25.11.11

QUELQUES DÉFINITIONS


Neuvième semaine :
Les Américains disent « rebloomer », en français, c’est REMONTANT et ceux qui veulent faire savant disent « polyanthésique ». Cela désigne les iris qui, après leur floraison printanière normale, refleurissent pendant l’été et parfois jusqu’aux gelées.
· ‘Eternal Bliss’ (Byers, 1988): un exemple de fidélité dans la remontance.

·

 · ‘Istanbul’ (Byers, 1990): autre réussite dans le genre. 
 ‘Lichen’ (Byers, 1989): peut-être le plus floribond. Il fleurit sans interruption jusqu’à Noël.
· ‘Autumn Breeze’ (M. Sutton, 2011): son obtenteur est fier de cette réalisation toute récente qui remonte tout l’été.

UNE ROUTE DE MILLE LIEUES : UN AVIS ÉCLAIRÉ



Michelle Bersillon, m’a envoyé l’avis ci-dessous à propos de amoenas roses. On peut l’écouter, elle sait de quoi elle parle !

« C'est effectivement un chemin très difficile, je crois, car on s'oppose (au moins dans le cas des iris roses) à une tendance naturelle à avoir sépales plus clairs que les pétales. Je pense que ça sera plus facile de faire des amoenas rose inversés. En fait, ce n'est qu'une théorie de ma part, parce que j’ai l’idée qu'on s'oppose à une tendance naturelle en essayant de créer un amoena rose, car j'ai souvent constaté des sépales plus clairs sur beaucoup d'iris roses, d'où mon projet d'amoena rose inversé. Barry Blyth a encore publié une page de photos d'amoena rose dans son catalogue 2011-2012, des semis avec pedigrees incluant des plantes comme Adoree, I'm Dreaming, Alpine Harmony, Ginger Ice, First Avenue, etc., quelques-uns assez réussis ! Il dit qu'aucun ne possède des pétales suffisamment blancs et que plusieurs n'ont pas des qualités végétatives satisfaisantes ou bien que leur branchement est insuffisant… Donc, un route très longue, effectivement, mais je serai tenté de dire : ce n'est pas le résultat qui compte, c'est le chemin. »

Témoin de son travail, deux jolis semis, un peu pâles, mais bien venus :
· 0709Dter
· 0709Oter
(Going Home X Electrique).

SUR LA CÔTE DU PACIFIQUE

Quand on lit ce qu’en écrit Richard Cayeux dans son livre « L’Iris, une Fleur Royale », on se dit qu’il faut être un peu casse-cou pour se lancer dans la culture des iris de Californie. Il leur faut en effet un sol légèrement acide, riche en humus, bien drainé, de la sécheresse pendant l’été et beaucoup d’eau en automne, pas de gel ! A lire cette énumération, je me dis qu’ici, en Touraine, ce n’est pas la peine d’essayer ! Pourtant ces hybrides sont bien tentants. A cause de leurs jolies couleurs, de leurs formes gracieuses et de leur petite taille qui en fait des plantes morphologiquement adaptées aux petits jardins de ville et aux bordures des espaces verts urbains.

Ces hybrides-là n’ont commencé à devenir présents sur le marché que depuis une trentaine d’années. Ils ont été développés, essentiellement dans leur contrée d’origine, la côte ouest des USA, de l’Oregon à la Californie. Ils proviennent de croisements entre quatre espèces que l’on trouve là-bas : I. douglasiana, I. innominata, I. tenax et I. munzii. Graeme Grosvenor (Iris, Flower of the Rainbow) décrit très bien l’apport de chacune de ses espèces :
Iris douglasiana pour le branchement, le nombre de boutons, la vigueur et la rusticité ; I. innominata pour le choix des coloris et des formes, la facilité de culture et la longueur de la floraison ; I. tenax pour accroître les qualités ci-dessus, et I. munzii pour le coloris bleu et les fleurs gaufrées.

Ces iris se présentent avec des fleurs plutôt étroites, très élégantes, dans un choix de couleurs assez proche de celui des grands iris des jardins, avec une prédilection pour le jaune et le pourpre. Le feuillage est lui aussi long et étroit, et se rapproche de celui des iris de Sibérie. Pour la taille, cela va de 30 à 60 cm. Le port compact ajoute une impression de robustesse.

