28.12.12

LES DILETTANTES

V. Jean Ségui 

Le docteur Ségui, gynécologue occitan, a peut-être franchi le pas entre dilettantisme et professionnalisme lorsque, après sa retraite, il s’est entièrement consacré aux iris. Certaines de ses obtentions, comme ‘La Belle Aude’, ont obtenu un vrai succès commercial quand elles sont apparues au catalogue de « Iris de Thau ».

· ‘La belle Aude’ (1982) 
· ‘Sur Deux Notes’ (1981) 
· ‘Doctor Gold’ (1983) 
· ‘Cerdagne’ (1989)

LES SATELLITES

A l’image des Etats-Unis eux même, l’AIS est constituée de sociétés ou d’associations régionales : une structure fédérale, en quelque sorte. Il y a actuellement 22 régions(1) qui peuvent regrouper un certain nombre d’Etats voisins (par exemple la Région 6 rassemble l’Ohio, l’Indiana et le Michigan) soit n’être constituées que d’un seul Etat (c’est le cas de la Région 17 qui ne concerne que le Texas) ; seule la Californie est scindée en deux parties, le Nord qui, augmenté du Nevada et d’Hawaii, forme la Région 14, tandis que le Sud, allié à l’Arizona, aboutit à la Région 15, qui s’est donnée le nom de « Calizona ». A noter que les treize Provinces du Canada, depuis une réforme entrée en application en 2011, sont comme qui dirait annexées aux Etats-Unis pour faire partie des Régions 1 (les provinces maritimes de l’Est), 2 ( le Québec et l’Ontario), 13 (British Columbia et Yukon), 21 (les autres). Enfin Porto-Rico, qui n’est qu’un Etat associé des Etats-Unis, est également absorbé, cette fois par la Région 5. Mais cultive-t-on les iris aussi bien dans le Nunavut qu’aux Antilles ? Chacune de ces Régions est représentée dans le staff de l’AIS par un Vice-Président. A tour de rôle les Régions organisent chaque année la Convention de l’AIS, grand’ messe de l’iris, extrêmement bien fréquentée par les adhérents, à qui traverser l’Amérique du Nord pour se rendre à la Convention ne fait pas peur. 

Chaque Région regroupe les différentes sociétés locales, nombreuses et généralement bien structurées et actives, qui organisent des colloques, des ventes aux enchères, des compétitions de plantes soit vivantes soit en bouquets. Les plus importantes disposent d’un site Internet, voire d’un blog ou d’un compte sur les réseaux sociaux. Ça marche ! D’ailleurs, après de nombreuses années de perte d’effectifs, l’AIS est de nouveau en croissance. 

 Voilà pour l’organisation territoriale de l’AIS. Mais à côté de ces organismes membres à part entière, figurent deux sortes de sociétés satellites, structurée autour d’un thème particulier – soit catégorie d’iris, soit caractère spécifique de certains iris.



 Les sociétés les plus proches de l’AIS (dont on pourrait presque dire que ce sont des franchisées) sont les « AIS Sections ». Elles sont à l’heure actuelle au nombre de neuf. Il y en a six pour des catégories d’iris particulières. Une pour les iris de taille intermédiaire entre les grands et les nains. C’est la « Median Iris Society ». C’est une des plus anciennes sections puisque créée en 1959 et l’une des plus vivantes : elle publie un bulletin spécifique, The Medianite, très apprécié. Autres sections dédiées à une catégorie d’iris, la Society for Siberian Irises (pour les accros aux iris de Sibérie), la Spuria Iris Society, la Society for Japanese Irises ( qui concerne évidemment les iris du Japon), la Society for Pacific Coast Native Irises, pour les iris de Californie, et la Dwarf iris Society qui concerne uniquement les amateurs d’iris nains. Les trois autres visent d’autres centres d’intérêts, que l’on peut qualifier de transversaux. C’est d’abord la Reblooming Iris Society, qui traite de tout ce qui intéresse les iris remontants. Avant d’être une section proprement dite, elle est apparue en 1962 et ce n’est qu’en 1967 qu’elle a pris son statut actuel. Vient ensuite le Species Iris Group of North America (SIGNA) qui date de 1968 et qui est une société de botanique, importante et reconnue comme telle partout dans le monde. Enfin la Historic Iris Preservation Society (HIPS), fondée en 1988, qui s’est donné pour tâche la sauvegarde des anciennes variétés et qui publie deux fois l’an « Roots », un superbe bulletin tout en couleur. 
 
