5.10.12

AVIS DE GRAND FROID



Le grand froid est certainement le plus dangereux ennemi des grands iris. Cela s’explique fort bien au plan génétique. En effet nos grands iris actuels ont pour lointains parents, d’une part des espèces diploïdes originaires de la région méditerranéenne, d’autre part des iris tétraploïdes découverts au Moyen-Orient. Peu à peu les espèces diploïdes ont progressé vers le Nord, s’implantant dans des régions moins clémentes, mais qualifiées tout de même de « tempérées » ; elles n’ont pas colonisé les régions au climat continental. Quant aux espèces tétraploïdes, elles n’ont quitté leur milieu d’origine, sec et chaud, qu’au début du XXeme siècle, pour être cultivées en premier lieu en France, dans le Languedoc, puis en Grande-Bretagne. Elles ont toujours été fragiles au froid et c’est cette fragilité qui est une des raisons pour lesquelles elles ont été croisées avec les espèces européennes réputées plus résistantes. Quoi qu’il en soit, nos iris modernes ne sont pas des plantes insensibles au gel. Il faut cependant que celui-ci soit violent, ou accompagné de circonstances particulières comme une humidité importante, pour détruire les iris. C’est tellement vrai que, malgré de fréquents ravages, les grands iris ont été cultivés dans des régions qui ne leur sont a priori pas favorables. En Europe ce sont la Pologne, les Pays Baltes, la Russie ; aux USA ce sont les états de la Grande Prairie (Minnesota, Kansas, Nebraska, Oklahoma) ou des Rocheuses (Wyoming, Montana, Utah, Idaho) ; au Canada, l’Ontario. Dans ces régions, on ne compte plus les cas de destruction massive par le grand froid. Les frères Sass, dans le Nebraska, en ont plusieurs fois fait les frais. Si la Maison Schreiner a quitté St Paul (Minnesota) pour Salem, c’est pour cette raison et si Paul Black est parti d’Oklahoma City c’est parce que le froid et la pourriture avaient presque détruit tout son travail. Plus près de nous, Lech Komarnicki, dans le nord de la Pologne a vu ces dernières années, son travail sur les TB anéanti au moins deux fois, au point qu’il s’est dirigé vers les iris de Sibérie et leurs hybrides, qui tolèrent mieux les basses températures. 

N’y a-t-il donc aucune parade ? En fait, à ma connaissance, personne n’a encore trouvé le moyen simple de lutter efficacement contre le gel profond. Alors ? Comment font les Russes et les Ukrainiens ? Les uns et les autres usent de moyens artisanaux, comme le paillage ou le mulchage des bordures, ils bénéficient aussi de l’avantage d’un enneigement important : une épaisse couverture de neige, qui reste en place plusieurs semaines, protège parfaitement car sous la couche, la température ne descend guère en dessous de –5°, ce qui est tout à fait supportable. Lech Komarnicki me disait il y a quelques semaines que ce qu’il redoute avant tout c’est le froid sec, car dans ces conditions les TB gèlent dès –15°.

A défaut de neige, le paillage est la seule protection que l’on puisse envisager. Mais il a ses limites et sa mise en œuvre est plutôt pénible car dès la fin des frimas il va falloir enlever l’excédent de paillage pour laisser aux plantes l’air et la lumière dont elles vont avoir besoin pour pousser et débarrasser les bordures de leur disgracieuses couvertures. Compte tenu des ces inconvénients, est-il vraiment nécessaire de prendre ces précautions ? Tout dépend, en fait, de la fréquence des grands froids et du risque encouru. Dans la région de Grenoble, à altitude moyenne, Jean Peyrard fait pousser toutes sortes d’iris et affirme n’avoir que peu de pertes bien qu’il ne prenne aucune dispositions particulières. Alors ?

S’il y avait une protection vraiment simple et efficace, il y a longtemps que les irisariens l’auraient utilisée. Mais les meilleurs, et les plus exposés, n’ont rien trouvé de mieux que d’expatrier leurs collections ! C’est un peu radical comme méthode, et pas à la portée de tout le monde ! C’est pourquoi après chaque hiver glacial on entendra les amateurs d’iris déplorer les dégâts du gel, puis avec une persévérance admirable, reconstituer peu à peu leurs iriseraies sinistrées.

P.-S. C’est Antoine Bettinelli, un amateur vosgien, collectionneur d’iris et de maintes autres plantes, et photographe hors pair, qui m’a proposé le sujet de cette chronique, il y a quelques mois. Je l’en remercie bien amicalement.




Illustrations :

-         ‘Prairie Sunset’ (H. Sass, 1939)
-         ‘Carnival in Rio’ (P. Black, 1985)
-         ‘Poranna Mgielka’ (L. Komarnicki, 2010)
-         ‘Postoronniy’ (S. Loktev, 2007)


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