Comme il se doit, les hybrides actuels proviennent presque exclusivement de la côte Ouest des USA. Le principal obtenteur en est Joseph Ghio (il a obtenu 15 fois la Mitchell Medal (1), depuis 1973 !) . En Grande-Bretagne, quelques obtenteurs se sont lancés dans l’aventure, avec un certain succès.

Toutes ces belles dispositions font que les iris de Californie devraient être promis à un bel avenir. Mais ils restent aujourd’hui d’une diffusion plutôt confidentielle, d’une part parce qu’ils ne constituent qu’environ 3 % du nombre des variétés annuellement enregistrées, d’autre part parce qu’ils sont très peu commercialisés.

Malgré ces handicaps, les iris de Californie peuvent faire rêver. Ne nous en privons pas et admirons quelques-uns des cultivars les plus remarquables :
‘Amiguita’ (Nies, 1947 – Mitch. 1974) : pétales étroits, coloris frais, proche de l’espèce I. douglasiana.
‘Baby Blanket’ (Ghio, 1998) : des couleurs très élaborées ; des pétales larges, assez voisins de ceux d’un iris de Louisiane.
‘Coastal Glow’ (Aitken, 1992) : la couleur rappelle celle d’une sous-espèce de I. douglasiana.
‘Pacific Glaze’ (Aitken, 2010) : une évolution récente qui privilégie la largeur des pétales.
‘Wild Survivor’ (Plotner, 2003 – Mitch. 2011) : le dernier vainqueur de la MM. ; retour à une forme plus traditionnelle et a un coloris naturel, qui est proche de I. tenax ou I. munzii.

(1) La Sidney B. Mitchell Medal récompense chaque année depuis 1973 la meilleure variété d’iris de Californie.

18.11.11

ECHOS DU MONDE DES IRIS

GHIO 2012

Joë Ghio, infatigable, continue sont exceptionnel travail d’hybrideur. Il présente cette semaine sa collection 2012, tout aussi remarquable que les précédentes. Pour en donner une idée, voir la photo ci-jointe d’une variété qui reprend les caractéristiques de ‘Slovak Prince’, avec un liseré brun au bord des pétales.
‘Superhero’ (Ghio, 2012)

QUELQUES DÉFINITIONS





Huitième semaine :
On arrive à des subtilités, des détails, avec les : FLAMME = rayures blanches ou claires sur les sépales autour des barbes ou sous celles-ci ;
SPOT = tache sombre sous les barbes sur un fond clair ou d’une couleur différente ;
ZONAL = surface blanche ou claire autour des barbes, au centre des sépales.
DISTALLATA = quand des sortes de griffures anthocyaniques apparaissent sur un fond de sépales blanc taché au centre de pigments caroténoïdes.
· ‘Barocco’ (P. Anfosso, 1988): jolie réalisation française, avec une flamme bien nette.
· ‘Lights Camera Action’ (Baumunk, 1999): la tache sombre est remarquable.
· ‘Suky’ (Mahan, 1991): cette fois la tache est blanche, et le modèle est dit « zonal ».
· ‘Spring Madness’ (P. Black, 2009): on ne compte bientôt plus les distallatas tant ils se sont multipliés ces dernières années. Celui-ci est l’un des meilleurs.

UNE ROUTE DE MILLE LIEUES






Quand bien même ferait-elle mille lieues, une route commence toujours par un premier pas. C’est un adage chinois attribué à Lao-Tseu. Dans le domaine des iris, il s’applique à l’évidence. Toute recherche, toute tentative de création d’un nouveau modèle ou d’un nouveau coloris commence petitement et progresse grâce à l’énergie et à l’opiniâtreté de ceux qui l’entreprennent. C’est ainsi le cas dans la quête de l’amoena abricot (ou rose) que plusieurs hybrideurs ont abordée mais qui est encore perfectible après plus de cinquante ans de travail. L’ouvrage est difficile et Barry Blyth lui-même, dont on connaît les succès en maints domaines, avoue ne pas encore être satisfait de ce à quoi il a abouti jusqu’à maintenant.

Encore faut-il découvrir où se situe le premier pas pour commencer de suivre une évolution. Dans le domaine des amoenas abricot, comme la plupart du temps, on peut en trouver plusieurs.