A côté de ces sortes de filiales, on trouve un groupe de trois « Cooperating Societies » qui entretiennent avec l’AIS des relations beaucoup plus subtiles. L’Aril Society International est, comme son nom le laisse entrevoir, une société internationale dédiée aux iris arils, elle a été fondée en 1996 et est dirigée actuellement par un Australien. La Society for Louisiana Irises, elle, s’apparente plutôt à une Section, mais elle a conservé une certaine indépendance, liée à ses origines. C’est une affaire ancienne puisqu’elle a été fondée en 1941. La Tall Bearded Iris Society pourrait aussi être une Section. Son statut actuel est la résultante d’une longue discorde : elle a été fondée en 1998 par des dissidents de l’AIS qui reprochaient à cette dernière de ne pas faire assez de place aux TB, et qui a joué les francs-tireurs pendant une dizaine d’année. Aujourd’hui les querelles sont apaisées et, comme elle est composée essentiellement de gens encore membres de l’AIS, ou d’anciens dirigeants parvenus au terme de leur mandat, elle est à peu près rentrée dans le rang. Son bulletin, « Tall Talk », est l’une des plus belles revues d’iris qu’on puisse trouver. 

La composition un peu complexe de l’AIS résulte de son histoire et de celle des hommes qui l’ont créée. C’est une entreprise importante, animée par des bénévoles, qui a pris une place prépondérante dans le monde des iris dont elle constitue le cœur. 

(1) A l’origine il y avait 24 Régions, mais les Régions 16 et 19 n’existent plus depuis 2010. 

Illustrations :
- « Roots » - bulletin de la HIPS 
- « The Medianite » - bulletin de la MIS 
- « Tall Talk » - bulletin de la TBIS.

21.12.12

LES DILETTANTES

IV. Eberhardt Fischer 

C’est encore un modèle de dilettante. Car, biologiste de profession, il ne consacre aux iris que le temps qui lui reste. Il a réalisé peu de croisement, mais ses obtentions ont attiré l’attention des amateurs allemands. Notamment pour ses iris blancs issus du croisement (Azucena X Leda’s Lover).

· ‘Eismöve’ (1999) 

· ‘Fliederprinzessin’ (1993)

· ‘Helga Maria’ (2004) 

· ‘Olga K’ (1999)

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Keppel 2013 

Les introductions 2013 de Keith Keppel ont été mises en ligne sur son site. Je n'ai pas remarqué de véritable nouveauté, même si 'Art Glass' et 'Cotillon Gown' sont intéressants. Il est vrai qu'on ne peut pas trouver dans chaque fournée une future Dykes Medal !

 http://www.keithkeppeliris.com/gallery.html

L'ÉNIGMATIQUE 'COLOR CARNIVAL'

‘Color Carnival’ (DeForest 1949) est un iris énigmatique. On ne sait pas grand’ chose sur ses origines, ses descendants ne sont pas nombreux, et son coloris est pour ainsi dire unique. Il a fait une très longue carrière commerciale (en France, du moins), et malgré les années il n’a rien perdu de son originalité. Certes, il affiche son âge, avec des pièces florales très peu ondulées, des sépales un peu pendants, avec cette petite échancrure à l’extrémité de la ligne médiane propre aux iris anciens, et ces pétales qui, avec le temps, s’effondrent un peu vers le cœur de la fleur… Mais qu’importe. Son affaire c’est le coloris. Les pétales affichent un rose corail tendre, les sépales, plus ivoire que rose, sont finement veinés de violet améthyste, alors que les bords retrouvent la couleur du fond. La barbe, mandarine, anime joliment l’ensemble.

 Ses origines, comme il vient d’être dit, sont plutôt confuses. On connaît seulement son parent femelle, ‘Spindrift’ (Loomis, 1929), une variété de premier ordre, très largement utilisée par les hybrideurs des années 1950/1960, dont les descendants enregistrés sont au nombre de 70, ce qui en fait une des bases de l’ iridophilie moderne. On sait que c’est un iris rose orchidée (donc avec une pointe de bleu)qui descend lui-même de deux « roses » anciens, ‘Morocco Rose’ (Loomis, 1937) et ‘Seashell’ (Loomis, circa 1925). C’est à ce dernier qu’il faut, semble-t-il, rattacher ‘Color Carnival’. « The World of Irises » dit ceci de ce ‘Seashell’ : « Il a fleuri dans le jardin de P.A. Loomis vers le milieu des années 1920. Petit, d’un coloris rose pâle avec des barbes mandarine, c’est le premier iris rose clair qui, même en bouton, ne montre aucune trace de bleu. » Il n’y a pas beaucoup de photos en couleur de ‘Seashell’. J’en ai trouvé une, il y a plusieurs années et, à bien la regarder, on y trouve quelques veines pourprées qui, s’il n’y a pas de confusion sur le cliché, ouvrent la voie à ‘Color Carnival’.

