30.12.11

HONNEUR AUX ANCIENS





Quatrième semaine : les premières Dykes Medal.

Parmi les premiers récipiendaires de la Médaille de Dykes, en voici quatre, bien caractéristiques de leur époque.


‘San Francisco’ (Mohr, 1927)
‘Rameses’ (H. Sass, 1929)
‘Coralie’ (Aires, 1931)
‘Sierra Blue’ (Essig, 1932)

FAÇON IKEA


Quand j’ai dessiné mon jardin d’iris, j’ai choisi un plan labyrinthique, qui m’a été inspiré par ces parcs de maïs qui se sont multipliés quelques temps avant de plus ou moins disparaître, et qui ressemble un peu à celui d’un magasin IKEA. En plus petit !!

Les variétés sont plantées de part et d’autre d’une allée en herbe qui s’enroule sur elle-même et serpente sur le terrain. Les bordures sont constituées de deux variétés côte à côte, devant lesquelles on passe tour à tour en déambulant dans l’allée. En trois endroits il y a des « shunts » qui permettent d’éviter une partie du circuit, sans être obligé d’enjamber une bordure. C’est bien pratique pour l’entretien du jardin, et, à la saison des fleurs, cela évite les accidents que provoquent fréquemment les visiteurs impatients en enjambant carrément les bordures. Le circuit mesure au total environ 150 mètres. Quand on est passé partout, on se retrouve à côté du point de départ : la visite est terminée. Mais rassurez-vous, il n’y a pas de boutique à la fin du circuit, car il n’y a rien à vendre dans ce jardin-là. Mais seulement beaucoup à donner.

Le photographe qui est venu au printemps dernier filmer mon jardin pour l’émission « Silence, ça pousse » a apprécié, en outre, que le plan de plantation retenu fasse, à l’image, un effet de masse (ce qui l’a bien aidé car il ne restait plus beaucoup de fleurs au moment où il est venu, mais cette indigence ne s’est pas remarquée dans ses images). Donc si un jour (et il faudrait que je le fasse) je réorganise le jardin, je choisirai la même disposition puisqu’elle est économique en surface, pratique pour le jardinier, intéressante pour le photographe et agréable pour le visiteur. Que des bons points !

L’HORTICULTEUR DE MALÉTABLE



Dans les guides touristiques on parle de Malétable comme de la commune où un curé a fait construire une église à ses frais. C’est vrai que cela n’est pas banal car au milieu du 19eme siècle les curés de campagne n’étaient généralement pas riches. A Malétable, c’était différent. Mais savez-vous où se trouve Malétable ?

C’est un tout petit village d’une centaine d’habitants, situé dans le Perche, à quelques kilomètres de Mortagne, dans le département de l’Orne. Un charmant village, d’ailleurs, avec un petit ruisseau qui serpente dans la campagne, et passe au pied d’une gentilhommière solidement bâtie sur une hauteur pour profiter de la rivière sans en subir les inconvénients. Un grand parc, autour, avec quelques topiaires et bordures d’iris pallida… Est-ce pour rappeler que dans cette commune Marie Guillaume de Bure est mort en 1842 ?

La belle demeure qui vient d’être décrite était-elle la campagne de notre homme ? Je n’en suis pas certain, mais cela se pourrait bien. On peut tout au moins l’imaginer car l’âge de la bâtisse, ses proportions, son grand jardin auraient parfaitement convenu à un riche bourgeois imbu de botanique et d’horticulture.

Vous connaissez Marie Guillaume de Bure ? Non ? Mais si, vous savez bien, c’est celui qui, le premier a sélectionné et cultivé des iris issus de semis naturels. Il a même donné son nom à un iris plicata qui, pendant très longtemps, a connu une grande célébrité. C’est l’iris Buriensis qui, semble-t-il a maintenant disparu.