Dans une première lignée, je choisirais volontiers ‘Youthful Charm’ (Stevens, 1961) pour point d’entrée. D’autant plus qu’auparavant, on n’a pas de certitude quant aux origines. A partir de ce ‘Youthful Charm’, pourtant bien pâlot, une route s’est ouverte, qui passe par ‘Sunset Snows’ (Stevens, 1965), déjà plus coloré, et aboutit à ‘Lisa Ann’ (Blyth, 1977), qui est le point de convergence avec une autre souche qui remonte au-delà de ‘Snow Peach’ (Shoop, 1971). Cependant ‘Lisa Ann’ reste perfectible, et Barry Blyth ne s’est pas privé de l’améliorer. D’abord avec ‘Love Chant’ (1979), puis avec ‘Chinese Treasure’ (1983). ‘Beach Girl’ (1983) poursuit la série. Celle-ci s’enrichit de ‘Amber Snow’ (1997), proche de la perfection, et, dans une autre teinte, de ‘Crazy for You’ (1998) et même de ‘Imprimis’ (1992). La maison Schreiner, quant à elle, a réalisé en 1998 à partir de ‘Beach Girl’ un joli amoena rose nommé ‘Sugar Magnolia’, et Richard Cayeux, à partir de ‘Cameo Wine’ (Blyth, 1982), descendant direct de ‘Snow Peach’, a obtenu le délicat ‘Crème Glacée’ (1994).

‘China Gate’ (Plough, 1967) peut être considéré comme un autre premier pas car ses antécédents, ‘Gay Paree’ (Plough, 1954) et ‘Palomino’ (Hall, 1951) ne sont pas vraiment des amoenas. Il a été sérieusement amélioré avec ‘Java Dove’ (Plough, 1964) qui affiche franchement ses couleurs d’amoena abricot. ‘Java Charm’ (Plough, 1976) n’apporte pas un progrès considérable, mais d’autres descendants de ‘Java Dove’ sont plus intéressants. C’est Dave Niswonger qui semble avoir obtenu les résultats les plus probants. ‘Coral Strand’ (Niswonger, 1976), ‘Coral Cheeks’ (1985), marquent un peu le pas, mais ‘Ambrosia Delight’ (1984) puis ‘Tranquil Beauty’ (1990) sont nettement plus contrastés. Plus près de nous, ‘Pumpkin Cheesecake’ (1995) et surtout ‘Transorange’ (1999) marquent un réel progrès et tendent de plus en plus vers l’amoena orange. ‘Transorange’ allie d’ailleurs la lignée américaine amorcée par ‘China Gate’ et la lignée australo-néo-zélandaise poursuivie par Blyth puisque son pedigree est (Apricot Frosty X (Love Chant x Ambrosia Delight)).

Niswonger, qui est peut-être le plus attaché à l’amélioration des amoenas oranges, a associé une autre fois les lignées australiennes et américaines et a obtenu ‘Betty Dunn’ (1995), qui est de ((Coral Strand x Lisa Ann) X Champagne Elegance). Cette variété, bien contrastée a été utilisée fréquemment et a donné naissance à plusieurs amoenas roses ou oranges de qualité, comme ‘Milk on Apricots’ (Niswonger, 2000), ‘Heaven and Earth’ (Lauer, 2004) et ‘Struck Twice’ (Lauer, 2009).

On arrive aux jours actuels. La partie n’est pas encore jouée. La route de mille lieues est sans doute encore longue ; les chemins d’origine sont maintenant confondus, et la grande famille des amoenas s’enrichira encore de variétés qui nous raviront.

11.11.11

QUELQUES DÉFINITIONS





Septième semaine :
Quand le modèle plicata perd la boule et que les couleurs se juxtaposent n’importe comment, mais sans vraiment se mélanger, on sera en présence d’un BROKEN COLOR, un « maculosa » en latin de cuisine.
· ‘Brindled Beauty’ (Ensminger, 1994): Allan Ensminger fut le véritable promoteur des Broken Color.
· ‘Wizard of Odds’ (P. Black, 2007): un BC flamboyant.
· ‘Peggy Anne’ (G. Sutton, 2006): le côté obscur de la chose.
· ‘Zekie’ (D. Spoon, 2007): la version inversée de ‘Brindled Beauty’.

