2.11.12

ALLAN G. ENSMINGER


l’homme qui a mis les couleurs en morceaux

Qui est né au plus profond des Etats-Unis, a vécu 98 ans, a travaillé 37 ans pour le même patron, habité 64 ans au même endroit, et voué à son épouse un amour ineffable ? Réponse : Allan G. Ensminger.

Ce fut un homme simple, droit, fidèle et courageux. Il a connu une existence on ne peut plus banale, et pourtant il est connu pour l’originalité de ses créations.

C’est effectivement un pur produit de l’Amérique profonde, un enfant du Kentucky qui, de toute sa vie, n’a fait que traverser le Mississipi pour aller vivre dans le Nebraska. Sa vie professionnelle s’est déroulée en tant que cadre dans l’entreprise de pneumatiques Goodyear, pendant 37 ans. Ce n’est qu’en fin de carrière qu’il a quitté Lincoln, capitale du Nebraska, pour promouvoir outremer les produits de sa boîte, au Mexique, en Iran et en Irlande. Dès qu’il a pu, il est revenu à Lincoln, vivre tranquillement une longue et active retraite, auprès de sa très chère épouse Gladys. Il est mort en 2010, à l’âge de 98 ans, après quelques années passées en maison de retraite. C’était une fin ordinaire, pour cet homme actif, toujours à la recherche de la nouveauté.

Il s’est très tôt intéressé aux iris, et dès qu’il a pu il y a consacré tout son temps. Sa pépinière s’appelait Varigay iris Garden. Installée dans la banlieue de Lincoln, il y a créé un grand nombre de nouveaux iris (environ 150 ont été enregistrés), dans toutes les catégories. A près de 90 ans il parcourait encore ses champs d’iris pour y sélectionner et évaluer ses semis.

Il est connu dans le monde entier pour ses iris « maculosa » ou « broken color » comme on dit le plus souvent. On peut même dire qu’il lui revient d’avoir pratiquement créé et défini les BC tels que nous les connaissons aujourd’hui. Certes, avant lui certains avaient remarqué ces iris aux couleurs incertaines et présumé le succès qui pourrait être le leur, mais personne n’avait autant exploité ce filon avec autant de constance et de persévérance, et avec autant de réussite. Il a créé des iris vraiment nouveaux, mais n’a pas cherché à les imposer, au risque de s’attirer les sarcasmes des juges et le rejet du public. Il a commencé, fort astucieusement, à les présenter comme des fleurs de fantaisie, tout juste bonnes à faire sourire les visiteurs des jardins. Il n’a même pas enregistré ses premiers semis : il les vendait à la grosse, en disant simplement : « Essayez ça, c’est pas cher, et ça va intriguer vos amis ! » Cette façon de décrire ce qui n’avait pas encore de nom  a effectivement attiré l’attention des iridophiles et rencontré un certain succès. Pendant ce temps les semis d’Ensminger gagnaient en qualité et en élégance. De sorte qu’un beau jour il s’est décidé à leur faire franchir la grande porte et à les commercialiser comme des iris à part entière. Il y a eu les protestations effarouchées des conservateurs et des pusillanimes, mais le public a adhéré et les « broken color » sont entrés dans la course aux honneurs aux côtés des majestueuses productions de la maison Schreiner, alors souveraine sur le marché. Il y eut ‘Doodle Strudel’ (1976), ‘Inty Greyshun’ (1979), ‘Pandora’s Purple’ (1980), le célèbre ‘Batik’ (1981), considéré comme BB, mais qui atteint facilement la hauteur d’un vrai TB sous les ciels les plus cléments… L’affaire était lancée.  Ensuite vinrent les grands succès comme ‘Painted Plic’ (1983), ‘Maria Tormena’ (1987), ‘Peach Jam’ (1989), ‘Brindled Beauty’ (1994). D’autres obtenteurs ont rejoint le filon, la plupart du temps en utilisant les variétés d’Ensminger comme parents de leurs propres obtentions. C’est le cas de Brad Kasperek, qui se glorifie d’être l’héritier du maître de Varigay Garden. Aujourd’hui de très nombreux obtenteurs glissent au milieu de leurs collections des variétés « broken color », car le modèle ne fait plus peur, même si, parfois, les mélanges de couleurs ne sont pas bien esthétiques.

Mais là ne s’arrêtent pas son travail et il y a également à son crédit bien d’autres jolies choses. Car il aussi participé à l’amélioration d’un modèle difficile d’amoena, celui qui allie le blanc et le rose. Ce fut même le premier thème de son labeur. Il a commencé par proposer, dans ce domaine, ‘Almost Gladys’ (1978), en crème et rose corail. Le BB ‘Sonja’s Sela’ (1988) en est la plus belle suite, car ‘Karen Christine’ (1984) n’a pas atteint la même qualité. Mais c’est avec ‘Gladys my Love’ (1998), que l’on peut dire qu’il a atteint son but, et en dédiant cet iris à son épouse il en a fait une émouvante preuve d’amour.

Dans d’autres domaines, il s’est essayé avec plus ou moins de bonheur :
  • ‘Jazzebel’ (1987) intervient dans la lignée du modèle « Spinning Wheel » ;
  • Le petit ‘Suncatcher’ (1991) n’est qu’un jaune somme toute assez banal ;
  • ‘Joy Joy Joy’ (1995) retrouve une forme d’amoena bleu avec des parents BC ;
  • ‘Out of Nowhere’ (2003), très remarqué lors de sa présentation au concours de Florence, restera son chant du cygne.
Cependant, quelles que soient les qualités de ces différentes tentatives, le nom d’Ensminger est définitivement associé au modèle « broken color », et c’est en cela lui reconnaître le mérite qu’il a eu d’y croire et d’insister.





Illustrations :
-         ‘Maria Tormena’
-         ‘Peach Jam’
-         ‘Gladys My Love’
-         ‘Out of Nowhere’

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