Marie Guillaume de Bure (1781/1842) n’était nullement prédestiné à obtenir la notoriété dans le domaine de l’horticulture. Il se distingua cependant dans ce domaine et, en dehors de son mariage à 32 ans avec une toute jeune fille originaire du Bourbonnais, et la naissance d’un fils unique, Albert (1822/1904), ne se signala en aucune autre manière. Il était le benjamin d’une famille de libraires et d’éditeurs ayant pignon sur rue dans le 7eme arrondissement de Paris. Il y avait longtemps que les de Bure donnaient dans l’édition mais leur fortune s’est arrondie au mariage du père de Marie Guillaume avec l’héritière de la famille d’Houry, autre famille de l’édition qui avait obtenu au 18eme siècle le privilège d’imprimer chaque année l’Almanach Royal, ce qui constituait un revenu impressionnant. Doté d’une fortune considérable , le père de Marie-Guillaume, François-Jean Noël (1743/1802) était devenu une sorte de banquier dans le milieu de l’édition. Mais cette belle situation allait s’effondrer quand, au cours de la Révolution, ses débiteurs ne purent plus le rembourser. S’ensuivit une faillite retentissante, qui fut prononcée en 1791, et allait bouleverser la vie de toute la famille. Pour se sortir d’affaire sa femme demanda le divorce de manière à sauver ses biens propres, quant à lui, il disparut de la circulation et fut même considéré comme décédé ! En réalité il s’était réfugié dans un village du Loiret où il travaillait comme prote dans une imprimerie…

Le père de l’iridophilie moderne avait deux frères, André et Laurent, ses aînés. André, né en 1772 est mort à 23 ans en 1795. Laurent, né en 1775, un an après la mort de Louis XV, a vécu jusqu’en 1864 sous Napoléon III. En 1795, à 17 ans, il s’est engagé comme simple soldat dans les armées de la Révolution. Il restera dans l’armée jusqu’à la fin de l’épopée napoléonienne et ne regagnera la vie civile qu’en 1816.
Ce sera pour se reconvertir dans la profession familiale, libraire-éditeur. C’est à un des ses descendants que je dois les informations à la base de la présente chronique.

Celui dont on peut dire qu’il est le fondateur de la dynastie est le grand-père de Marie-Guillaume de Bure, Jean de Bure (1702-1786). Cet homme s’était créé une sorte d’empire dans la librairie et l’édition avec plusieurs établissements à Paris et des magasins dans la proche banlieue (peut-être à Massy où Marie-Guillaume cultivait aussi des iris). Si vous passez par la rue Séguier, vous verrez, au coin du quai des Grands Augustins, un superbe immeuble, l’hôtel Feydau et Montholon, où hôtel des Didot, qui vient d’être restauré. C’est là que se trouvait au 18eme siècle, la maison d’édition de Bure.

Bien qu’apparemment sans activité professionnelle, Marie-Guillaume avait suffisamment de fortune pour vivre de ses rentes et s’adonner sans crainte du lendemain à sa passion pour les iris. A Malétable, il semble que l’on ait oublié son existence car dans aucun document je n’ai trouvé d’allusion à notre homme. C’est bien dommage. Il faudrait sans doute que la SFIB, qui a la charge de la défense et de l’illustration de l’iridophilie en France, fasse tout son possible pour que cette minuscule commune retrouve la mémoire de Marie-Guillaume de Bure et devienne, pourquoi pas, la capitale française des iris.

22.12.11

L’AUBERGISTE DE BETHLÉEM




Quand il est rentré chez lui, Gad, l’aubergiste de Bethléem, était d’une humeur massacrante. Asnath, la petite servante samaritaine s’est approchée de lui pour lui enlever ses sandales crottées, mais il l’a éconduite sans ménagement. Effrayée, Asnath s’était réfugiée près de Dinah, sa patronne : « Madame, lui a-t-elle dit, Monsieur est très fâché ! Il n’a pas voulu que je l’aide à se déchausser, et il a la lèvre tout enflée ! Je ne sais pas ce qu’il lui est arrivé ! » A son tour Dinah s’est approchée. En l’apercevant, Gad s’est écrié : « Ah ! Ma chère femme, c’est abominable. Si tu savais ce qu’il peut y avoir de traîne-sandales dans les rues de Hébron ! C’est infernal. Mais, nom d’un chien, pourquoi faut-il qu’on obéisse à ces putains de Romains ! Et quel besoin ont-ils donc de nous recenser et de nous compter comme des moutons ! » « Tout de même, hasarda Dinah, cela nous attire des clients. Nous allons avoir un taux d’occupation de presque 90 % ce mois-ci. Pour un mois d’hiver, c’est exceptionnel. » « Il faudra bien ça, rétorqua Gad, parce que par-dessus le marché je me suis fait voler ma bourse sur le chemin du retour ! J’ai essayé de me défendre, mais, comme tu peux voir, j’ai reçu un vilain coup de poing dans la mâchoire ! Non, c’est insupportable ! Et dès que ce grand mollasson de Pilate demande quelque-chose, ce flagorneur d’Hérode dit aussitôt « Amen » ! On n’est décidément plus chez nous ! »

