21.11.14

LES TANGOS DE LA VIEILLE GARDE

Ce titre parodie celui d'un roman de l'écrivain espagnol Arturo Perez-Reverte. Ici, le tango, c'est une teinte de la couleur orange prise pour désigner d'une façon générale les iris allant de l'abricot à l'orange brûlé. La vieille garde, c'est celle des pionniers de l'iridophilie, ces hommes et ces femmes qui, contrairement à la plupart de leurs contemporains, ont cru au développement de l'orange chez les grands iris, alors que le plus souvent les hybrideurs luttaient pour effacer toute trace de cette couleur dans leurs iris jaunes. Ils étaient donc peu nombreux, dans les années 1950/1960, ceux qui s'intéressaient à la couleur orange. Et ils ont commencé, si l'on peut dire, au plus bas de l'échelle : un orangé pâle, où le rose pointait sous une couche de jaune, autrement dit une sorte de jaune abricot ni très franc ni très spectaculaire. Il fallait être visionnaire pour songer que, après cette teinte imprécise, allait venir un orange de plus en plus flamboyant. Leur travail est longtemps resté pratiquement ignoré, à tel point que quelle que soit la source d’information, on ne trouve pas grand’ chose sur l’histoire des iris oranges dans les textes des spécialistes. La Bible que constitue « The World of Irises » tout comme « Iris, une fleur royale » de Richard Cayeux, présentent, certes, les iris oranges, mais ne s’attardent pas sur les origines de cette couleur. En fait elle remonte à la révolution rose des années 30. Mais à l'époque le grand sujet de recherches était la couleur la plus rose possible. Et pour purifier les iris roses il fallait éliminer toute trace de jaune et, par conséquent, d'orange. Les hybrideurs ont donc concentré leurs efforts sur cette élimination et ne sont revenus vers les tons de pêche, d’abricot et d’orange que lorsqu’ils sont parvenus par ailleurs à un rose parfait. Ce n’est donc que dans les années 50 que l’on a commencé à obtenir des iris abricot valables, et il a même fallu attendre les années 60 pour voir des oranges dignes des récompenses annuelles de l’AIS.

Qui étaient ces précurseurs, cette vieille garde, qui ont senti que la couleur orange avait de l'avenir ? Le tout premier s'appelait David Hall, celui qui, par ailleurs, a mis tant d'acharnement et passé tant d'années à obtenir des iris véritablement roses. Trois de ses premiers iris plus ou moins oranges ont atteint le stade de l'AM dans la course aux honneurs américaine : ‘Melody Lane’ (1947), ‘Temple Bells’ (1952) et ‘Top Flight’ (1953). Le premier est assez fortement imprégné de rose, le troisième n'est que vaguement orangé, 'Temple Bells', en revanche, atteint véritablement la teinte recherchée et, en prime, présente de vraies ondulations. Il s'agit donc d'un véritable travail de chercheur, qui devait ouvrir la voie à une approche plus ciblée. Un autre grand hybrideur a travaillé la question. Il s'agit de Tell Muhlestein, dont le 'Apricot Glory' (1948) est déjà une approche plus précise du sujet mais qui reste anecdotique dans la production de cet obtenteur. Néanmoins cette variété a été largement exploitée par ceux qui trouvaient quelque intérêt à la couleur abricot. Notamment par Melba Hamblen qui a enregistré 'Glittering Amber' (1955), puis, en 1956, 'Valimar', un iris très réussi. Par la suite les recherches vers l’abricot ont été plus ou moins délaissées pendant plusieurs années, au profit d'une recherche de l'orange le plus profond possible. Melba Hamblen a d'ailleurs travaillé dans ce sens, comme en témoigne son 'Orange Parade' de 1959. Dès le début des années 1960 Charles Reckamp, celui que l'on appelle le « frère Charles » puisqu'il était moine, lui a emboîté le pas. Citons de lui 'Celestial Glory' (1961) et 'Mission Sunset' (1962), le second, fils du premier, étant d'ailleurs un peu moins saturé. Orville Fay – il n'est guère de domaine où son nom n'apparaît pas - est également à citer parmi les premiers maîtres des oranges, avec, notamment, 'Chinese Coral' (1962), rose orangé, 'Orange Chariot' (1962), nettement orangé, et 'Radiant Light' (1963), franchement orange, enfin..

Parmi les derniers de ceux que l'on peut considérer comme constituant la vieille garde pourrait être Gordon Plough. Ce n'est pas un spécialiste en la matière, mais il n'est guère de domaine auquel il n'a pas touché. Dès 1958 son 'Apricot Cream' s'approchait un peu de la couleur recherchée, tout en restant plus jaune pâle qu'orangé, mais dix ans plus tard les progrès sont frappant, avec 'Flaming Star' (1967) et surtout 'Son of Star' (1969) qui est un véritable aboutissement. Citons enfin George Shoop qui s'est toujours intéressé aux tons de rose, du rose pur au rose corail, et qui dès 1965 proposait 'Spanish Gift' qui est un véritable orange. Mais l'on est arrivé aux confins de l'époque moderne et la couleur orange est entrée dans les mœurs. Tous les obtenteurs vont dès lors faire des propositions dans ce coloris et la recherche va plutôt s'orienter vers une amélioration de l'iris lui-même, en tant que plante, car l'une des caractéristiques des iris abricot ou orange, qui ne leur fait pas que des amis, est leur faible développement, tant en hauteur qu’en prolificité. Chacun a pu constater dans son jardin que les iris oranges sont en général d’une taille plus basse que leurs voisins et qu’ils poussent souvent moins vite. Si l’on ajoute qu’ils sont difficiles à acclimater dans les régions les plus fraîches, on aura une idée du chemin qui reste à parcourir pour faire de l'orange une couleur aussi banale que le bleu ou le rose.

L'orange, que l'on appelle parfois tango, est une couleur attrayante, qui se remarque tout de suite dans un jardin. Les grands anciens l'avaient bien compris et leur grand mérite a été de faire preuve de constance et d'acharnement, jusqu'à ce qu'ils obtiennent des variétés superbes comme celles que l'on trouve aujourd'hui.

Illustrations : 


Top Flight 


Apricot Glory 


Celestial Glory 


Son of Star

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