27.3.15

A PROPOS DE « JE T'AIME, MOI NON PLUS »

La teneur du sujet de la semaine dernière, « Je t'aime, moi non plus », n 'a pas été du goût de tout le monde.

J'ai reçu du Président de la SFIB le message suivant :
« Comme je l’ai expliqué dans les commentaires de ton article, la SFIB a d’excellents rapports avec les grands professionnels. Tu souhaiterais qu’ils commercialisent des créateurs français, ils y sont favorables ; j’ai demandé aux hybrideurs amateurs de contacter ces professionnels, très peu l’ont fait, donc je pense que les responsabilités ne sont pas du coté des 4 grandes pépinières françaises.  Richard Cayeux n’est pas opposé à cette possibilité de même que Iris du Quercy. Déjà Iris en Provence a une collection d’iris miniatures de Loïc Tasquier à son catalogue, Iris Bourdillon a en culture un semis de Jean Claude Jacob qui sera au catalogue prochainement, Pascal et Nicolas Bourdillon visitent régulièrement les jardins des hybrideurs amateurs français.  La machine est en route pour l’apport de créateurs amateurs français aux catalogues professionnels, mais il faut un peu de temps. Je vais m’employer davantage à les mettre en relation».

C'est, en quelque sorte, la confirmation de la conclusion de mon article qui était : "En France, si certains se plaignent, il faut reconnaître que grâce aux efforts des dirigeants actuels de la SFIB les intérêts des uns et des autres peuvent être considérés comme en train de se rapprocher. La publication par le président lui-même des photos des dernières créations Cayeux en est une démonstration. C'est ce que l'on peut espérer de meilleur."

S'IL N'EN FALLAIT QU'UNE …

S'il n'en fallait qu'une, laquelle prendrai-je ? Je me suis posé cette question en consultant ma photothèque pour rechercher les illustrations destinées à un récent article. Le feuilleton des prochaines semaines présentera certaines des photos que je trouve bien réussies. Ce ne sont que des photos d'identité, certes, mais elles peuvent tout de même êtree bien jolies, et leurs réalisateurs ont eu de la chance (pour ce qui me concerne), mais peut-être aussi... du talent (chez les autres) ! 

Troisième semaine : de I à L 

'I Feel Lucky' (T. Johnson, 2006) photo de Heidi Soroken (Greenorchid) 

'Je t'Aime' (Gartman, 1990) (cliché extrait du catalogue ancien Roris Garden) 


'Kilt Lilt' (J. Gibson, 1970 - DM 76) (Photo de Kent Pfeiffer) 


'Landgräfin Elizabeth' (Landgraf, 2007) (photo de Sylvain Ruaud, prise au jardin Tecomah à Jouy en Josas)

ECHOS DU MONDE DES IRIS

De Pologne 

Décidément la Pologne est en passe de devenir le plus iridophile des pays européens. Après le projet de Lech Komarnicki d'écrire un nouvel ouvrage de fond sur les iris rhizomateux et le monde des iris, voici que Robert Piatek, autre personnage de l'hybridation des iris, vient de produire un livre dont le titre est « Ajrysy, Druga Strona Tęczy », que l'on peut traduire par « Iris, de l'autre côté de l'arc-en-ciel ». Je vais essayer de me le procurer.

HELEN REYNOLDS : celle qui sauva la collection Sass

Le dernier bulletin de l'AIS nous a appris la mort d'Helen Reynolds, à l'âge de 102 ans. Dans le monde des iris elle était essentiellement connue pour, avec un autre passionné, John Owl, sauvé de la disparition l'incroyable collection d'iris des frères Sass. Implantée à Omaha, dans le Nebraska, elle était un grave danger quand Henry Sass est décédé, en 1954.

 Il y avait déjà quelques années qu'Helen Graham (le nom de son premier mari) s'intéressait aux iris. Elle et son époux tenaient depuis longtemps une grosse épicerie dans la ville d'El Dorado, Kansas, et ils demeuraient un peu à l'écart de la ville, sur une grande propriété, où elle avait aménagé un beau jardin dans lequel poussaient lilas, pivoines et hémérocalles. Y ajouter des iris allait de soi. Mais Madame Graham ne se doutait pas qu'elle serait à ce point conquise par ses nouvelles fleurs.

