5.8.11

UNE HISTOIRE DE RHIZOME



En Touraine, à partir de la fin de février, les grands iris sortent de leur léthargie hivernale. Pendant trois mois au moins ils ont été pour la plupart réduits à des petits moignons de 3 à 5 cm de haut, comme concentrés sur eux-même pour mieux résister au froid. Mais à coup de trois minutes par jour, la durée d’ensoleillement s’est peu à peu accrue et la végétation s’est réveillée. Les feuilles ont commencé à s’allonger et des pousses nouvelles sont apparues sur les côtés des rhizomes de l’année précédente (et parfois sur des tronçons de rhizomes plus anciens).

Certaines variétés cependant ne se ratatinent pas autant que les autres. Il y en a même qui conservent tout l’hiver un panache de feuilles bien vivantes, pouvant atteindre jusqu’à une vingtaine de centimètres de haut. On m’a souvent demandé la cause de cette différence touchant des plantes qui, en mai, auront à peu près toutes le même aspect et la même hauteur.

Ce qui fait la différence, c’est la dose de gènes d’Iris aphylla contenue dans chaque variété, au gré des croisements multiples qui ont abouti à son existence. Les variétés riches en aphylla perdent leurs feuilles, les variétés moins riches conservent plus ou moins leur panache. D’ailleurs si l’on regarde les espèces botaniques toujours présentes dans nos jardins, on comprend la différence. Les « anciens » iris, germanica ou pallida, originaires de nos régions de plaine, restent verts toute l’année. Mais ces espèces de base ont été croisées avec Iris aphylla, une espèce de montagne qui ne survivrait pas si elle conservait son feuillage toute l’année (comme son nom le laisse entendre à ceux qui savent que aphylla, en grec ancien, veut dire « sans feuilles »).

A partir du moment où la croissance du feuillage reprend, celle-ci va aller très vite. En deux mois, grosso modo du 1er mars au 1er mai, le grand iris des jardins (TB) va grandir jusqu’à 90 cm, sa hauteur moyenne au moment de la floraison. Cela représente une croissance d’environ dix centimètres par semaine, plus d’un centimètre par jour !

Pour soutenir un tel effort il faut une réserve d’énergie considérable. Ce n’est pas uniquement et immédiatement dans le sol que les iris vont puiser cette énergie. Ils vont la trouver essentiellement dans le rhizome, cette réserve qu’ils ont constituée à partir de la reprise de la végétation à la fin de la période de dormance qui se produit aussitôt après la floraison. La plante a fait des efforts gigantesques pendant la période printanière, pour se développer tout d’abord, pour fleurir ensuite, elle est épuisée. Elle va commencer par une période de repos presque total, pendant trois semaines environ. Puis elle va reprendre son activité en nourrissant, s’il y a lieu, ses graines et en développant de nouvelles pousses qui vont se charger de nutriments et d’eau. Cela va lui prendre tout l’été (c’est pourquoi il faut transplanter à ce moment, la plante aussitôt remise en terre va fabriquer de nouvelles racines et pomper autant de nutriments que possible). Le rhizome ainsi rempli, l’iris va peu à peu diminuer son activité, laisser ses feuilles se dessécher pour diminuer sa voilure et se protéger du froid…

Le rhizome est donc l’élément primordial de la croissance de l’iris. Un rhizome trop maigre, pauvre en ressources énergétiques, ne pourra pas soutenir une croissance puissante pouvant aboutir à une floraison. C’est une des raisons pour lesquelles certains iris plantés pendant l’été, qui ont peiné à reprendre, ne fleurissent pas au printemps suivant. C’est d’ailleurs la même chose pour les transplantations trop tardives. Mais un gros rhizome ne garantit pas forcément une belle floraison l’année suivante. En effet si ce rhizome est en fait gavé d’eau, il va avoir une apparence flatteuse, mais les nutriments peuvent néanmoins lui manquer. Après sa plantation il va perdre rapidement de son eau, et prendre son véritable aspect, celui d’un petit rhizome maigrichon et faiblard.

Un rhizome en pleine forme, qui comporte plusieurs yeux, gages de multiplication des pousses, suffisamment développé pour soutenir l’effort de croissance et doté d’assez de racines pour pouvoir se ré-alimenter sans manquer, va pouvoir supporter le choc d’une transplantation, avec une chance de reprise presque absolue. Même s’il reste hors de terre pendant des semaines. Je lisais il y a quelques temps le témoignage d’un amateur qui, ayant oublié deux ou trois rhizomes dans un colis, ne les a retrouvé que dix mois après leur arrachage, et, les ayant plantés malgré tout, les a vu reprendre gaillardement et ne perdre qu’un an avant de parvenir à l’anthèse (comme on dit savamment).

Un beau rhizome, sain mais sans être gorgé d’eau, n’est pas gourmand en engrais et autres apports extérieurs. Il sait se contenter de ce qu’il trouve là où il est pour peu que son substrat ne soit pas trop pauvre. Mais il ne refusera pas un peu d’aide. Celle-ci doit intervenir essentiellement à deux moments : quand il repart après la dormance estivale, et quand il redémarre après le repos de l’hiver. L’apport d’engrais à ce moment sera tout de suite utilisé alors que l’apport de l’été sera mis en réserve. A mon avis celui-ci est le plus important et le plus utile pour la vigueur future de la plante.

Tout repose donc sur le rhizome. La plante s’y trouve en résumé, avec tous ses gènes, elle y accumule ses réserves, elle y puise sa force. Le rhizome est une source d’immortalité.

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