10.1.15

LA FIN NAVRANTE DE Mr DYKES

Il faisait bien mauvais en cette fin de journée du 27 novembre 1925. Les routes anglaises étaient verglacées mais William Dykatson Dykes et son épouse Katherine avaient néanmoins pris la direction de Londres. Au moment de croiser un camion leur voiture a dérapé et est venue heurter le gros véhicule... Katherine n'a eu que des contusions mais William fut éjecté et très sévèrement blessé. On dut l'amputer, mais il décéda peu après l'opération, le 1er décembre 1925. Ainsi disparut, à 48 ans seulement, le personnage le plus important que le monde des iris eut jamais connu.

Il était né le 4 novembre 1877 et avait fait preuve, dès son plus jeune âge, de dons évidents pour les études en même temps qu'il devenait un bon athlète et un bon footballeur. Après de belles études secondaires à Londres, il intégra le Wadham College à Oxford puis, après son diplôme d'études classiques, vint terminer sa formation à Paris, à la Sorbonne. Il commença en 1919 une carrière d'enseignant en lettres classiques dans un établissement du sud de Londres.

Alors qu'il était encore étudiant, il rendit un jour visite à Sir Michael Foster et fut frappé par la beauté et la diversité des iris cultivés par ce grand savant, lequel, de son côté admira l'intelligence et le sens de l'observation du jeune homme. Dykes voulait créer auprès de sa maison un jardin empli de toutes sortes de fleurs. Foster lui fit donc cadeau de tout ce qu'il avait dans son propre jardin comme rhizomes et bulbes d'iris de toutes espèces. Dykes se révéla un excellent jardinier et il constitua rapidement une importante collection, plus, d'ailleurs, dans un but scientifique que décoratif. Foster, qui avait ce projet en tête depuis longtemps l'encouragea donc à entreprendre une étude exhaustive du genre Iris. Ce à quoi Dykes s'attela avec enthousiasme.

Lancé à fond dans la botanique, il commença à écrire pour les Revues d'horticulture sur tous les sujets liés aux iris. C'est ainsi qu'il acquis une renommée assez forte pour qu'un éditeur londonien lui propose de rédiger un ouvrage sur le sujet. Ce livre, intitulé « Irises », peut être considéré comme le premier jet de ce qui allait être la grande œuvre de William Dykes, « The Genus Iris ». Dans le chapitre qu'il consacre à W. R. Dykes dans son livre « Classic Irises, and the men and women who Created Them » (Les iris classiques et les hommes et femmes qui les ont créés), et dont le présent texte s'est inspiré, Clarence Mahan a écrit : « Dès le début (Dykes) a décidé que son travail s'appuierait seulement sur les sources originales. Il a expliqué cette méthode dans l'introduction de « The Genus Iris ».

Il a rassemblé et examiné les descriptions originales de tous ce qui était considéré comme des espèces d'iris – il y en avait environ sept cents- et s'est servi des spécimens conservés pour s'assurer de ce qu'il s'agissait bien d'espèces d'iris. Il n'a eu recours aux sources secondaires de renseignement que dans le cas ou les sources primaires n'avaient pas pu être trouvées. » Dykes ne prenait rien pour garanti. Il a examiné des centaines de spécimens d'espèces d'iris (…) » Il a parcouru l'Europe pour cela, de Kew à Berlin en passant par Paris. Il a parcouru les pays d'où sont originaires les principales espèces et interrogé tous ceux qui pouvaient lui donner des informations sur ce qu'il ne pouvait pas constater par lui-même.

Ce travail minutieux et exemplaire a donné naissance à un ouvrage qui, aujourd'hui, a conservé tout son intérêt scientifique. A l'époque ce fut une sorte de bombe dans le domaine de la botanique. Chacun s'extasiait sur l'énormité du travail et sur la jeunesse de l'auteur. Dykes n'avait que 36 ans !

 A la suite de ce coup d'éclat, Dykes a abandonné son travail de professeur de lettres et a été désigné comme secrétaire de la Royal Horticultural Society. Dans le même temps il s'est mis à pratiquer plus intensément l'hybridation. Il avait obtenu pour cela qu'une institution du Sud-Ouest de Londres lui alloue un petit coin de son jardin. Il va hybrider et introduire, entre 1921 et 1925, un certain nombre de variétés nouvelles qui ont presque toutes été considérées comme de réelles et remarquables avancées.

Déjà, avant 1920, il avait enregistré quelques variétés, comme 'Gold Crest' (1914), un joli bleu à barbes jaunes, et 'Richard II' (1914), un amoena bleu, diploïde, l'un et l'autre issus de croisements audacieux et nouveaux : le premier réunit deux formes d'Iris pallida, le second, est un croisement de 'Black Prince' (Perry, 1900) par lui-même.

Les variétés obtenues à partir de 1921 sont au moins aussi exceptionnelles, qu'il s'agisse de 'Sapphire' (1922), bleu clair, de 'Aphrodite' (1923), bleu lavande lavé de blanc, considéré par certain comme l'ancêtre du modèle « zonal », de 'Moonlight' (1923), blanc crémeux, teinté de jaune, ou de 'Amber' (1924), véritable iris jaune, issu de 'Shekinah' (Sturtevant, 1918). 'Lustre' (1924), bleu violacé, est une autre obtention remarquable, de même que le petit 'Thisbe', forme particulière de I. aphylla, largement utilisé quarante ans plus tard par l'américain Ben Hager pour lancer sa lignée d'iris de table (MTB).

Considéré en Grande-Bretagne et partout dans le monde comme une sommité dans son domaine, honoré de plusieurs distinctions recherchées, il ne manquait plus à William Dykes que de prendre épouse. Ce fut chose faite en 1924 en la personne d'une artiste, attirée comme lui par les plantes et en particulier les tulipes, prénommée Elsie Katherine, et qui fut connue sous le simple prénom de Katherine quand elle enregistra les dernières variétés préparées par son défunt mari, comme le célèbre iris jaune 'W.R. Dykes' (1926).

On constate souvent que les grands génies n'ont pas une longue existence. Ce fut le cas pour Wolfgang Amadeus Mozart ou Lily Boulanger, dans le domaine de la musique classique. Dans celui des iris, ce fut aussi le destin de Monty Byers, par exemple. Célèbre dès 1913, à 36 ans, William Dykatson Dykes nous a quitté de façon navrante, en pleine force de l'âge, alors que le monde des iris pouvait encore s'attendre de sa part à des créations majeures.

Illustrations : 


'Sapphire' (1922) 


'Aphrodite' (1923) 

'Moonlight' (1923) 


'Amber' (1924)

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