 Quand elle a connu la disparition de Henry Sass, dont elle connaissait l'immensité du travail d'hybridation, elle fit tout son possible pour que toutes ces fleurs (celles qui étaient déjà enregistrées et celles qui étaient encore en observation) ne soient pas abandonnées. Avec son ami Owl elle les fit transporter chez elle à El Dorado et poursuivit le travail du dernier des Sass. C'est ainsi qu'on lui doit, entre autres, l'enregistrement et l'introduction de 'Tea Apron', une variété qui allait faire les beaux jours de Keith Keppel, avec le fameux croisement (Irma Melrose X Tea Apron). 'Tea Apron' est un plicata « léger » enregistré en 1960 par Helen Reynolds sans que l'on connaisse précisément ses origines. Cependant on sait qu'il s'agit du point d’achèvement d’une lignée dont les éléments de base se nomment 'Blue Shimmer' et 'Minnie Colquitt'. Le caractère plicata y est concentré sur le haut des sépales. Son importance pour tout le travail de K. Keppel est considérable et on peut dire que c'est Helen Reynolds qui en est à l'origine.

En dehors de ce haut fait d'arme Mme Reynolds (c'est le nom de son second mari, épousé en 1965 après le décès de Clyde Graham, le premier), très impliquée dans le microcosme américain des iris, a poursuivi un certain travail d'hybridation, de la fin des années 1930 au début des années 1970, concernant la plupart des catégories. Elle n'a jamais fait de miracle, mais ses obtentions, une vingtaine en son nom propre, une cinquantaine si l'on compte celles enregistrées sous le nom de « El Dorado », ont toujours reçu un bon accueil, même si, de nos jours, elles sont assez oubliées. Les images ci-dessous en sont quelques exemples.

 Illustrations : 



 'Kansas Kid' (1971) BB 


 'Pink Tiger' (1964) TB 


 'Tea Apron' (1961) TB 


 'Warlock' (1963) TB

20.3.15

S'IL N'EN FALLAIT QU'UNE …

S'il n'en fallait qu'une, laquelle prendrai-je ? Je me suis posé cette question en consultant ma photothèque pour rechercher les illustrations destinées à un récent article. Le feuilleton des prochaines semaines présentera certaines des photos que je trouve bien réussies. Ce ne sont que des photos d'identité, certes, mais elles peuvent tout de même être bien jolies, et leurs réalisateurs ont eu de la chance (pour ce qui me concerne), mais peut-être aussi... du talent (chez les autres) ! 

Deuxième semaine : de E/F/G/H 

- 'Everything Plus' (Dave Niswonger, 1984 – DM 91 ) photos de Sylvain Ruaud ; 

- 'Fit for a King' (Schreiner's, 2006) cliché de Christine Cosi ; 


- 'Gitta' (Manfred Beer, 1992) photo de Sylvain Ruaud ; 


- 'Honky Tonk Blues' (Schreiner's, 1988 - DM 95) cliché de A. Bettinelli.

JE T'AIME MOI NON PLUS

Une fois de plus c'est la lecture du forum de la SFIB qui m'a inspiré pour cette chronique. Il y a quelque temps, un participant s'est ému de ce qu'à son avis les producteurs « professionnels » négligeaient les clients potentiels que sont les amateurs français d'iris (traduction littérale de « french iris lovers ») en ne leur réservant pas la primeur de leurs nouveautés et en ne prenant pas part aux discussions du forum. C'était dit un peu rudement, mais c'était tout de même assez vrai. En effet, hormis Laure Anfosso qui fait maintenant partie du staff de la SFIB et qui intervient de temps en temps sur le forum, l'action des grands producteurs français (ils ne sont pas si nombreux) n'est pas spécialement orientée vers ceux qui pourraient constituer leur fan-club, à savoir la poignée de grands amateurs, avides de nouveautés, qui se ruent sur les catalogues du monde entier dès leur parution. Ces grands amateurs ne reçoivent aucun traitement de faveur. Est-ce parce qu'ils sont considérés comme quantité négligeable – ils sont peut-être une vingtaine seulement – ? Parce qu'ils passent aussi des commandes à l'étranger ? Parce qu'ils peuvent se montrer critiques à l'égard des produits qu'on leur propose ? Il semble en tout cas que cette absence d'égards particuliers soit amèrement ressentie. Il paraît en effet étonnant que ces producteurs se tiennent ainsi à l'écart de cette petite communauté que constitue ceux qui ont l'iris pour passion. N'en font-ils pas naturellement partie ? Y a-t-il chez nous deux sortes de fans d'iris : ceux qui se rassemblent par affinité autour du noyau dur de la SFIB, et ceux qui gardent leurs distances vis-a-vis des précédents ? Les faits semblent le laisser croire. Mais à bien y réfléchir cela n'est peut-être pas aussi tranché que cela paraît l'être.