C’est à ce moment qu’un jeune homme a poussé la porte de l’auberge. Une rafale de vent glacé en a profité pour s’insinuer dans la maison. Gad, qui n’avait pas encore enfilé ses sandales sèches s’est approché, l’air bougon. « Y a-t-il de la place dans votre auberge ? a demandé le jeune homme. Nous venons ici pour le recensement ; je suis accompagné de mon épouse, qui est enceinte… » « Y-a plus de place ! s’écria Gad, sans attendre la fin du discours, c’est complet pour ce soir ! » « Je m’appelle Joseph, tenta le jeune homme, j’arrive de Nazareth, en Galilée, et ma femme est très fatiguée. J’ai même peur qu’elle n’accouche dès cette nuit ! » « On n’y peut rien, reprit Gad, revêche, quand y a plus de place, y a plus de place ! Allez-voir ailleurs ! » « Y-a-t-il une autre auberge à Bethléem ? demanda Joseph, timidement. » « Non, il n’y en a pas ! Faut aller voir à Hébron. » « Il va faire nuit, continua Joseph, et ma petite Marie est vraiment épuisée… » « Mais puisque je vous dis que c’est complet, s’emporta Gad, allez voir ailleurs, je ne peux rien faire pour vous ! »

Joseph s’inclina poliment. Quand il ouvrit la porte, le méchant vent de décembre s’engouffra et fit frissonner tout le monde. « Tu as été bien dur avec ce jeune homme, osa dire Dinah ; nous aurions pu leur trouver un coin pour dormir, et il ne faut pas laisser partir les clients, par les temps qui courent ! » « J’en ai marre de tous ces étrangers ! Et qui te dit que ce n’est pas, lui aussi, un de ces voleurs, qui a essayé de nous attendrir avec cette histoire de femme enceinte. » Dinah n’insista pas : quand Gad est dans cet état, il n’y a rien à lui dire…

La nuit était tombée. Le grand gouffre noir s’était refermé derrière Joseph, et Gad, enfin au sec dans ses chaussons, ne pensait déjà plus à l’incident quand une rumeur étrange se mit a emplir l’air glacé : une mélodie délicieuse, si douce que tout le monde en resta interdit. Gad et Dinah, se sont demandé quel était ce prodige, mais, légèrement inquiets, ils ont barricadé leur porte et sont allés se coucher… Quelques heures plus tard une grande clameur a commencé à monter dans le village. Malgré la nuit et le froid, des bergers, des voyageurs courraient dans la rue en réveillant tout le monde : « Alléluia, alléluia, entendait-on de tous côtés. » Gad s’est levé et a ouvert sa porte. « C’est quoi, ce remue-ménage ? demanda-t-il a son voisin, sorti, comme lui, sur son seuil. » « Il paraît qu’un enfant est né tout à l’heure, dans l’étable d’Ephraïm, répondit le voisin, on dit qu’il est superbement beau, et que des anges sont descendus du ciel pour chanter et jouer du luth autour de la mangeoire dans laquelle il a été couché.»

Gad, à la fois incrédule et curieux, est allé enfiler une tunique. Il a pris une lanterne et s’en est allé vers l’étable d’Ephraïm, un peu à l’écart, à la sortie du village. L’air s’était soudain radouci et, venue de la mer, une brise tiède avait remplacé la bise glacée qui soufflait dans la soirée. Plus Gad avançait, plus la foule devenait importante. Tout Bethléem était accouru. Quand il a pu enfin s’approcher, l’aubergiste a tout de suite reconnu le grand jeune homme en pèlerine brune qui, quelques heures auparavant, lui avait demandé l’hospitalité. Il était là, debout dans la lumière tremblotante des lanternes, appuyé sur l’encolure d’un âne, penché vers la mangeoire où l’on apercevait le visage rayonnant d’un bébé. Gad est resté immobile, figé de stupeur et d’admiration. Son regard allait de l’enfant qui dormait dans la paille à la belle jeune femme qui se tenait à côté, à la fois pâle et radieuse, comme plongée dans un ravissement extatique. Le souffle régulier d’une vache, au-dessus d’elle, faisait voleter les cheveux qui s’échappaient de sa coiffe de voyage, et venait réchauffer un peu l’enfant dont les traits, d’une admirable pureté, semblaient rayonner dune lumière intérieure merveilleuse.