Quand on a essayé d ‘éclairer les origines, il faut voir les descendants. Ce n’est pas la foule : seulement 17 rejetons connus et enregistrés. Et parmi ceux-ci, bien peu qui aient hérité des traits de ‘Color Carnival’. Il y a ‘Color Festival’ (Perkins, 1953) qui est décrit comme « rose coquillage, fortement strié de violet, bords rose pâle. Le pedigree en est : (GoldenEagle X Color Carnival). Il y a aussi ‘Tangerine Carnival’ (Austin, 1957) qui a grosso modo les mêmes couleurs que le précédent, un peu plus chargé en violet. Et c’est tout ! La descendance directe de ‘Color Carnival’ s’arrête là.

Au cours d’une autre recherche, je suis tombé sur une image de ‘Flora Zenor’ (Sass J. , 1942), et j’y ai vu quelques veines pourpre clair sur le fond des sépales où le rose se change en mauve pâle. Ces traits pourraient venir de ‘Midwest Gem’ (Sass J. ,1937) son possible parent mâle qui, en effet présente des sépales légèrement marbrés de mauve. Malheureusement rien d’autre dans la descendance – pourtant importante - de ces deux variétés ne vient corroborer mes supputations, notamment dans une parenté entre ces deux-là et les géniteurs de ‘Color Carnival’. Le mystère de ce dernier reste toujours entier. 

Pendant un quart de siècle le modèle de ‘Color Carnival’ n’a pas été repris. C e n’est qu’en 1983 que ‘Crowd Pleaser’ (Hamner) lui a redonné une forme de vie. Mais les veines pourpres y sont nettement moins apparentes. Il apparaît cependant que cette variété serait susceptible de transmettre le modèle ‘Color Carnival’. En témoigne ‘Lady Winifred Beardsley’ (Anaya, 1991) et ‘Peach Royale’ (Meininger, 1999) ; le premier sous forme atténuée, le second en plus vif. A la génération suivante, dans la descendance de ‘Peach Royale’, le fond rose se perd, mais les veines pourpres restent. Bref on n’a toujours pas trouvé de succession à ‘Color Carnival’. 

 Allons plus loin, et regardons du côté de la famille Spoon. Cette fois le modèle réapparaît nettement chez ‘Diamond Blush’ (D. Spoon, 1997), même si le pedigree ((Cataldo x Infinite Grace) X Pink Attraction) ne le sous-entend pas. Et de plus il s’est transmis au croisement (Diamond Blush X Chatter) et aux deux variétés qui en viennent : ‘Autumn Rose’ (G. Spoon, 2007) et ‘Autumn Sunrise’ (G. Spoon, 2007). Est-ce une résurgence de ‘Color Carnival’ ou une coïncidence ? Je pencherais pour la deuxième solution. 

 Au hasard de mes pérégrinations parmi les photos d’iris, j’ai découvert ‘Pom Pom Girl’ (L. Miller, 1998) à propos duquel je me suis posé la question « Est-ce un nouveau ‘Color Carnival’ » ? La description qui en est donnée ne le laisse pas supposer, mais sur une première photo, signée Denise Stewart, la ressemblance est troublante, alors que sur une autre elle est beaucoup moins évidente ! Un examen du pedigree (((Coral Magic x Love Sonnet) x Vanity) X Role Model) laisse perplexe. En effet, peut-on dire que ‘Role Model’ ait un peu de l’apparence de ‘Color Carnival’ ? C’est un peu osé, même si la couleur des sépales présente certaines ressemblances ! 

 En fin de compte mes efforts pour rattacher ‘Color Carnival’ à une famille, ou tout au moins à un modèle affirmé n’ont pas abouti. Cet iris reste une énigme. C’est probablement ce qui lui a valu une longue présence dans les catalogues, c’est aussi ce qui contribue à l’intérêt que je lui porte.