 Le groupe des amateurs s'est créé très rapidement, ces dernières années, grâce à Internet et aux forums de discussion. Il se compose d'amateurs proprement dits, et de semi-professionnels qui cherchent à se constituer une clientèle pour écouler leurs propres obtentions (et quelques importations récentes qu'ils peuvent mettre sur le marché très rapidement compte tenu de la petite quantité qui peut leur être nécessaire pour honorer leurs ventes potentielles). Plusieurs personnes se situent à la fois dans l'une et l'autre catégorie. On est donc en face d'une petite coterie soudée par le facilité des conversations électroniques et qui se comporte un peu comme les abonnés d'une ligne SNCF, voyageurs fidèles, mais prompts à la critique et à la protestation. Dans le cas présent le rôle de la SNCF est tenu par ceux qui sont qualifiés de « grands » ou d' « historiques » parce qu'ils ont pignon sur rue et dominent le marché.

Les opérateurs historiques (comme on dit pour les télécommunications) sont au nombre de deux ou trois. Ce sont des entreprises structurées, dont les dirigeants n'ont ni la volonté de se mettre au niveau des précédents, ni la disponibilité pour suivre les discussions sur les forums. Ils ne disposent pas non plus d'un attaché de presse ou d'un service de communication qui interviendrait sur le web aussi fréquemment que les grands amateurs ! C'est peut-être leur handicap. Ils ont aussi, il faut bien l'avouer, un certain ressentiment à constater qu'ils ne sont plus les seuls fournisseurs des grands amateurs. Certains vont même jusqu'à considérer que la SFIB, en groupant par exemple les commandes à l'étranger, est pour eux un concurrent plutôt qu'un soutien. Ils gardent donc leurs distances avec elle. Ils ne sont pas non plus enclins à accorder un traitement particulier à des clients exigeants, mais peu nombreux et peu rémunérateurs. Par dessus le marché, on se situe dans un commerce de niche, où l'apparition de nouveaux marchands exacerbe la concurrence et n'encourage pas la confraternité.

On se trouve donc en face d'une situation qu'on peut résumer par l'expression « je t'aime moi non plus », qui s'explique parfaitement, mais qui ne satisfait ni les uns ni les autres. Cette situation est sans doute particulière à la France. Dans les autres pays, il n'y a rien de semblable. Aux États-Unis, les amateurs d'iris sont très nombreux et se rassemblent dans des clubs locaux ou régionaux où s'instaurent des relations généralement cordiales et où les obtenteurs et producteurs locaux ont toute leur place. D'autre part le marché est si vaste que si concurrence il y a, elle s'exerce dans un esprit qui, me semble-t-il, est plus souvent proche de la guerre en dentelle que de la lutte à couteaux tirés. La plupart des obtenteurs et producteurs contribuent activement à la vie de l'AIS où il leur arrive d'exercer des responsabilités importantes. En Australie les producteurs, peu nombreux, se connaissent et s'apprécient, même si leurs relations ne sont pas intenses, mais je ne sais pas si l'ISA (l'équivalent de la SFIB) a une réelle influence fédératrice des intérêts des uns et des autres. En Italie le rôle des producteurs est sans doute plus restreint que chez nous et la SII me fait d'avantage l'effet d'une assemblée de notables – au demeurant très impliqués – que d'une réunion d'amateurs, et ceux-ci me paraissent beaucoup moins soudés que chez nous. Même phénomène en Allemagne. Dans les pays de l'Est on est en face de la situation inverse. Les producteurs sont proches de nos semi-pro et je ne crois pas qu'il y ait la séparation qu'on constate aujourd'hui en France : le commerce des iris n'y est pas encore structuré. Reste le cas de la Grande-Bretagne. Les producteurs me semblent y être peu nombreux et peu puissants. Qu'en est-il des amateurs ? Nous avons si peu d'information les concernant qu'il serait osé de dire quoi que ce soit à leur sujet. Mais la situation de l'iridophilie à l'air d'être à l'heure actuelle en perte de vitesse, dans un pays qui fut en grande partie à l'origine de son expansion à travers le monde.