Sans lever les yeux vers celui qu’il avait éconduit, Gad s’éloigna discrètement. Il avait du mal à marcher tant l’émotion l’étouffait. Une allégresse inexplicable l’avait envahi, et il avait envie de chanter de toutes ses forces, mais il ne pouvait pas. A l’instant où sa voix allait s’élever dans la nuit, un remord affreux lui écrasait la poitrine : il avait ainsi refusé d’accueillir sous son toit cette délicieuse jeune femme ; il l’avait laissée aller mettre son enfant au monde dans une malheureuse cabane destinée à abriter la vache de ce benêt d’Ephraïm ! La honte et la tendresse l’envahissaient, alternativement. Le petit jour commençait à pointer vers l’Est, dans la direction de Jéricho. Dans la lumière naissante, une odeur fraîche et sucrée à la fois, s’élevait de touffes épaisses d’une plante basse qui poussaient de chaque côté de la porte de Gad. En plein mois de décembre, c’étaient les seules fleurs qui osent s’épanouir, des iris à peine bleutés, cachés au milieu de leur feuillage. Alors, le cœur battant, Gad se pencha vers ces fleurs claires et qui embaumaient l’air d’hiver. Il en cueillit une brassée et, les serrant contre lui, il se mit à courir vers l’étable…

HONNEUR AUX ANCIENS



Troisième semaine : Made in the USA.
La guerre de 1914 a freiné l’extension du monde des iris en Europe et favorisé l’émergence des obtenteurs américains.

‘Mother of Pearl’ (Sturtevant, 1930)
‘Lent A. Williamson’ (E.B. Williamson, 1919)
‘Purissima’ (Mohr-Mitchell, 1927)
‘Franck Adams’ ‘Lapham, 1937)

RECTIFICATION

Anne Milner qui est la conservatrice de la Collection Nationale des Iris d’Arthur Bliss, me fait remarquer que la photo de ‘Bruno’ publiée ici il y a quinze jours était erronée. Je la remercie vivement de s’intéresser à ce blog et de bien vouloir l’améliorer. Voici donc la photo qu’elle m’a envoyée du véritable ‘Bruno’.

16.12.11

HONNEUR AUX ANCIENS

Deuxième semaine : Vilmorin.
Avant l’ère Cayeux, les iris Vilmorin tenaient le haut du pavé en France. Ils manquent peut-être de variété dans les coloris car le bleu et le violet dominent largement, mais ils ont marqué leur époque.


‘Monsignor’ (1904)
‘Alliés’ (1922)
‘Alcée’ (1930)



‘Nérée’ (1930)

LA THÉORIE DU COMPLOT

C’est un phénomène qui a pris de l’ampleur depuis quelques années, et tout particulièrement depuis les attentats de 2001 aux Etats-Unis. Il a été favorisé par les moyens de communication moderne qui fournissent à ceux qui l’alimentent tout ce qu’il faut pour son développement. Mais de quoi s’agit-il ? De ce qu’on désigne sous le nom de « théorie du complot ». Cela peut se résumer par les phrases « on nous cache tout, on ne nous dit rien » ou « on est en danger, mais on nous dissimule le péril ». Certains, plus ou moins mal intentionnés, prennent plaisir à répandre des rumeurs alarmistes, étayées par des démonstrations artificielles mais spectaculaires, chargées de semer le doute et la peur dans l’esprit de ceux que leur discours atteint. Cette théorie trouve chez les gens un terrain d’autant plus favorable qu’elle met en cause les puissants et « ceux qui savent », mais auraient un intérêt personnel en jeu.

Mais en quoi cette théorie affecte-t-elle notre petit monde des iris ?

Un sujet est particulièrement sensible à ce genre de rumeur : la stabilité génétique des cultivars.

Dans tous les forums, dans de nombreux courriers, parmi ce que sur le net on appelle les FAQ (questions fréquemment posées) il est récurrent de trouver des affirmations du genre : « mes iris changent de couleur ». Il y a un peu plus d’un an, une discussion de ce genre est intervenue sur le forum de la SFIB. Une dame a déclaré fermement que des iris qu’elle avait vus bleus étaient devenus jaunes. Plusieurs autres amateurs ont embrayé sur ce sujet et fait des déclarations à peu près identiques. Bien sûr des gens bien informés sont intervenus à leur tour pour expliquer que la dégénérescence des iris n’avait jamais été constatée, mais la discussion s’est arrêtée sans que les convaincus du changement de couleur aient démordu de leur conviction, et sans que les partisans de la thèse inverse n’aient réussi à prouver qu’ils avaient raison !

