13.2.15

TROIS COULEURS POUR UNE FLEUR

Première partie : Tout s’emmêle 

 Il y a bien longtemps qu'on parle d'iris en trois couleurs. Ce sont ceux que les Américains appellent « blend », qui veut dire « mélangé », et pour lesquels nous, Français, n'avons pas trouvé de traduction adaptée et qui figurent donc dans nos catalogues sous leur dénomination américaine. Ils font tout le charme des anciennes variétés de l'entre-deux-guerres, période pendant laquelle ils ont été introduits en abondance en Europe comme en Amérique. Ils ont été si nombreux qu'il faut un œil exercé pour faire la différence entre beaucoup d'entre eux, car les coloris sont souvent très voisins, voire même presque identiques. D'ailleurs les descriptions que l'on peut trouver dans les documents d'époque expriment bien la difficulté. Ainsi celle de 'Evolution' (Cayeux, 1929) : « teinte tout à fait nouvelle, divisions supérieures bronze cuivré chaud, les inférieures de même teinte avec grandes taches bleu rosé, gorge de pigeon au centre. » Et celle de 'Sérénité' (Cayeux, 1931) : « Divisions supérieure isabelle légèrement nuancé de lavande passant au jaune doré vers la base, les inférieures bleu pastel atténuées au pourtour. » Il faut avoir recours à la photo pour distinguer les deux fleurs. Quelque fois, cependant, les trois couleurs sont plus nettement séparées, comme c'est le cas pour 'Francheville' (Cayeux, 1927) : « Divisions supérieures chamois fauve nuancé lilas très clair, les inférieures rouge pourpré éclairé d'héliotrope. » Et pour 'Polichinelle' (Cayeux, 1929) : « Divisions supérieures isabelle bleuté, divisions inférieures bleu d'aniline bordé lavande. » Même si les descriptions ne font pas parfaitement la différence !

Dans chacun des exemples ci-dessus on est en face de fleurs où toutes les couleurs se mêlent pour donner un ensemble délicat et harmonieux, tout en douceur et en sensibilité : la classe, quoi !

On aurait pu choisir de montrer des fleurs nées aux Amériques à la même époque, et on serait parvenu au même résultat : pourraient en témoigner 'Sindjkha' (Sturtevant, 1918) ou 'Opaline' (Williamson, 1932).

 Toutes ces variétés constituent des évolutions de ce qui fut l'apparence majoritaire des iris jusqu'à l'implantation complète et définitive de la tétraploïdie, c'est à dire le modèle néglecta. On peut dire que ce modèle était presque la règle dans les années 1920/1930. Il y avait alors, pour l'essentiel, trois couleurs dominantes auxquelles on donnait tout un tas de tons dégradés du plus heureux effet, à commencer par deux tons de grenat : un coloris plaisant où rien ne s’oppose mais où tout s’harmonise, avec un côté vif, mais qui reste raisonnable. Il y avait ensuite deux tons de violet : le violet, à cette époque avait acquis une profondeur et un velouté exceptionnels. Enfin on trouvait les fleurs mauve sur pourpre, ce qui a donné des fleurs somptueuses, contrastées mais sans excès, assorties mais sans fadeur. Ces évolutions ont été une étape vers des couleurs plus tranchées et des voisinages plus violents. Elles avaient l'avantage de la discrétion mais, à être trop proches les unes des autres elles génèrent une monotonie qui finit par lasser. Aujourd'hui on joue donc les blasés et les variétés qui ressemblent à celles de l'entre-deux-guerres (il y en a encore chaque année de nouvelles) sont considérées avec un manque évident d'intérêt qui peut aller jusqu'au dédain. À l'heure actuelle on peut obtenir à peu près tout ce que l'on veut en matière de modèle ou de coloris – et cela nous vaut chaque année une avalanche de nouveautés dont le plus grand nombre ne survivra que quelques saisons – et l'on a oublié le temps où un nouveau modèle, un nouveau coloris était un événement, mais où les variétés nouvelles étaient assurées d'une longue vie, voire d'une quasi éternité. La rareté était un gage de très longue existence, la profusion est la garantie d'un oubli à brève échéance.

 Soyons tranquilles ! Les admirables iris aux couleurs fondues de Ferdinand Cayeux et de ses contemporains sont toujours là et on peut parier qu'elles feront le bonheur de nos petits-enfants comme elles font le nôtre aujourd'hui.

Illustrations : 


 'Evolution' (Ochracea Caerulea X Marsh Marigold) 


'Francheville' (pedigree non enregistré) 


'Sérénité' (Claude Aureau X Petit Vitry) 


'Polichinelle' (pedigree non enregistré)

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