En France, si certains se plaignent, il faut reconnaître que grâce aux efforts des dirigeants actuels de la SFIB les intérêts des uns et des autres peuvent être considérés comme en train de se rapprocher. La publication par le président lui-même des photos des dernières créations Cayeux en est une démonstration. C'est ce que l'on peut espérer de meilleur.

Illustrations : Des créations récentes qu'on aimerait rencontrer côte à côte :

'Buvard' (Cayeux, 2015) 


'Beg an Fri' (Jacob, 2013) 

semis Laporte 06-33-30 (inconnu X (Honky Tonk Blues x Decadence) 


'Tenue de Soirée' (Chapelle, 2014)

13.3.15

S'IL N'EN FALLAIT QU'UNE …

S'il n'en fallait qu'une, laquelle prendrai-je ? Je me suis posé cette question en consultant ma photothèque pour rechercher les illustrations destinées à un récent article. Le feuilleton des prochaines semaines présentera certaines des photos que je trouve bien réussies. Ce ne sont que des photos d'identité, certes, mais elles peuvent tout de même être bien jolies, et leurs réalisateurs ont bien du talent. 

Première semaine : de A à D


'Abiding Love' (T. Johnson, 2014) 


'Big Dipper' (O. Brown, 1981) 


'Coffee Trader' (B. Blyth, 2004) 


'Désiris' (L. Ransom, 1994)

UN ÉCHEC BIENFAISANT ?

Comme la tulipe noire ou la rose bleue, l'iris rouge est un fantasme d'horticulteur avide de parvenir à ce qui paraît inaccessible. Mais si les deux premiers ont finalement été atteints, le troisième reste encore bien loin de se réaliser.

Pour obtenir des iris rouges, les hybrideurs sont partis de fleurs brunes qu'ils ont croisées avec des fleurs orange ou roses. Mais le résultat n'a jamais été parfait. Certes certaines variétés se présentent en un brun-rouge, plus rouge acajou ou rouge bordeaux que vraiment rouge, mais le procédé n'est plus vraiment efficace et il y a longtemps qu'une véritable avancée dans cette voie ait eu lieu. Partant de ce constat le regretté Richard Ernst a entrepris de régler le problème par la biologie et la recherche génique. Son projet était ambitieux et il s'est donné les moyens de le faire aboutir. Il s'est dit que le pigment rouge ne se trouvant concentré, chez l’iris, que dans les poils de certaines barbes, pour avoir des pétales et des sépales rouges, il fallait parvenir à y concentrer autant de rouge, sinon on n’obtiendrait qu’une fleur rose, et encore à la condition d’avoir éliminé les pigments anthocyaniques... Ernst a pris contact avec un physicien qui affirmait qu’il était possible, avec les moyens technologiques actuels, d’obtenir un iris rouge. Il a relevé le défi et s’est mis en rapport avec l’Université de l’Etat d’Oregon pour engager le travail. Ce qui a nécessité l’embauche d’un physicien à temps complet et l’acquisition du matériel de laboratoire. L’Université de l’Etat d’Oregon a entrepris l’analyse complète de l’ADN d’un iris. La pigmentation de douzaines de variétés a été analysée et des cultures de tissu « in vitro » ont été réalisées. Il a fallu douze années de recherche pour découvrir et sélectionner les bons gènes rouges avant que ne commence le processus de transformation, processus qui a été couvert par un brevet. L’iris transformé a alors été mis en culture et la première fleur de ce qui devait être un iris rouge aurait du s’épanouir au printemps 2005. Mais on n'a plus jamais entendu parler de ce fameux iris qui aurait du être rouge. Il est par conséquent évident que la tentative a échoué et que l'argent investi l'a été en pure perte.