Je suis moi-même intervenu dans ce débat. J’ai tenté de démontrer que le potentiel génétique des iris hybrides restait intact au fil du temps. Mais mon argumentation manquait de certitudes scientifiques. J’argumentais, entre autre, sur le fait que, si les iris dégénéraient, on ne devrait plus trouver trace des variétés sélectionnées au cours des années 1830/1900, mais cette preuve par l’absurde n’a pas empêché le tenant de la dégénérescence de maintenir leurs affirmations. Un point qui bloque, en fait, le débat, c’est qu’il faut, pour changer d’avis, admettre qu’on a pu laisser germer des graines parasites ou laisser traîner en terre un morceau de rhizome indésirable. Un jardinier consciencieux a du mal à reconnaître qu’il a manqué de soin ou de vigilance ! Et puis, il faut bien le dire, l’absence de connaissance irréfutable sur la raison de la stabilité génétique amoindrit le côté persuasif du discours !

J’ai tenté une démarche que j’ai crue capable de tuer le débat. J’ai demandé à Keith Keppel, la bible absolue en matière d’iris, de me donner les raisons scientifiques de la pérennité des gènes dans les rhizomes. Voici la réponse qu’il m’a faite :
«Certaines plantes semblent muter, à l’occasion : les glaïeuls, les camélias, les roses, les dahlias, les chrysanthèmes, etc. Mais les iris sont beaucoup plus stables et ne mutent que rarement. Pourquoi ? … Je ne sais pas.
En cinquante ans de culture d’iris (souvent sur ½ hectare, voire plus), je n’ai constaté que deux fois ce que j’ai pris pour une mutation. La plupart des cas de « changement de couleur des iris » mettent en cause soit des graines qui sont tombées au sol, donnant naissance à un semis d’une couleur différente, soit de petites pousses laissées dans la terre au moment d’une transplantation, mettant un an ou deux à se développer jusqu’à une floraison, d’une couleur différente de celle des plantes mises à la place de l’ancienne. »
Il se peut aussi que le jardinier ait arraché tous les iris sans bien les séparer les uns des autres, puis ait repiqué les meilleurs plants. Quelques variétés (souvent les blanches, bleues ou violettes) se développent plus vite et mieux, et alors que toutes les plantes mises en place étaient les mêmes, on est surpris que l’année suivante toutes les fleurs aient changé pour l’une de ces couleurs. »
Je ne suis pas plus avancé ! Et les tenants de la théorie du complot vont pouvoir continuer d’imaginer que les iris sont des mutants potentiels et qu’on dissimule cette particularité pour leur vendre des variétés qui dégénèrent tout de suite… Heureusement que les vrais amateurs d’iris auront suffisamment de respect pour ce que dit Keith Keppel et sauront que les variétés illustrées n’existeraient probablement plus si les iris hybrides dégénéraient ! On peut cependant toujours les voir, au Parc Floral de la Ville de Paris, à Vincennes, par exemple.




Illustrations :


· ‘Bruno’ (Bliss, 1918)
· ‘Contemplation’ (Cayeux, 1939)
· ‘Helios’ (Cayeux, 1928)
· ‘Purissima’ (Mohr-Mitchell, 1927)

9.12.11

HONNEUR AUX ANCIENS

De même que certains apprécient les voitures anciennes ou affectionnent les locomotives à vapeur, de même il y en a, dont je suis, qui s’intéressent aux iris anciens, ou « historiques » comme disent les Américains. Il existe même une société, fort active, qui leur est dédiée, le HIPS (Historic Irises Preservation Society). Pendant quelques semaines nous allons rendre hommage à ces anciennes variétés qui sont peut-être moins flatteuses que les modernes, mais qui ont ce charme qu’on prête aux vieilles dentelles.

Première semaine : au début.

‘Amas’ (Foster collected, 1885) – premier tétraploïde cultivé.
‘B.Y. Morrison’ (Sturtevant, 1918)


 ‘Faustine’ (Lémon, 1859)

ECHOS DU MONDE DES IRIS

Les temps sont durs

Judy Keisling, la Présidente de l’AIS, dans son dernier éditorial pour la revue « IRISES », déplore la perte d’adhérents dont souffre la plus grande association iridistique du monde. En dix ans elle est passée de 8250 adhérents à 3650 ! Toutes proportions gardées, une érosion dans les mêmes proportions atteint la SFIB, chez nous, en France. Cela n’est pas rassurant parce que l’AIS, c’est le secrétaire mondial de l’irisdom : enregistrement des nouvelles variétés, formation de juges, édition des documents… Si elle venait à disparaître, faute de membres, une période d’anarchie très préjudiciable s’installerait partout dans le monde des iris.