LETTRE A MES JUGES

Je ne devrais sans doute pas vous donner mon nom, mais je vais le faire tout de même parce que je voudrais que vous vous souveniez de moi au moment de décider qui vous allez consacrer. Alors, j’y vais : je m’appelle ‘Aleutian Islands’, et celui qui m’a créé se nomme Michael Sutton.

A partir de demain vous allez passer et repasser devant moi. Avec à la main un crayon et un papier. S’il fait beau vous aurez un chapeau sur la tête. S’il pleut vous serez enveloppés dans un coupe-vent dont la capuche vous couvrira jusqu’au bout du nez. Vous allez me juger. Il ne faut pas que je me plaigne, car je suis là pour ça. Si vous vous arrêtez devant moi, cela signifiera qu’une première épreuve a déjà été passée. Tout le monde ne pourra pas être dans mon cas. Prenez mon voisin, triste et rabougri comme il est, il n’a aucune chance d’être retenu pour concourir. Moi j’ai tout pour plaire. J’ai de belles feuilles, nombreuses, saines et drues. J’ai aussi plusieurs tiges avec plein de fleurs épanouies. Quand vous passerez pour la première fois dans les rangées, tous serrés contre votre chef, vous allez commencer par éliminer les trois quarts d’entre nous. Le jugement commence comme ça. Il y a trois ans que nous sommes là, tous ensemble, à nous préparer. Mais tout le monde n’a pas eu la même chance. Certains, depuis leur plantation connaissent la galère. Ils ont eu du mal à reprendre, puis ils ont végété. Aujourd’hui, sans force, ils savent qu’ils ne seront pas sélectionnés dans le paquet d’une trentaine auxquels vous allez consacrer toute votre attention. Du moins sont-ils encore en vie. D’autres ont disparu. Soit qu’il n’aient pas eu la force nécessaire pour repartir après leur transplantation, soit qu’ils aient été déracinés par les intempéries hivernales, soit qu’ils aient été arrachés par les lapins ou par les corbeaux. C’est qu’il faut avoir de solides racines pour résister à toutes les épreuves qui nous attendent au fil du temps.

Je crois que j’ai toutes les chances d’être retenu pour l’ultime compétition. Mon feuillage ? Je viens d’en parler. Il ne présente aucune de ces petites taches brunes qui peuvent si cruellement l’enlaidir. Il est d’un beau vert, clair et vif. Il est dense, mais sans excès. Ce n’est pas comme l’autre, en face, de l’autre côté de l’allée, qui a tant de feuilles qu’on se demande où sont ses hampes florales. Parce que, tout de même, nous les iris, nous sommes des fleurs, il ne faut pas l’oublier. Nous sommes là pour fleurir, et nos rejetons doivent être riches en fleur pour faire plaisir à ceux qui vont les acheter.

Justement, nos fleurs, vous allez les examiner sous toutes leurs coutures. Taille, solidité, élégance, volume, consistance des pétales, résistance aux intempéries, durée de vie… Tout va y passer ! Vous allez les palper, les mesurer. Vous allez même vous pencher vers elles pour analyser leur senteur. En plus vous allez faire attention à tout un tas de détails : combien sont-elles à s’épanouir en même temps ? Celles d’un même bouton ne vont-elles pas s’ouvrir toutes au même moment, se gênant les unes les autres ? Vont-elles s’écarter suffisamment de la tige pour pouvoir s’étaler sans s’écraser contre leur support ? Peuvent-elles se déplier sans peine ( celles d’un autre concurrent, non loin de moi, sont tellement crêpées qu’elles se déchirent en s’ouvrant ou, même, restent parfois coincées sans que leurs sépales puissent se déployer) ? Ces appendices à la pointe des barbes sont-ils jolis, discrets, vulgaires, légers, inutilement pesants ? Ces barbes elles-même sont-elles imperceptibles, ou terriblement voyantes ? Combien de jours chaque fleur va-t-elle rester ouverte et fraîche avant de se faner ? Vous êtes pointilleux, vous les juges ! Mais j’ai confiance. A part les appendices – je n’en ai pas – je crois que je fais partie des meilleurs. Regardez-moi, vous serez convaincus !