Dans le même temps Donald Spoon s'est lancé dans l'aventure mais en empruntant un autre chemin. Il a axé sa recherche sur une voie traditionnelle. Il est parti de la constatation que certains iris, dont 'My Ginny' (Spoon, 2002), présentaient des barbes absolument rouges. Un rouge coquelicot provenant d’une forte concentration de lycopène, le pigment qui fait que les tomates sont rouges. Il en a déduit que ce pigment, lorsqu’il est présent dans une fleur d’iris, peut se trouver concentré à l’extrême dans les barbes, mais ne peut pas se développer de la même façon dans les pétales et sépales parce qu’il est bloqué par un gène particulier. Il imagine qu’il existe deux sortes de gènes inhibiteurs, un pour les barbes et un pour les autres parties, et que ces gènes peuvent exister avec quatre niveaux d’influence : faible, médian, vif et très vif. Le niveau très vif correspond à une quasi-absence de lycopène, donnant une coloration très pâle, proche du blanc. Le niveau vif est synonyme de coloration rose tendre ; le niveau médian abouti au rose soutenu, et le niveau faible laisse le lycopène se développer au maximum, ce qui donne une coloration d’un rose orangé foncé proche du rouge coquelicot. Mais le rouge coquelicot n’est pas le rouge absolu. Il contient une pointe d’orange qu’il faut corriger pour tendre vers la perfection. Cette correction peut être obtenue au moyen d’un trait de pigments anthocyaniques qui adoucit ou rafraîchit la couleur de base. Don Spoon était convaincu qu’en utilisant des parents dont les fleurs ont une forte concentration de lycopène il allait parvenir à ce rêve plus que centenaire de l’iris parfaitement rouge. C'était en 2004. Depuis, silence sur le sujet. Sans doute parce que les résultats n'ont pas été à la hauteur...

Un autre irisarien américain s'est, à peu près au même moment intéressé à cette question. Neil Mogensen s'est efforcé de démontrer qu’il peut exister une troisième voie pour obtenir du rouge. Ce n'est pas facile à rapporter, mais j'ai compris que la couleur rouge pure, qui est produite par la pélargonidine (pigment présent dans les géraniums) fait partie de la même série que la delphinidine (pigment qui colore en bleu les delphiniums …et les iris). Ces deux pigments, ainsi que beaucoup d’autres, sont des éléments de la grande famille des pigments anthocyaniques, hydrosolubles, et présents dans le liquide intercellulaire des fleurs. Ils ne se différencient que par le nombre et la position de radicaux OH attachés à l’un des anneaux de base des anthocyanines. D'après les schémas illustrant l’article, la delphinidine a trois radicaux OH, et la pélargonidine seulement un. D’où l’idée, pour obtenir de la pélargonidine au lieu de la delphinidine, de réussir à retirer deux des radicaux OH de cette dernière. On sait cela depuis les travaux de L. F. Randolph, dans les années 50 et 60. Mais le problème n’est pas de savoir ce qu’il faut faire, mais de trouver comment le faire ! Mais si l’on sait, aujourd'hui, où se situe sur les chromosomes de l’iris, l’enzyme qui détermine le nombre des radicaux OH et l’emplacement où ils s’attachent, la manipulation qui pourrait aboutir à transformer la delphinidine et pélargonidine n'est pas simple ! Parce qu’aux pigments de base, s’ajoutent des co-pigments et des variations du taux d’acidité du liquide intercellulaire qui rendent l’opération infiniment complexe et très aléatoire dans ses résultats. D’autant plus que, paraît-il, le processus de transformation pourrait être bloqué par une réaction de la plante qui, constatant une anomalie dans les cellules, rétablirait automatiquement la normalité ! Neil Mogensen n'est donc sûr de rien...

Ceci se passait en 2006. Depuis les événements qui se sont produits ont pratiquement stoppé les recherches : Richard Ernst et Neil Mogensen sont décédés et Don Spoon ne communique plus sur le sujet. La recherche de l'iris rouge est-elle donc enterrée ?