Le blog des iris botaniques

Grâce à Jean-Luc Gestreau j’ai découvert www.irisbotanique.over-blog.com . J’ai tout de suite apprécié la qualité des photos et les informations m’ont semblé fort pertinentes. Mais je ne suis pas du tout spécialiste des iris botaniques. J’ai donc sollicité l’opinion de Maurice Boussard, la sommité françaises en ce qu concerne les iris et toutes les iridacées. Voici ce qu’il m’écrit : « Non, je ne connaissais pas ce blog ; descriptions et photos sont en général assez exactes, ces dernières bien nettes et montrant parfois des espèces fort rares. Ai toutefois noté une erreur dans les Neomarica : la photo située entre N. longifolia & lutea me parait être (genre voisin) Trimezia steyermarkii. »

Ces superbes photos n’indiquent que rarement qui est leur auteur. Sans doute s’agit-il du blogueur lui-même.

Cela dit, il ne s’agit pas d’une « wiki » soigneusement vérifiée et corrigée, mais d’un blog rédigé « au fil de la plume », une plume qui laisse passer de trop nombreuses fautes d’orthographe. Péché véniel, facile à corriger, mais qui doit l’être pour que ce blog soit pris au sérieux.

SYMPATHIES EPISTOLAIRES (II)




Reprenons aujourd’hui les souvenirs épistolaires…

Le metteur en scène.


Le petit monde des iris renferme bien des situations originales. Avec Lech Komarnicki, on aborde un domaine qui n’est pas banal. Cet obtenteur polonais fut, dans une vie antérieure, un brillant metteur en scène de théâtre. Dans son pays il reste une référence. C’est aux abords de la retraite qu’il s’est reconverti dans les iris où il a connu quelques plaisants succès, mais aussi bien des malheurs. L’AIS a reconnu ses mérites en lui accordant en 2011 la Warburton Medal, qui récompense une personne qui a contribué à l’expansion des iris en dehors des Etats-Unis.

C’est toujours grâce à Iris & Bulbeuses que nous nous sommes connus. Il y eut une fois dans la revue une controverse sur les origines des iris broken color. Jean Ségui soutenait qu’il s’agissait de l’effet d’une virose, je disais qu’on était plutôt en face d’une mutation liée au modèle plicata. Lech Komarnicki, membre de la SFIB et recevant la Revue à ce titre, a pris le parti de la mutation et ce soutien me l’a évidemment rendu sympathique. Par la suite nous avons échangé quelques lettres, jusqu’au jour où il m’a annoncé que dans son coin de Cujavie, dans le nord-ouest de la Pologne, ses iris n’avaient pas supporté les rigueurs d’un hiver froid et humide.

Un mouvement de solidarité déclenché via Internet a permis de reconstituer en partie ce qui avait été détruit. Depuis nous sommes restés en relations épisodiques, qui durent toujours.

Il préférait les glaïeuls.

Adolf Volfovitch-Moler a commencé à être connu dans le monde des iris, le jour où son ‘Ikar’ a remporté le concours de Florence, en 1995. Ce fut aussi le début de nos relations épistolaires qui se sont soldées par des échanges de rhizomes et des commandes de variétés originaires d’Ouzbékistan, ce qui met de l’originalité dans une collection ! A l’époque les variétés présentes en Ouzbékistan étaient des iris américains des années 60, et c’est avec ce matériel un peu obsolète que Volfovitch-Moler travaillait. La possibilité pour lui d’obtenir par échanges des variétés occidentales modernes était une aubaine car, tout chercheur qu’il était dans un Institut officiel du régime soviétique, il ne disposait pas d’argent pour effectuer des achats aux Etats-Unis. D’ailleurs, bien endoctriné par ses maîtres soviétiques, il s’imaginait que tous les Occidentaux étaient des requins plus ou moins malhonnêtes ! Il n’avait donc guère confiance dans les résultats d’une commande outre Atlantique !

En plus des iris, il hybridait les glaïeuls. Et manifestement il était plus fier de ses résultats avec ces bulbeuses que ceux obtenus avec les iris. Je lui ai proposé de faire cultiver ses variétés chez un producteur français de renom. J’ai servi d’intermédiaire pour faire parvenir à la Maison Turc les bulbes ouzbeks. L’année suivante, la réponse que j’ai reçue n’a pas plu à ce cher Adolf. Bien que la Maison Turc ait trouvé les glaïeuls superbes et certainement dignes d’intérêt, elle a expliqué qu’elle avait été obligée de les détruire car ils étaient atteints d’une virose qui risquait de contaminer toute la production de cette auguste maison. Volfovitch s’est offensé et a laissé entendre que cette soi-disant virose était un argument lamentable avancé pour que les variétés européennes ne soient pas supplantées, ou tout au moins concurrencées, par les merveilles de Tashkent !

