27.6.15

EN NOIR ET BLANC

Obtenir une variété parfaitement blanche, il y a longtemps que les hybrideurs y sont parvenus. Réussir un iris parfaitement noir, on n'en est pas loin, mais il faut encore faire un petit effort, même si les variétés dites « noires » sont désormais très sombres et tout à fait élégantes. Mais un iris noir et blanc ? Peut-on le faire ? C'est ce que nous allons voir dans la présente chronique.

Un iris noir et blanc, c'est une fleur dont les sépales sont noirs (ou, admettons, violet très foncé) et les pétales vraiment blancs ; quant aux barbes, elles doivent être le plus discrètes possible, pour ne pas nuire au but recherché. Et réussir cela, c'est encore un exploit ! Parce que pour y arriver il faut triompher d'un triple défi :
1) le défi du noir ; Le noir n'est pas une couleur de fleur, à proprement parler. C'est une concentration extrême de pigments anthocyaniques. Pour obtenir un noir parfait, les hybrideurs le savent depuis longtemps, il faut que les pigments anthocyaniques, qui se logent dans le liquide interstitiel situé entre les cellules, soient le plus concentrés possible. Pour cela, on utilise la méthode le l'endogamie qui consiste à croiser deux variétés de la même couleur, selon la formule (Noir X Noir = Noir+) en ce qui concerne notre sujet. Après une multitude de croisement de ce type, on est parvenu à obtenir du noir quasiment parfait. 'Before The Storm' (Innerst, 1989 – DM 1996) a été une première approche justement récompensée. Avec 'Hello Darkness' (Schreiner, 1992 – DM 1999) on a atteint un nouveau pallier qui n'a été dépassé, peut-être, que par 'Black Suited' (Innerst, 1999). Pour le noir, le défi est sans doute relevé.
2) Le défi du blanc ; Pour obtenir des pétales blancs, il faut supprimer ou inhiber les pigments bleus naturellement présents dans cette partie de la fleur. Le matériel pour existe. Il provient des gènes de I. reichenbachii introduit dans les grands iris par Paul Cook. Plus ces gènes seront nombreux et efficaces, plus les pigments anthocyaniques seront bloqués et plus on verra du blanc. Les hybrideurs arrivent à maîtriser la présence de ces gènes et, en quelque sorte, à les doser. Mais la difficulté consiste à faire en sorte que ces gènes inhibiteurs agissent au mieux sur les pétales mais ne tentent pas de déborder sur les sépales ! C'est là le troisième défi.
3) le défi de la juxtaposition ; Le tout est dans le dosage. Il arrive très souvent que la dose d'anti-pigments soit insuffisante. Dans ce cas le blanc pur ne sera pas atteint. Il restera du bleu (ou du violet) dans les côtes des pétales et au cœur de la fleur. Cela peut être très joli, mais on ne sera pas au but. A l'inverse, les gènes inhibiteurs peuvent quitter les limites des pétales et envahir les sépales. Ainsi des rayures blanches apparaîtront à partir de la base des sépales , autour des barbes, et irradieront plus ou moins loin vers les bords, les veines, elles, résistant mieux à la décoloration. Le noir et blanc parfait sera obtenu quand la décoloration des pétales sera totale et quand le « noir » des sépales aura impeccablement résisté.

 On peut parler d'un quatrième défi : celui des barbes. Leur couleur ne doit pas trancher avec celle du reste de la fleur. On retiendra donc, dans la mesure du possible, les semis qui présenteront des barbes proches du noir ou, tout au moins, peu visibles. Or, pour accentuer la sensation de noir, on peut être tenté d'introduire dans les sépales un peu de rouge-brun. Mais cette teinte est obtenue en utilisant des pigments caroténoïdes qui colorent généralement les barbes dans les tons de mandarine, voire de rouge. Avec ce subterfuge on risque donc de passer du noir et blanc au tricolore, ce qui serra une autre forme d'échec.

Pour augmenter la difficulté, il ne faut pas oublier que les iris-parents que l'on va choisir sont des plantes issues de croisements nombreux et plus ou moins maîtrisés qui comportent toutes sortes de gènes qui vont venir compliquer l'opération et rendre les résultats très aléatoires. Il faut donc aussi faire une place au facteur chance !

Cela dit, à l'heure actuelle, je vois trois pistes explorées par les hybrideurs : celle qui descend de 'Midnight Moolight' initiée pat Lowell Baumunk et encore peu utilisée ; celle inventée par Richard Cayeux avec 'Noctambule', et celle qui part de 'Starring' et de ses frères de semis, créée à l'origine par Joë Ghio. Examinons le sort de ces trois souches.

 La souche 'Midnight Moonlight'. Son point de départ est donc 'Midnight Moonlight' (Baumunk, 1999) qui a pour pedigree (Tempting Fate X (Twist of Fate x Ride the Wind)). L'idée de base est toute simple : partir d'une fleur où les pigments bleus sont très concentrés sur les sépales, mais où les pétales sont plus clairs et, sans doute, plus faciles à dépigmenter, et pour faciliter cette dépigmentation, une variété fortement dosée en gènes inhibiteurs. Le résultat est très proche de celui qui a été souhaité puisque les pétales sont blancs, les sépales pourpre très foncé, à peine plus clairs aux bords et sous les barbes et celles-ci, couleur moutarde, très peu visibles.

