10.11.12

UN CHARDON DANS LA PIMPRENELLE


UN CHARDON DANS LA PIMPRENELLE
(désherbage et méditation)

« Je me rend compte que j’ai une différence d’appréciation avec Dame Nature à propos de mes massifs de vivaces. Je pense qu’il s’agit d’un jardin fleuri, elle croit que c’est une prairie où il manque de l’herbe, et elle essaie de corriger l’erreur. »
Sara Stein(1).

Ça va vous paraître paradoxal si je vous annonce que je vais faire ici l’éloge du désherbage. Pourtant c’est ce dont il va être question dans cette chronique. En effet, au mois de juillet, j’ai passé plusieurs journées à ce travail qui a mauvaise réputation, et, somme toute, je n’ai pas détesté ça !

Je m’y suis mis entre la fin de la pluie et le début de la chaleur. C’est qu’un jardin d’iris, c’est un endroit dégagé, où le vent est vif et le soleil vigoureux ! La perspective de plusieurs heures dans ces conditions exige qu’on choisisse précisément les conditions météo. Vous me suivez ?

Vous vous dites peut-être que je vous fait le coup de la coquetterie : « Il tient à tout prix à se montrer intéressant, le vieux, mais il est en fait comme les copains, le désherbage, ça le barbe et ça lui fait mal au dos ! » Eh bien vous n’y êtes pas du tout ! Je suis sincère. Je ne dis pas que j’aime le désherbage, mais je lui trouve des agréments. Je vous explique, et je commence par vous décrire comment je désherbe. Puisque mes iris se présentent sur deux rangs parallèles, j’arrache d’abord sur une moitié de la bordure, puis sur l’autre. Et comme le milieu de la bordure se trouve à peu près à l’extrémité de mon bras tendu, je puis tranquillement m’asseoir dans l’allée et arracher sans me plier l’échine. Vous allez vous moquer de moi : « Ha ! Le beau jardinier qui se traîne dans l’herbe ! Ça c’est du boulot ! » Vous pouvez dire ce que vous voulez, cela ne m’émeut pas et je continue d’affirmer que, ridicule ou pas, ma position de travail est confortable et peu fatigante. Dans une autre vie, j’ai été formé à l’ergonomie, et j’ai passé beaucoup de temps à expliquer à des manutentionnaires comment il devaient se positionner pour soulever des colis. Je sais de quoi je parle quand je vous dis qu’assis, je ne plie pas le dos et que je n’ai pas mal au rein en fin de journée. Pratiqué dans ces conditions, « à sa main » et sans se presser, le désherbage ne s’avère pas une corvée trop pénible. Il semble même que ce soit un moment auquel on peut trouver de l’intérêt. J’en vois sur deux plans : La tête à proximité du sol, on apprécie les moindres détails de la vie du jardin ; pendant que les mains travaillent, l’esprit peut librement vagabonder.

Le désherbage manuel vous fait vivre votre jardin comme vous ne le vivriez pas en restant dans la position verticale. Rien ne vous échappe : les plus infimes variations de la composition du sol, immédiatement repérées à l’apparition ou la disparition de telle ou telle espèce d’adventice, les petits hôtes des massifs, fourmis, punaises, petits coléoptères… Les plus insidieuses attaques de maladie, aussi, hélas et heureusement ! La moindre variation de l’environnement apporte son lot de modification dans la flore : tel arbuste a-t-il pris un peu d’extension, aussitôt les herbes qui poussent à son pied vont changer. Un peu plus d’ombre et la vesce cède la place à la violette, un peu plus de sécheresse et le sédum fait son apparition… Le spectacle change à peu près tous les deux mètres, et sans cette proximité qu’autorise le désherbage, on le manquerait à coup sûr.

Ce travail en lui-même n’exige pas une tension intellectuelle, et les gestes laissent le temps à la méditation. C’est un peu comme la pêche à la ligne : on fait attention à ce qui se passe, mais l’esprit est tout de même suffisamment libre. Alors pourquoi la pêche est-elle considérée comme un loisir, alors que le désherbage fait figure d’épouvantail ? Est-ce donc si plaisant de planter un hameçon dans l’abdomen d’un asticot ? Est-ce donc si fastidieux d’attraper des poignées d’herbe en se tenant au plus près du sol ? Choisissez le désherbage : les sujets de réflexion les plus divers vous viendront à l’esprit, dans un désordre total, un peu comme un rêve éveillé, inspirés aussi bien par le spectacle de la nature que par les bruits de l’environnement : le gazouillis du rouge-gorge qui est au-dessus de vous et qui guette le vermisseau dérangé par votre passage et qui va faire son repas ; le vrombissement d’une machine agricole qui moissonne sur le coteau ; la sirène d’une ambulance qui passe là-bas sur la route ; chez le voisin, le caquètement de la poule qui vient de pondre…Tout cela devient l’occasion d’une réflexion qui peut fort bien devenir des plus sérieuses, allant d’un petit événement familial aux conséquences des dernières élections ; mais qui peut tout aussi bien évoquer les usages différents de la ponctuation en anglais et en français, tout comme l’intérêt d'adapter la Constitution allemande à l’organisation d’une hypothétique Europe Fédérale !

Souvent, un détail, un minuscule incident détourne votre attention : Tiens ! Voyez cette grosse épeire au ventre tout rond qui se dépêche de quitter la zone de désherbage ; et pourquoi cette touffe de chardon est-elle venue se loger au milieu de ces pimprenelles ?

Le temps s’écoule et les grandes herbes qui enlaidissent votre plantation passent de la plate-bande à l’allée qu’elles quitteront bientôt pour le compost. Me prendrez-vous au sérieux si je vous affirme, parodiant Mme de Sévigné, que désherber est la plus agréable des choses, c’est arracher de l’herbe en rêvassant dans le jardin ?

(1) – Cité dans le blog de Terry Johnson.





2 commentaires:

Jean Ruaud a dit…

C'est sans doute la première fois que je commente dans ton blog, mais je voulais dire que j'avais apprécié, énormément apprécié, ce post.

Lisa a dit…

superbe réflexion à laquelle j'adhère pleinement.... quand je suis énervée, contrariée ou pire, je me jette au sol pour désherber, c'est une excellente thérapie!