Peu de temps après cet incident, Adolf Volfovitch-Moler est décédé. Mais il me reste de lui plusieurs variétés d’iris qui, sans forcément être aussi révolutionnaires que les glaïeuls, sont de très bonnes plantes de jardin.

C’est bien grâce aux iris que j’ai pu lier ainsi des relations sympathiques avec des gens qui sortent de l’ordinaire. S’il n’y avait que cette satisfaction, elle serait déjà suffisante. Mais quand on y ajoute le plaisir des iris, je puis dire que j’ai été comblé.

Illustrations :
· ‘Evelyn Likes Me’ (Komarnicki, 2005) ((Temple Gold x Saffron Robe) X Mystic's Muse)
· ‘Tajemnica’ (Komarnicki, 2005) ((Temple Gold x Saffron Robe) X Deltaplane)
· ‘Rah Rah Boys’ (Volfovitch-Moler, 1997) (Pink Sleigh X Vdoknovenie)
· ‘Symphonija’ (Volfovitch-Moler, 1992) (Pipes of Pan X Rippling Waters)

2.12.11

LA FLEUR DU MOIS






‘DAZZLING’
Paul Black, 2008


Dans la description qu’il en donne dans son catalogue, Paul Black écrit : « La couleur des pétales et des styles blancs de Dazzling réapparaît dans un liseré étroit et précis autour des sépales, d’un bleu pourpré moyen. Les barbes, d’un orange brillant, jaillissent d’un bouquet de courtes flèches blanches disposées tout autour. Dazzling crée une brillante tache de couleur dans votre jardin. » J’ajouterai que l’on trouve du jaune aux épaules, ce dont Black ne parle pas.

On sait que Paul Black est un excellent hybrideur. Aujourd’hui il se situe même au tout premier plan, en compagnie de Keith Keppel, de Tom Johnson, de Richard Tasco et de son compère Roger Duncan, et de quelques autres qui enlèvent toutes les récompenses étasuniennes depuis quelques années. Il excelle dans les TB, mais il n’est pas moins intéressant dans son travail avec les médians et les nains. Et ‘Dazzling’ est là pour le prouver.

Cette jolie variété a en particulier doublement séduit les visiteurs de la Convention de l’AIS à Victoria, au Canada, en 2011, puisqu’ils lui ont attribué à la fois la Franklin-Cook Cup (meilleure variété « locale ») et la Hager Cup (meilleur iris autre que TB). C’est la première fois qu’une telle unanimité se fait jour.

‘Dazzling’ a pour pedigree (Country Dawn sib X Devoted). ‘Country Dawn’ (Johnson, 2002) est un TB. ‘Devoted’ (Black, 2005) est un SDB. On est donc devant les origines classiques d’un IB ; pas de surprise de ce côté là !

‘Country Dawn’ (Johnson, 2002) est issu de (Sunshine Song X Goldkist) et il ressemble beaucoup à son parent féminin, avec beaucoup de blanc mais des sépales largement colorées de jaune d’or ; on peut imaginer que son frère de semis, utilisé dans le cas présent, montre des dispositions voisines. Quant à ‘Devoted’, son pedigree est un peu plus compliqué : (Puddy Tat sib X (Time to Shine x (Hot Jazz x Quote))). C’est de ce côté là qu’il faut chercher la couleur générale de la fleur, avec, notamment, les traits blancs de chaque côté de la barbe et le liseré clair. Le croisement d’un blanc et d’un amoena violet a donné naissance à ce qui est un cocktail des deux. De ‘Devoted’, le père, le violet pourpré et les veines blanches des sépales, de ‘Country Dawn’ le blanc pur des pétales, mais aussi les traces jaunes des épaules.

Avec une hauteur d’environ 60cm, ‘Dazzling’ est un IB de bonne taille qui fera bonne figure au jardin où ses couleurs ravissantes attireront le regard. Il ne faut pas négliger les IB, surtout lorsqu’ils ont les qualités de celui-ci, car ils apportent le plaisir de grandes fleurs un peu plus tôt que la saison normale des TB dont ils ont, par ailleurs, une apparence très proche. ‘Dazzling’ mérite bien d’être sacré ici « Fleur du Mois ».