Mais aussi vous allez prendre des mines circonspectes pour apprécier la richesse ou la tendresse de nos coloris. Cette fleur n’est-elle point trop vivement colorée ? La couleur des pétales s’harmonise-t-elle avec celle des sépales ? Ces traces brunes aux épaules ajoutent-elles du piquant à la fleur ou, au contraire, l’enlaidissent-elles ? Ces teintes sont-elles franches ? Sont-elles ternes ou disgracieuses ? Les a-t-on vu cent fois ou sont-elles originales ? Vous voulez mon avis ? C’est moi que vous allez préférer. Parce que mes deux tons de bleu sont riches et complémentaires. Parce que mes barbes sont discrètes mais font aussi toute mon originalité. Vous connaissez beaucoup de barbes brunes sur un iris bleu ? Quand je me compare à certains des autres concurrents, je me dis que vous devriez être sensibles à cet aspect des choses.

Si je résiste, comme je le crois, à tous vos examens, sans doute aurai-je le privilège de figurer dans le tiercé final, celui où vous allez choisir, après bien des discussions, l’iris qui sera couronné et dont le nom s’inscrira sur les tablettes du concours, à la suite de prestigieux prédécesseurs, aux mérites desquels nous serons tous comparés.

Après ce choix, vous reviendrez une dernière fois auprès de moi. Vous me prendrez encore en photo. Encore un coup d’œil, encore un sourire. Puis je vous verrai vous éloigner pour toujours. Alors dans le jardin vide, je n’aurai plus besoin d’étaler toutes mes beautés. Pour quelques jours encore je serai une fleur de concours. Mais, quoiqu’il m’en coûte, je sais bien qu’après cela, je redeviendrai une plante anonyme, semblable à toutes mes voisines. Pour de long mois…




Illustrations :
‘Aleutian Islands’ (Michael Sutton, 2007) ((Midnight Oil x Midnight Thunder) X (Airforce One x Starring)) ;
‘Landgräfin Elizabeth’ (Wolfgang Landgraf, 2007) ((Rustler x Sweet Musette) X Honky Tonk Blues) ;
‘Papillon de Mai’ (Rose-Linda Vasquez, 2007) (Hindu Magic X Magic Kingdom) ;
‘Polvere di Rosa’ (Luigi Mostosi, 2008) (Dama in Rosa X Velluto Rosso).

4.11.11

QUELQUES DÉFINITIONS







Sixième semaine :
Le plus emblématique des iris, le modèle PLICATA = bords tachetés ou pointillés de pigments anthocyaniques sur un fond de couleur claire ; et son inverse le modèle LUMINATA = avec un fond de couleur sombre et des bords blancs ainsi que les veines autour des barbes. Et s’il ne reste plus du tout de pigments anthocyaniques ce sera GLACIATA = donc blanc, jaune, rose ou orange absolument pur. Seule une étude approfondie du pedigree peut en donner l’assurance.
· ‘Mme Chéreau’ (Lémon, 1844): que l’on peut qualifier de prototype du modèle plicata.
· ‘Class Ring’ (Keppel, 200): dans les tons de grenat, une superbe réalisation moderne.
· ‘Spot On’ (M. Sutton, 2007): un remarquable luminata.
· ‘Solar Gain’ (Keppel, 2008): c’est un IB, mais un pur glaciata : pas la moindre trace de pigments bleus.

LA FLEUR DU MOIS





‘SULLOM VOE’
(B. Dodsworth, 1989)

Les iris bleu pâle ont souvent un petit air triste, un peu comme le ciel du mois de mars, entre deux giboulées. Ils évoquent pour moi la musique mélancolique d’Edvard Grieg et les mélodies norvégiennes du Hardanger. Ils ont cependant leur place au jardin quand ils ne se heurtent pas aux flamboyances de certains variegatas. C’est pourquoi j’ai bien apprécié quand Michèle Bersillon m’a envoyé ‘Sullom Voe’. En plus il allait enrichir ma collection avec quelque chose qu’on ne doit pas voir souvent dans notre pays, et j’apprécie l’originalité. Mais cet iris britannique est un peu capricieux, ici en Touraine : il a mis deux ans avant de se décider à fleurir pour la première fois.