Illustrations : 
· ‘Color Carnival’ (DeForest, 1949) ; 
· ‘Tangerine Carnival’ (Austin, 1957 ;) 
· ‘Flora Zenor’ (Sass, 1942) ; 
· ‘Peach Royale’ (Meininger, 1999) ; 
· ‘Diamond Blush’ (Spoon, 1997).

14.12.12

LES DILETTANTES

III. Nina Miroshnichenko (1914/2009) 

Voilà le type parfait de la dilettante. Femme d’officier soviétique, elle n’avait pas besoin de ça pour vivre. De plus, ingénieur agronome de métier, et parlant plusieurs langues, elle pouvait se débrouiller sans problème d’argent. Les iris, les glaïeuls et les lis étaient sa passion, et elle a pratiqué l’hybridation jusqu’à ses derniers jours.

 Voici quatre de ses nombreuses réalisations.





 · ‘Bronzovy Vek’ (1994)
 · ‘Feodor Chaliapin’ (NR) 
 · ‘Nebo Angelov’ (NR) 
 · ‘Zamriyanny Vals’ (1997)

A LA MANIERE DE ...

Amin Maalouf (Le périple de Baldassare) 

 (Pour ceux qui ne connaissent pas : Le héros, Baldassare, commerçant en curiosités dans une petite ville près de Beyrouth, a entrepris de se rendre à Constantinople, accompagné de ses deux neveux, pour se procurer un livre qui l’intrigue. Sur le chemin, il est rattrapé par Marta, une jeune femme qu’il aime en secret mais qui est mariée à un malfrat, et qui va elle-aussi à Constantinople, pour obtenir du sultan l’annulation de son mariage.)


 Journal de Baldassare 
10 septembre 1665

 Maudites soit les femmes qui ne peuvent pas retenir leurs gémissements lorsqu’elles approchent du paroxysme du plaisir ! Dans le khan où nous sommes arrivés hier soir, la nuit ne fut pas paisible pour un voyageur qu’une longue journée de chevauchée avait affaibli et endolori. Marta, allongée à mon côté, elle, a dormi d’un profond sommeil qu’elle a quitté ce matin fraîche et reposée. Je me suis, quant à moi, levé de fâcheuse humeur, et il m’a été pénible de reprendre la route. Notre caravanier, toujours autoritaire et suffisant, nous a expliqué que nous coucherions ce soir sous la tente, à proximité de la grande route entre Alep et Alexandrette. J’aime autant cette situation que l’inconfort d’un khan sans intimité. 

Vers midi nous sommes passés à Antioche. Pour ne pas nous retarder, le caravanier nous a fait contourner la ville par le nord, de sorte que nous n’en avons aperçu qu’une partie des remparts. Il est vrai que notre but n’est pas de visiter les prestigieuses villas romaines ou de retrouver les traces d’Antoine et de Cléopâtre, mais tout de même mes neveux auraient apprécié une courte escale. En fait nous avons tout de même obtenu que nous nous reposions un instant près de la Porte de Saint Paul, le temps de prendre notre repas à l’ombre de quelques pins. 

Plusieurs voyageurs se sont ensuite allongés et assoupis, de sorte que notre déplaisant guide n’a pas osé sonner aussitôt l’heure du départ. Marta a fait partie des dormeurs, mais quant à moi, échauffé par le souvenir de la nuit à l’hôtellerie, je n’arrivais pas à trouver le sommeil. Je me suis donc un peu écarté de la troupe, et j’ai marché sous les vieux murs qui ont connu les combats de l’hiver 1098 et les cris des hommes de Bohémond de Tarente ou de Godefroy de Bouillon. C’est à cet endroit que j’ai fait une découverte dont je dois parler. De loin j’ai aperçu une touffe de fleurs d’un admirable bleu profond. C’était surprenant, dans cette pierraille. En m’approchant j’ai identifié, à l’existence de deux fois trois pétales, une sorte d’iris dont seulement deux tiges se dressaient au-dessus des cailloux. D’ordinaire les iris fleurissent au printemps, mais sans doute les fortes pluies que nous avons connues dans le courant du mois d’août ont-elles trompé la nature et laissé croire à cette plante que le moment de fleurir était revenu. La fraîcheur de ces fleurs dans un endroit aussi minéral et désertique m’a remué le cœur. J’ai pensé à Marta, à sa peau douce et soyeuse, à son regard velouté. J’ai cueilli l’un des iris et je suis revenu, aussi vite que j’ai pu, vers notre campement. Marta était éveillée. Elle riait et plaisantait avec mon neveu Habib. Quand j’ai déposé la tige fleurie sur ses genoux croisés, elle m’a souri de telle façon que j’en fus tout tremblant. Mes sentiments pour elle deviennent chaque jour plus tendres et je crains que ne vienne celui où je ne leur résisterai plus. 