QUELQUES DÉFINITIONS





Dixième semaine :
Pour finir, les appendices pétaloïdes qui se greffent à l’extrémité des barbes. On les appelle :
SPACE AGE ou, plus universellement, « rostrata ».
· ‘Horned Flare’ (Austin, 1963): son obtenteur fut le premier à deviner l’avenir des « space age ».
· ‘Ostrogoth’ (Peyrard, 1994): les éperons sont discrets, comme ils l’étaient souvent au début de l’histoire.
· ‘Epée Violette’ (L. Bourdillon, ca 2000): Luc Bourdillon a eu la main heureuse en sélectionnant ce semis, dont on regrette qu’il ne soit pas enregistré. C’est un descendant de ‘Thornbird’.
· ‘Gaius’ (Muska, 2007): Muska s’est intéressé très tôt aux SA. Celui-ci, parmi ses dernières variétés, est aussi l’une des plus réussies.

SYMPATHIES EPISTOLAIRES

Je ne les ai jamais rencontrés. Nous avons seulement échangé quelques correspondances, mais cela a suffi pour que je ressente envers eux une vive sympathie. Les lignes qui suivent vont évoquer ces sympathies épistolaires.

Le jardinier de la Valette.

De mes relations épistolaires, celles avec Igor Fédoroff sont les plus anciennes. Elles ont commencé au début des années 80, peu après que j’ai été accroché par la passion des iris. J’avais proposé dans la Revue Iris & Bulbeuses de faire un échange de rhizomes avec d’autres amateurs. Igor Fédoroff a répondu et nous nous sommes adressé la liste des variétés que nous pouvions proposer. Puis les lettres sont devenues plus amicales, plus personnelles. Igor Fédoroff, dans son petit appartement de La Valette du Var, avait de gros soucis familiaux, et ses travaux d’hybridation, commencés dans sa terre du côté de Cuers, se poursuivaient modestement sur son balcon. Et dans ces conditions minimalistes il a réussi des merveilles ! Des variétés comme ‘Cotignac’, ‘Mirasouleou’ ou ‘Aygade’ ou encore ‘Sables d’Argent’ sont du niveau de celles obtenues à la même époque par les hybrideurs professionnels. Mais, en dehors de ‘Sables d’Argent’, aucune n’a jamais été enregistrée. C’est une erreur qui ne serait plus commise aujourd’hui, où l’on n’hésite plus à inscrire ses obtentions dans le registre mondial.

Dans les années 80, la collection d’Igor Fédoroff était une des plus importantes et des plus originales de France. Il n’avait pas hésité à passer commande directement auprès des producteurs américains et de nombreuses variétés de l’époque n’étaient présentes en Europe que chez lui. Au même moment Jean Ségui avait suivi le même chemin et l’on en a encore la trace dans le catalogue de « Iris de Thau ».

Les iris échangés à cette époque sont encore pour la plupart présents dans ma collection. En particulier plusieurs de ses obtentions, et j’ai plaisir, chaque printemps à les retrouver, fidèles et chargées de toute la sympathie que j’ai toujours pour leur auteur.

Celui qui aime l’insolite.

C’est encore pour la Revue Iris & Bulbeuses que j’ai fait connaissance avec Ladislaw Muska. Je préparais pour la revue une série d’articles sur le développement de l’iridophilie en Europe de l’Est, au moment de la chute des régimes totalitaires dans ces pays. J’avais pris son nom dans la liste d’obtenteurs qui figure chaque année dans le livret « Registrations and Introductions » de l’AIS. J’ai écrit, il m’a répondu très gentiment en me donnant des informations sur lui-même et sur sa passion pour les iris. Nous avons continué à nous écrire et peu à peu j’ai fait mieux connaissance avec lui.

Sa formation et son activité professionnelle dans le domaine scientifique ne gênaient pas sa curiosité pour l’insolite : contes, légendes, mythologies de toutes les parties du monde étaient son autre passion, et il a rassemblé les deux dans les noms qu’il a donnés à ses iris, qui nous laissent souvent perplexes vire profondément interrogatifs.

Dans son travail d’hybridation, il a abordé bien des domaines, mais il a agi essentiellement dans ceux des iris à éperons et des plicatas. Sans doute a-t-il péché quelque fois en ne se montrant pas assez sélectif, mais il a longtemps remporté toutes les compétitions d’Europe Orientale car il fut un précurseur admiré.

Illustrations :
· ‘Aygade’ (Fédoroff, circa 1975) (Cambodia X Magic Potion)
· ‘Cotignac’ (Fédoroff, circa 1975) (pedigree non précisé)
· ‘Don Epifano’ (Muska, 1989) (Laced Cotton X Pink Angel)
· ‘Gil y Gil’ (Muska, 1999) ((Edith Wolford x Celebration Song) X (Sweeter than Wine x Erebuni))




(la suite au prochain numéro).