Dans la Check-list de 1989 il est décrit très simplement comme « TB, 97cm, M. Bleu turquoise ondulé, barbes blanches. Blue Reflection X Flair. »

Il me donne l’occasion d’évoquer Brian Dodsworth, le dernier grand hybrideur anglais. Il vivait dans le centre du pays, dans la banlieue de Nottingham, ville plus connue sans doute pour les aventures de Robin des Bois que pour ses iris ! Il a régné pratiquement sans partage sur l’iridophilie britannique pendant vingt ans, remportant dix fois la BDM. En dehors de son pays, néanmoins, il reste largement méconnu, ce qui est malheureusement le cas de tous les hybrideurs d’outre-Manche pour cause de très mauvaise distribution en dehors de leurs frontières. ‘Sullom Voe’ ne fait pas partie de ses variétés qui ont triomphé dans la compétition nationale, peut-être à cause d’une vigueur plutôt moyenne. C’est pourtant un charmant iris, comme en fait fois la photo ci-dessus qui met en valeur sa délicatesse. Quoi qu’on puisse en penser, ce n’est pas un amoena inversé, mais plutôt un néglecta inversé, car ses sépales sont un peu plus clairs que ses pétales et le jeu de la lumière sur leur surface veloutée les fait paraître encore plus clairs que nature.

Il provient d’un croisement entre deux iris bleus classiques : ‘Blue Reflection’ (Schreiner, 1974) est un bleu tendre issu de ‘Babbling Brook’ (Keppel, 1969), dont il n’est pas utile de faire le portrait ; ‘Flair’ (Gatty, 1976) est encore plus clair, avec un cœur où la couleur est plus soutenue, ce qui fait tout son chic. Il provient de (Pacifica X (Brave Viking x Winter Olympics)) ; Il fait partie de ces variétés que j’ai eu du mal à me procurer, mais dont je ne regrette pas de les avoir acquises. Je l’ai gardé longtemps, mais quand il a fallu faire de la place dans mon jardin, c’est une de celles que j’ai sacrifiées car, ici, elle poussait et fleurissait très irrégulièrement.

‘Pacifica’ (J. Nelson, 1967), parent femelle de ‘Flair’ présente beaucoup de similitudes avec son « petit-fils » ‘Sullom Voe’, notamment parce que ses sépales sont un peu plus clairs que ses pétales. Quant à ‘Brave Viking’ (G. Hinckle, 1962), l’autre parent, c’est un des plus jolis bleus de son époque. Enfin ‘Winter Olympics’, DM en 1967, ce fut longtemps le meilleur blanc.

Tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts, ‘Sullom Voe’, mérite bien son nom, puisqu’il fait allusion à une ancienne base aérienne des Iles Shetland au nord de l’Ecosse, devenu terminal pétrolier, dont le ciel ne doit pas souvent être plus bleu que ne l’est la fleur. C’est une fleur rafraîchissante, bien agréable à regarder.

LES CLEFS DU ROYAUME





Nous allons évoquer cette fois certains de ces « key breeders », comme disent les auteurs américains, qu’on peut désigner en français par le nom de « variétés de base ». Il s’agit de ces iris qui ont été à l’origine d’un nouveau modèle de fleurs ou d’une avancée significative dans un modèle déterminé. Ces variétés-là sont des clefs du royaume des iris.

Parce que si l’on a quelque fois l’impression que les hybrideurs ne font que reproduire à l’infini un certain modèle, il arrive qu’ils mettent sur le marché des variétés franchement nouvelles ou qui apportent quelque changement dans un domaine qu’on estimait éculé.

Prenez le cas de ‘Sky Hooks’ (Osborne, 1980). Des iris à éperons, il y en a eu avant lui (il descend de toute une lignée de « space age » obtenus par Lloyd Austin), mais par ses qualités propres il a apporté un plus que les hybrideurs du monde entier ont exploité assidûment. On peut donc lui attribuer le qualificatif de « variété de base », même s’il n’est pas lui-même le premier de la lignée. Pourquoi a-t-il été aussi abondamment exploité en hybridation ? Je vois quatre raisons :
· La qualité et l’élégance de ses éperons (même s’ils ne sont pas vraiment spectaculaires) ;
· La forme parfaite de sa fleur ;
· Son coloris doux et agréable ;
· Sa grande fertilité, dans les deux sens.
Ces qualités, il les a transmises à ses descendants avec une grande régularité et dans leur liste on trouve ‘Conjuration’ (Byers, 1989 – DM 1998), ‘Mesmerizer’ (Byers, 1991 - DM 2002), et ‘Thornbird’ (Byers, 1989 – DM 1997) : rien que du beau monde ! On peut ajouter qu’à la génération suivante, descendant de ‘Conjuration’, il y a ‘Aurélie’ (R. Cayeux, 2002 – FO 2007).