Richard Ernst avait eu l'idée de la transplantation de gènes de lis dans les chromosomes de l’iris pour tenter de lui donner la couleur éclatante d’un poivron ; Neil Mogensen avait eu celle de la production d’une grande quantité de pélargonidine pour atteindre le rouge du géranium zonale ; Donald Spoon a tenté de saturer le lycopène des iris roses ou oranges et d’y ajouter une pointe de violet pour donner l’illusion du rouge pompier. A l'heure qu'il est je pense que le projet va rester encore quelques temps dans les tiroirs des chercheurs et dans les rêves des hybrideurs, mais je crois que les avancées de la génétique aboutiront un jour ou l'autre à la révolution recherchée. Car si le projet est aujourd'hui en panne, on peut être certain qu'un jour prochain quelqu'un le reprendra.

Aboutira-t-il ? Nul ne peut le savoir, mais s'il se réalise, Il y a tout lieu de penser que ce sera une révolution plus fondamentale que celles qui l'ont précédée. L'iris reste une plante naturelle. Les hybrideurs y ont apporté des modifications importantes, mais ils sont restés jusqu'à présent dans le domaine de la nature. Avec l'apparition d'un rouge transgénique, nous serons dans un autre monde, et comme les iris génétiquement modifiés seront immanquablement croisés avec des iris naturels, nous finirons par n'obtenir que des variétés artificielles. Les iris « pur jus » seront des antiquités sanctuarisées qu'on conservera religieusement. Cela me fait un peu peur. Ne serait-il pas préférable que cela échoue, pour que l'iris reste la plante qu'il a été depuis son apparition sur notre terre ?

Illustrations : 


Un « rouge » actuel : semis Bianco #696 


'My Ginny' 


Une vue d'artiste

6.3.15

CARNABY (FLEUR DU MOIS)

Pourquoi, quand j'ai fait mon choix pour ma première commande d'iris, n'ai-je pas retenu 'Carnaby' (Schreiner, 1973) ? Je n'en sais plus rien, mais j'ai toujours un peu regretté de n'avoir jamais eu cette variété dans ma collection. Chaque fois que je l'ai vue dans un jardin je l'ai admirée.

La description officiel de 'Carnaby' est la suivante : « S. warm pink; F. rose-pink, lightly ruffled; tangerine-orange beard. » Ce qui donne en français : « Pétales d'un rose chaud ; sépales rose magenta, légèrement ondulés ; barbes mandarine. » C'est oublier de dire que le rose violacé des sépales va en s'éclaircissant jusqu'à rejoindre le rose doré des pétales, et qu'une flamme blanc rosé éclaire le centre des sépales. Ces traits pourtant donnent tout leur caractère à la fleur. Son pedigree est : (Wine and Roses X Y 1307-A: (R 118-B x Rippling Waters)). Y intervient un semis numéroté R 118-B dont on ne sait rien, mais les deux autres participants sont bien identifiés. 'Wine and Roses' (Hall, 1963) est a l'origine d'un grand nombre d'iris (78 officiellement) dont certains très connus comme 'Country Charm' (Schreiner, 1998), 'Delicato' (Schreiner, 1972), 'Fancy Tales' (Shoop, 1980), 'Latin Lover' (Shoop, 1969), 'Lorenzaccio de Medicis' (P.C. Anfosso, 1979) ou 'Starship Enterprise' (Schreiner, 1999) pour n'en citer que quelques-uns. 'Rippling Waters' (Fay, 1961) est, lui, un pilier de l'horticulture des iris, il a obtenu le Médaille de Dykes en 1966 et figure directement au pedigree de plus de 350 variétés !

Ce 'Carnaby' n'a donc rien de révolutionnaire, mais avec ses douces couleurs parfaitement harmonisées, il est très réussi et un certain nombre d'obtenteurs, conscients de ses charmes et de son intérêt horticole s'en sont servi dans leurs croisements, dont la maison Schreiner elle-même. Elle a enregistré 'Live Music' (1983) chez qui l'on retrouve nettement les traits du « père ».

