplore l'échec s'appelle 'Ballerina' (Hall, 1951). Il dit, à son sujet :  « Dave Hall était réputé pour son travail sur les « rose flamand », et ses iris étaient bien distribués et recevaient une bonne publicité de leur distributeur Cooley's Gardens (Oregon). 'Ballerina' était un descendant de 'Cherie' (Hall, 1948 – DM 1951). Pour moi c'était le meilleur. Quand vous voyez ces roses voluptueux, abondamment ondulés que propose Joë Ghio aujourd'hui, dans la plupart des cas leur héritage vient du travail de Hall. » Cependant les bénéficiaires de la DM au moment où 'Ballerina' est entré dans la compétition n'ont pas démérité et on ne peut pas contester le choix des juges. 'Ballerina' s'est heurté à de valeureux concurrents, il a perdu, c'est malheureux pour lui...

 Le troisième malchanceux (les variétés sont classées par ordre chronologique) est 'Emma Cook' (Cook, 1959). Dans son cas on ne peut que constater qu'à cette époque le niveau des candidats à la DM était très élevé. Pour en juger, voici la liste des lauréats :
1962 = 'Whole Cloth'
1963 = 'Amethyst Flame'
1964 = 'Allegiance'
1965 = 'Pacific Panorama'
1966 = 'Rippling Waters'.

Quand il y a trop de candidats, il y a forcément des déceptions et des injustices. 'Emma Cook' fait effectivement partie de ceux qui sont dans ce cas. « Avec une base de couleur claire et, sur les sépales, un fin filet de couleur contrastante plus sombre, 'Emma Cook', en blanc liseré de bleu, se retrouve aujourd'hui chez 'Queen's Circle' (Kerr, 2000), » médaillé de Dykes en 2007 ». Comme dit Perry Dyer, « Ce modèle qui fut très populaire au moment de l'apparition de 'Emma Cook', a connu une accalmie mais est revenu maintenant sur le devant avec une multitude de bordures et de halos de toutes sortes de couleurs. »

 'Cup Race' (Buttrick, 1963) est la quatrième variété classée parmi les oubliés de la DM. Dyer le décrit comme une victime de la compétition entre la côte Ouest et la côte Est des USA. 'Cup Race ' est originaire de la côte Est – de Concord, Massachusetts exactement – mais il a été enregistré la même année que 'Winter Olympics' (O. Brown, 1963), qui est également une superbe fleur blanche. Pour son malheur, il se trouve que 'Winter Olympics' provient de la côte Ouest – de l'Oregon -, et que de ce fait, au pays des plus grands producteurs, il a pu être beaucoup plus largement distribué que son concurrent. Ce qui lui a valu plus de votes... Le commerce fait partie des éléments de la course aux honneurs. Quoi qu'il en soit 'Cup Race' n'a pas démérité. Il a terminé la compétition à la seconde place, mais « il n'a jamais pu franchir la dernière haie. »

Le cas de 'Lemon Mist' (Rudolph, 1972) est un peu différent. Perry Dyer explique que Nathan Rudolph fait partie des hybrideurs de la région de Chicago, tout comme Paul Cook ou David Hall, et qu'il y a tenu sa partie dans l'expansion du monde des iris. Il attribue l'échec de 'Lemon Mist' non pas à la qualité et la beauté de la fleur, mais au fait que la plante est un peu capricieuse et souffre de souvent s'éteindre après sa floraison (bloom-out). Cette réputation lui aurait été fatale.

 L'histoire de 'Country Manor' (Eleanor Kegerise, 1973), le suivant dans la liste de Perry Dyer, vaut la peine d'être reprise telle que ce dernier la décrit. « L'histoire des sœurs Kegerise est fascinante. Toutes les deux (Evelyn et Eleanor) ont épousé deux frères, en Pennsylvanie. Toutes les deux hybridaient les iris, vivaient à quelques kilomètres l'une de l'autre, est avaient l’œil pour sélectionner les meilleures variétés. 'Country Manor' en est une, d'une teinte crème vraiment élégante, issue de 'Cup Race' croisé avec deux vainqueurs de la DM ('Swan Ballet' (Muhlestein, 1955) et 'Rippling Waters' (Fay, 1961). Avec un tel royal lignage vous pouvez espérer le meilleur. Et c'est ce qui s'est produit. » Le parcours de 'Cup Race' a été un sans faute jusqu'au niveau de l'AM, mais il n'a pas réussi à aller plus loin... Encore une victime de la lutte Est/Ouest ?
(à suivre)

Illustrations :


- 'Ballerina'


- 'Cup Race'


- 'Country Manor'


- 'Lemon Mist' 

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