 La souche 'Noctambule' (((Rebecca Perret x 88175A) x (Bal Masque x (Astrid Cayeux x Helene C.))) X (Futuriste x (In Town x Night Edition))) procède de la même idée de base : des néglectas aux sépales sombres, des amoenas (type Emma Cook essentiellement) aux pétales bien clairs, et au final 'Noctambule' (Cayeux, 2005) qui ne s'éloigne du but visé que par la présence de quelques traces des gènes inhibiteurs du bleu sur le haut des sépales. Les barbes, jaune vif, ne sont pas agressives et, d'un autre côté, avivent agréablement la fleur.

 La souche 'Starring'. C'est, de loin, la plus connue et la plus utilisée. 'Starring' (Ghio, 1999) est décrit ainsi : « Pétales blancs, bras des styles blancs, crêtes liserées d'or ; sépales pourpre-noir, barbes rouge brique. » C'est le produit du croisement ((Notorious x ((Success Story x (Fancy Tales x Alpine Castle)) x ((Persian Smoke x Entourage) x ((Strawberry Sundae x (Artiste x Tupelo Honey)) x Borderline sib)))) X Romantic Evening). Il faudrait détailler les particularités de chacune des variétés entrant dans ce pedigree pour comprendre comment Joë Ghio est arrivé à un pareil résultat. Ce qui est certain c'est qu'il a obtenu quelque chose de proche de la perfection. La seule note discordante est celle de la barbe, sans doute encore trop colorée. Mais il faut aussi dire qu'elle est très discrète par la taille et qu'elle ne provoque pas l'effet tricolore. La réussite est donc indéniable, et beaucoup de ceux qui ont voulu présenter leur propre noir et blanc sont partis de là. Ajoutons que deux frères de semis de 'Starring', 'Snowed In' (1998) et 'Connection' (1999), qui possèdent donc le même patrimoine génétique, mais ne se présentent pas exactement sous le même aspect, ajoutent aux possibilités de la famille.

Alors que c'est, à mon avis, la variété la plus proche du but à atteindre, il semble que 'Midnight Moonlight' ait été le point de départ le moins utilisé. Peut-être que les hybrideurs le considèrent plus comme un aboutissement qu'un point de départ ? En fait on ne lui connaît qu'un seul descendant direct, et encore s'agit-il d'un croisement de 'Starring' et de 'Midnight Moonlight'. Son nom est 'Opposites' (un nom vraiment approprié) (S. Trio, 2013). D'apparence, c'est un sosie de 'Noctambule'.

'Noctambule' qui n'est arrivé sur le marché qu'en 2007 n'a pas eu encore le temps de donner naissance à un certain nombre de descendants. Mais je parierais qu'on en trouvera d'ici peu car il ne peut que tenter les opportunistes qui veulent avoir une place dans le domaine du noir et blanc. En attendant, Richard Cayeux a continué ses travaux sur la question et proposé 'Domino Noir' (2013), d'une origine voisine. Cet iris, issu de 'Magnetisme' (Cayeux, 2009), s'approche encore plus de l'idéal.

Venons-en à la souche 'Starring' (et 'Starring' frères). Je lui ai trouvé une quinzaine de descendants qui peuvent être classés dans le modèle. Mais il y en a bien peu, somme toute, à qui l'on peut attribuer sincèrement l'épithète « noir et blanc ». Les meilleurs sont :
'Blackberry and Cream' (Z.Seidl, 2011), malgré des traces trop violacées à la base des pétales ; 'Cosmic Celebration' (L. Painter, 2008), dont la barbe est trop rouge à mon goût ;
'Grace upon Grace' (L. Roberts, 2007), très intéressant descendant de 'Snowed In', barbes discrètes ; 'Jazz Queen' (B. Nicodemus, 2011), actuellement sans doute le meilleur ;
'Trumped' (T. Burseen, 2007), très proche du but.
A partir de 'Connection', les variétés noir et blanc sont peu nombreuses, mais on peut y classer 'Yin-Yang' (A. Chapelle, 2010), qui provient du croisement (Enjoy the Party X Connection).

 Pour terminer cet aperçu, la photo que j'ai récemment reçue de 'Atoll Marin' (Marin Le May-Anfosso, 2015) (Wings of Peace X Starring) montre une fleur sans doute très proche du but. Marquant le retour à l'hybridation de la famille Anfosso, cet iris me semble plein de promesses.

Il y a eu d'autres tentatives dont je n'ai pas fait l'inventaire ici, mais la rareté des réussites démontre le niveau de difficulté auquel se confrontent les hybrideurs. C'est comme vouloir prendre un calmant pour bien s'endormir le soir, et un excitant, pour bien se réveiller le lendemain !

 Illustrations : 


 'Midnight Moonlight' 


'Domino Noir' 


'Starring' 


'Atoll Marin'

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