La paternité du modèle « distallata » appartient à la fine équipe Ghio/Keppel. Ces deux vieux briscards, souvent complices, ont élaboré une savante salade génétique dont est issu ce nouveau modèle de fleur où le blanc pur des pétales, souvent bordé de jaune d’or, s’allie à des sépales également blancs mais lavés de rose ou de bleu et griffés de grenat ou de pourpre. La variété de base pourrait être ‘Prototype’ (Ghio, 2000), à moins que ce ne soit ‘Quandary’ (Keppel, 2001), même si ‘Puccini’ (Ghio, 1998) est apparu avant les autres bien qu’il soit un descendant du premier nommé. Votons pour ‘Prototype’ au nom si opportunément choisi. Ce qui singularise cette variété et en font une autre « variété de base », ce sont ces pétales blancs, très légèrement frisés, ces sépales, blanc rosé, qui sont finement veinés d’amarante sur le tiers inférieur, et ces épaules fortement marquées de jaune pêche. Ces traits qui proviendraient de ‘Fancy Tales’ (Shoop, 1980) ont déclenché un véritable engouement. A tel point qu’on a l’impression, aujourd’hui, qu’un hybrideur (surtout américain) se croirait déshonoré s’il ne mettait pas à son catalogue « son » distallata !

Quelque chose de voisin était apparu au même moment chez un autre grand hybrideur, Richard Ernst. Il s’agit de ‘Ring Around Rosie’ (2000). Dans ce modèle on retrouve les pétales blancs, finement ourlés de jaune clair, et les sépales blancs bordés de jaune pêche. Mais au lieu des griffures propres au modèle ‘Prototype’, ce sont des picots façon plicata qui occupent le centre des sépales.

‘Prototype’ et ‘Ring Around Rosie’ sont cousins et cela se voit. Les obtenteurs n’ont pas tardé à réunir les deux lignées, de sorte que maintenant on peut dire qu’elles n’en forment plus qu’une. Voici donc un modèle, très populaire qui a une origine bifide très originale.

Une autre direction, qui rencontre un succès planétaire, est celle indiquée par ‘Decadence’ (B. Blyth, 2004). Mais peut-on dire que ce ‘Decadence’ soit une « variété de base » ? En fait il semble n’être que l’aboutissement d’une recherche en vue d’obtenir un iris aux pièces florales frisées et bouillonnées : en quelque sorte un faux iris double. Dans une récente chronique j’ai détaillé les origines de ce ’Décadence’ et remonté cinq générations, au fil desquelles les ondulations et les crêpelures se sont peu à peu accentuées. Néanmoins l’appellation « variété de base » peut lui être affectée puisque Blyth lui-même et un grand nombre d’hybrideurs – plus souvent amateurs que professionnels, il faut le reconnaître – se sont jetés à sa suite dans l’espoir de reproduire ces fameux bouillonnés. Malheureusement pour eux, cette abondance de frous-frous n’est pas le trait que ‘Décadence’ confie le plus généreusement à ses descendants, et sur la soixantaine de rejetons directs que je lui connais, à peine un tiers en sont dotés. Comme quoi on peut être chef de file et ne pas donner franchement l’exemple !

Au cours de l’histoire des iris il y a eu beaucoup d’autres « variétés de base », les exemples choisis aujourd’hui ne sont là que pour donner une idée de ce que sont ces iris dont on retiendra le nom au cours des temps car ils ouvrent certaines des portes du royaume.

Illustrations :
· ‘Sky Hooks’ (Osborne, 1980)
· ‘Prototype’ (Ghio, 2000)
· ‘Ring Around Rosie’ (Ernst, 2000)
· ‘Italian Master’ (Blyth, 2009) – descendant de ‘Decadence’.