D'autres variétés s'approchent par leur aspect de ce 'Carnaby'. Certaines l'ont même précédé, comme 'Barcelona' (O. Brown, 1967). C'est d'ailleurs à partir de 'Barcelona' que Barry Blyth a créé sa lignée de bicolores rose/pourpre. Voyez ses 'Piper's Flute' (1974), 'Lilac Wine' (1977), ou 'Eurythmic' (1978). 'Piper's Flute' provient de (Barcelona X Outer Limits) ; 'Lilac Wine' est un cousin du précédent : ((Barcelona x Outer Limits) X (Snowlight x Visionary sib) ; et 'Eurythmic', parti de la même base, complique un peu les choses sans ajouter vraiment du nouveau : (Mossenova X (((Touché x Rhythm and Blues) x (Barcelona x Outer Limits))) x (((Barcelona x Outer Limits) x Snowlight) x (Ghio 68-116 x Center Stage))).

Mais à regarder tous ces iris proches par le coloris, je ne peux m'empêcher de considérer que 'Carnaby' est d'une essence supérieure et qu'aucune autre variété n'est arrivée à son niveau, même parmi ses descendants. Prenez ce 'Crimson Cloud' (Schreiner, 2010 ) : il est joli, mais ses couleurs plus contrastées n'ont pas le chic de l'ancêtre. Parmi les variétés modernes, je ne vois que 'Cherry Blossom Song' (Hedgecock, 1999) pour s'en approcher. Le pedigree de celui-ci est (Hazel Jean X What's Up Doc), une alliance qui ne laissait présager rien de sensationnel car unissant un rose-beige plutôt ordinaire, 'Hazel Jean' (Hedgecock, 1992), et un enfant de 'Sky Hooks', 'What's up Doc' (Hedgecock, 1988), beige manquant nettement de fraîcheur. Comme quoi la magie des hybridations peut faire naître des beautés là où on ne les attend pas forcément.

Ces considérations ne m'empêchent pas de déplorer de n'avoir jamais eu parmi mes chers iris ce 'Carnaby' que j'apprécie toujours autant malgré les années qui passent et le repoussent maintenant des les archives de l'histoire des iris.

 Illustrations : 


'Carnaby' 


'Barcelona'


'Cherry Blossom Song' 


'Crimson Cloud'

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Un nouveau livre 

Lech Komarnicki, artiste et iridophile polonais, prépare un important ouvrage ayant trait à toutes les sortes d'iris rhizomateux. Une place importante y sera faite aux iris français. Ce gros livre sera édité en quatre langues : polonais, allemand, anglais et français. Nos compatriotes pourront donc le lire commodément. Je tiendrai les lecteurs de Irisenligne au courant de l'évolution de ce projet.

DE LA BEAUTÉ

Contentons-nous de parler de la beauté des iris, puisque ces fleurs constituent ce qui nous intéresse ici.

La beauté des iris, ou l'idée que nous nous en faisons, a bien changé au cours du temps. Il s'agit d'une évolution équivalente à celle de tout ce qui est considéré comme beau. La beauté d'Agnès Sorel, la maîtresse du roi Charles VII, ferait-elle aujourd'hui se pâmer ses contemporains ? De même dirait-on maintenant qu'est belle la reine Marie-Antoinette, avec ses vêtements extravagants et ses fards outranciers ? Les canons de la beauté sont intimement liés au phénomène de mode et c'est vrai pour les iris comme pour les êtres humains. Mais dans le cas de notre fleur préférée un paramètre supplémentaire est à prendre en compte : les progrès de l'horticulture.