7.12.12

LA FLEUR DU MOIS

‘SHAKER’S PRAYER’ 

Ce n’est pas dans mes habitudes de chroniquer un iris de Sibérie. Une fois n’étant pas coutume, nous allons parler aujourd’hui de ‘Shaker’s Prayer’, l’une des plus jolies variétés de ce type.

‘Shaker’s Prayer (Carol Warner, 1989) est né sur la côte Est des Etats-Unis, dans le Maryland. Son obtentrice ne fait pas partie des stakhanovistes de l’hybridation car son catalogue ne doit comporter de cinq numéros : toujours des iris de Sibérie. En revanche c’est elle qui enregistre et introduit aux USA les variétés d’iris du Japon et de « pseudatas » obtenus au Japon par Hiroshi Shimizu. Avec ‘Shaker’s Prayer’ elle a atteint un certain niveau de célébrité puisque cette variété, remarquée dès son apparition (elle obtient la Walther Cup dès 1992), elle a collectionné les récompenses : HM en 1992, AM en 1994, Morgan-Wood Medal en 96. C’est un parcours éclair qui en dit long sur l’estime que les juges lui ont portée.

La Check-List décrit ‘Shaker’s Prayer’ comme suit :
« Pétales violets ; styles violacés ; sépales jaune d’or aux épaules, devenant blancs au centre, parcouru de délicates veinures lilas, bords violets. Parents inconnus. » C’est cette absence de parenté bien définie qui est le plus ennuyeux car on aurait aimé savoir avec certitude d’où vient une aussi jolie fleur. C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle sa descendance est restée confidentielle puisqu’il n’y a que deux iris qui avouent leur lien familial avec ‘Shaker’s Prayer’ : ‘Roadside Wonder’ (Ackerman, 2001) et ‘Seneca Butterfly’ (Borglum, 2003). Par dessus le marché, ni l’un ni l’autre de ces deux iris n’a fait une carrière commerciale digne de ce nom.

 La diffusion des iris de Sibérie reste assez faible. C’est pourquoi il n’est pas facile de rencontrer le héros du jour. A noter qu’il est toujours en vente dans la collection de la Maison Bourdillon.

 Les iris de Sibérie ne se collectionnent guère comme les iris de jardin. En revanche, au bord d’un bassin ou d’une mare, leur présence est quasiment indispensable pour un décor agréable. Je l’ai, pour ma part offert à une personne de mon entourage qui venait de créer dans son jardin une mare rustique, à l’abri d’un vaste noyer. Il est toujours là et chaque printemps j’ai le plaisir d’aller l’admirer. Pensez-y si vous songez à créer un point d’eau dans votre jardin, comme c’est actuellement la mode. Dans ce cas ‘Shaker’s Prayer’ à toute sa place chez vous.


Illustration : 
‘Shaker’s Prayer’ (photo par Lawrence Rettig).

LES DILETTANTES

II. Cedric Morris (1889/1982) 

En tout premier lieu peintre britannique de réputation internationale, Cedric Morris avait aussi une passion pour l’horticulture et, d’ailleurs, il vécut les 50 dernières années de sa vie à la campagne, en particulier dans son château de Benton End, dans le Suffolk. En plus des iris, il se consacrait aux pavots d’orient, aux géraniums vivaces, aux narcisses et à quelques autres plantes d’ornement.





· ‘Edward of Windsor’ (1945) 
· ‘Benton Daphne’ (1946) 
· ‘Benton Judith (1958) 
· ‘Benton Pearl’ (1949)

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Cadeau empoisonné 

 Dans la dernière livraison du Bulletin de l’AIS, Barry Blyth, le fameux hybrideur australien, donne une série de judicieux conseils. Parmi ceux-ci, il en est un à propos des noms qui peuvent être donnés à de nouvelles variétés : 
« Le bon nom à donner à un iris peut contribuer pour moitié dans le succès international d’une variété. Evitez, si possible de lui donner le nom d’une personne amie. Si vous êtes amené à utiliser le nom d’une personne, choisissez de préférence un nom familier, pas un surnom. Evitez l’usage de noms des personnes. Les surnom comme les noms de personnes tuent souvent la popularité. J’ai en ce domaine l’expérience de plus de cinquante ans dans la gestion d’une pépinière. Par dessus le marché, si vous utilisés le nom d’un ami, et qu’après plusieurs années vous décidez que la variété n’a plus de raisons de la conserver, qu’allez-vous raconter à votre ami ? Et c’est un risque qui n’est pas négligeable dans un monde où apparaissent chaque année plus de 1200 variétés nouvelles : la vie d’un nouvel iris est souvent très courte. »