Prenons une variété comme 'Anne-Marie Cayeux' (Cayeux, 1928). Voici ce qu'on trouve à son sujet dans le compte-rendu des travaux de la Commission des Iris de 1933 : « Il n'existe rien de semblable à cette variété dans les iris ; grande fleur, très jolie forme et de bonne consistance, ensemble du coloris héliotrope rosé ; divisions supérieures à peine nuancées de fauve, les inférieures éclairées au centre, rappelant le coloris gorge de pigeon. Un grande amélioration des plus distinctes dans les iris depuis longtemps. » Une fleur du même genre était en compétition pour le premier trophée Franciris, en 2000. En effectuant son premier tour parmi les plantes à juger, le jury, à l'unanimité, a suivi son président, le Pr. Gambassini, et éliminé ce candidat, sans autre forme de procès. La fleur était « démodée » ! Qu'en était-il de sa beauté intrinsèque ? Personne n'a songé à en tenir compte. Cela ne remet pas en cause les qualités de 'Samsara' (Ransom, 1996), qui l'a emporté cette année-là, mais on peut être certain que ce même 'Samsara' ne serait pas consacré aujourd'hui ! Cette fleur n'a rien perdu de sa beauté et des qualités qui lui ont valu sa récompense, mais la mode a évolué et les juges y sont forcément sensibles : ils ont dans leur esprit une autre idée de la beauté, où la modernité tient plus de place que la beauté proprement dite.

La beauté est donc liée au temps et, en matière d'iris, aux progrès de l'hybridation. Ce sont, à ce stade, les hybrideurs eux-même qui influent sur ce qui est la beauté. Ils établissent leurs croisements en tenant compte des caractères qu'ils veulent obtenir ou reproduire, et, au moment de la sélection, ils choisissent les variétés dont les fleurs ont des formes ou des couleurs qui sont dans l'air du temps. Prenons l'exemple des fleurs à éperons. Pendant des années ces appendices ont été considérés comme des monstruosités et les plantes qui les portaient ont été impitoyablement éliminées. Puis un jour un hybrideur a estimé que cela pouvait être esthétique et il en a mis certaines sur le marché. Ce fut la même chose avec les iris qu'on désigne sous- le vocable de « broken colors » faute de leur avoir trouvé une désignation en latin horticole acceptée par tous.

Mais à ce niveau intervient une autre composante : l'opinion des amateurs. Celle-là est plus difficile à cerner. Il arrive que l'adhésion des collectionneurs à ce que certains considèrent comme beau est lente à intervenir. Il faut tenir compte de la résistance au changement et bien des éléments nouveaux sont considérés comme laids pendant des années avant que, l'habitude aidant, ils soient enfin adoptés. D'autres au contraire ont immédiatement du succès. Iris à éperons (ou rostratas) et iris à couleurs brouillées (ou broken colors) ont eu du mal à être reconnus ; alors que les fleurs à pétales bouillonnés se sont imposées dès leur apparition. Ce fut le cas pour 'Sea Power' (Keppel, 1999) ou 'Decadence' (Blyth, 2004).

Voilà donc la beauté future sélectionnée par les hybrideurs inspirés, puis installée par les amateurs. C'est suffisant pour faire le succès des bêtes à concours, mais cela ne garantit pas l'enracinement des variétés qualifiées de belles par les « professionnels de la profession » dans les choix du public. Bien souvent on a remarqué que des variétés appréciées des personnes qualifiées n'ont pas eu le même accueil de la part des acheteurs. Et n'oublions pas que ce sont ces derniers qui permettent au petit monde des iris d'exister et à la recherche d'avancer. Pourquoi 'Silk Road' (Keppel, 2007), fleur récompensée à Florence, qui réunit tous les traits de l'élégance, du bon goût et, en un mot, de la beauté est-il resté si discret, alors que 'Gypsy Lord' (Keppel, 2005), de la même écurie et de la même génération a tout de suite atteint des sommets dans les votes de popularité ? Le public ne juge pas la beauté avec les mêmes règles que les autres intervenants dans ces appréciations, c'est pourquoi, par exemple, les iris primés au concours de Munich – où les juges patentés n'interviennent pas, n'auraient sans doute pas obtenu les mêmes résultats devant un jury de professionnels.

La beauté des iris s'apprécie donc à trois niveaux : celui des obtenteurs, celui des juges (et des collectionneurs) et celui du grand public. Il peut y avoir de sérieuses différences, mais, en fin de compte, une sorte d'équilibre s'établit et une tendance générale apparaît. Ce qu'on considère comme la beauté suit donc l'évolution de la mode car ce qui est déclaré comme beau à un moment n'obtiendra plus la même appréciation quelques temps plus tard. C'est une autre application de l'adage « ainsi passe la gloire du monde »...

Illustrations :

'Anne Marie Cayeux''  


'Samsara' 


'Decadence' 


'Silk Road'