LA VIE AVENTUREUSE DE FRED DeFOREST

De nombreux iris obtenus par Fred DeForest (1896/1960) portent des noms exotiques. Il ne faut plus s’en étonner quand on connaît un peu la vie aventureuse de cet homme avant qu’il ne se consacre essentiellement aux iris. Cette vie instable n’a en fait duré qu’une dizaine d’années, mais elle a été une étape majeure de son existence.

Cela commence en 1916 quand Fred DeForest s’engage dans la Cavalerie et s’en va faire le ranger le long de la frontière mexicaine. Cela se poursuit en pays Navajo où il se lance dans le commerce. Puis vient un épisode glacial, quelque part en Alaska, avant qu’il ne rejoigne la Californie à Novato, au nord de San Francisco, où il se lance dans l’élevage des poulets. Son affaire prospère et, au bout de quelques années, il peut se retirer, acheter une propriété à Monroe, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Salem, sur les rives de la Willamette, le pays des iris. C’est là qu’il arrête de bourlinguer et commence, à trente ans, une nouvelle vie qui, un peu plus tard, se poursuivra à Canby, dans la banlieue de Salem.

Pendant son séjour sur la baie de San Francisco il fait la connaissance de Sidney B. Mitchell, le « professeur » du monde des iris. William Mohr, vient de mourir et Mitchell exploite seul leur fond de commerce commun. A proximité, Carl Salbach est pépiniériste à Berkeley, spécialisé dans les iris. Ces deux adresses seront celles que Fred DeForest va fréquenter aussi souvent et longuement que le lui permettra l’élevage des volailles. Car il s’est amouraché des iris et songe à en faire son métier.

Il va mettre rapidement son projet à exécution, et c’est ce qui explique son installation dans la fameuse vallée de la Willamette. Il y restera jusqu’à la fin de ses jours, se créant dans le monde des iris une place prépondérante. Lancé à fond dans sa nouvelle passion, il va entrer en 1931 à l’AIS et, la même année épouser Caroline, qui travaillera avec lui et continuera son œuvre après sa disparition. Son attirance pour les iris se doublait d’un vif intérêt pour les hémérocalles et les azalées, mais néanmoins les iris sont restés son véritable fond de commerce.

Aujourd’hui encore les amateurs d’iris parlent de Fred DeForest comme de l’un des grands de ce petit monde. Il est vrai qu’il a non seulement enregistré aux environs de 200 variétés, mais aussi qu’il a récolté les plus hautes distinctions. N’a-t-il pas obtenu par deux fois la convoitée Médaille de Dykes ? Une première fois en 1952 pour ‘Argus Pheasant’, et une deuxième en 1956 pour ‘First Violet’. L’année suivante, 1957, c’est à Florence que son ‘Rehobeth’ obtenait la distinction suprême, et à la Convention de 1960, ‘Violet Hills’ recevait la Franklin Cook Cup. Cette même année 1960 lui réservait la prestigieuse Foster Memorial Plaque, une distinction qui a précédé de quelques semaines seulement sa disparition bien trop hâtive, puisqu’il n’avait que 64 ans.

 L’un des traits remarquables des iris signés DeForest était la qualité du branchement. Fred y était très attentif comme l’était auparavant Sidney B. Mitchell près duquel il avait fait son apprentissage. Il veillait aussi à la forme arrondie et la largeur des sépales parce qu’il avait compris que c’est cet élément qui donnait aux fleurs leur rigidité et, par conséquent, leur durée de vie et leur bonne tenue. Il faisait observer cela à ses visiteurs quand il leur montrait ‘Al Borak’ (1951), l’une de ses obtentions favorites.

En France, on a surtout apprécié ses ‘Color Carnival’ (1951), ‘Lula Marguerite’ (1956) et ‘Tall Chief’ (1956), des variétés que l’on trouve encore assez souvent dans nos jardins.

Source : Bulletin de l’AIS, n° 159, 1960. 




Illustrations : 
‘Argus Pheasant’ (1948) 
‘Al Borak’ (1951) 
‘First Violet’ (1952) 
‘Rehobeth’ (1953)