8.7.11

L’IMPASSE






Pendant très longtemps les grands iris qui étaient cultivés et hybridés étaient des iris diploïdes (qui disposent de deux paires de chromosomes), mais cette caractéristique génétique n’était connue de personne, pour la bonne raison que l’on ignorait l’existence même des chromosomes et, a fortiori, celle de leurs assemblages. Dans la nature, et plus particulièrement dans les Balkans ou dans le sud de la Turquie, il existait bien des iris assez semblables à ceux que l’on cultivait en Europe de l’Ouest, mais plus grands et plus robustes. Cependant, à l’usage, les amateurs se sont rendu compte que ces belles plantes n’avaient qu’un choix très limité de coloris (entre le violet et le bleu) et qu’elles supportaient mal les climats frais et humides de l’Europe de l’Ouest. D’où l’idée de croiser les anciens, plutôt grêles mais de couleurs très variées, avec les nouveaux, plus forts et plus spectaculaires. Les premières tentatives ne donnèrent pas grand’ chose : presque pas de graines et des plantes, grandes, certes, mais stériles et sans autres qualités remarquables. Cette énigme a intrigué les obtenteurs d’iris pendant près de quarante ans avant que l’explication leur soit fournie. Pourquoi en effet ces premiers croisements entre les « nouveaux » iris orientaux et les « anciens », originaires de nos contrées, ne donnèrent-ils que des plantes décevantes ?

En fait il se trouve que les iris orientaux ne sont pas diploïdes mais tétraploïdes, c’est à dire qu’ils possèdent quatre paires de chromosomes. On avait mélangé des plantes tétraploïdes, les « nouveaux », avec des plantes diploïdes, les « anciens ». D’où l’obtention de plantes triploïdes (un lot de chromosomes du parent diploïde et deux lots de chromosomes du parent tétraploïde), qui sont presque toujours stériles. L’impasse est là.

Pour bien comprendre le phénomène, rien de mieux que ce qu’à écrit Ben Hager, l’hybrideur bien connu, dans la première partie d’un livre de photographies artistiques d’iris, « L’Iris », du néerlandais Josh Westrich : « Tous les organismes vivants, plantes et animaux, se composent de cellules. Toutes les cellules possèdent une structure de base commune et comportent chacune un noyau. Dans une seule de ses entités infinitésimales se regroupent de nombreux chromosomes dont le nombre varie suivant les organismes. Les chromosomes portent une carte génétique qui contrôle le développement et les caractères du nouvel organisme après la fécondation. La cellule-œuf produit de nouvelles cellules en tous points identiques et destinées à former une structure entièrement rajeunie. Au moment où dans la fleur se forment les cellules reproductrices ou gamètes, le nombre de chromosomes est divisé en deux lots égaux mais avec, souvent, un brassage des caractères portés par les chromosomes. Des cellules mâle et femelle du même parent (autofécondation) ou provenant de parents différents, vont donner des cellules-œufs ayant un patrimoine génétique différent et produiront des plantes différentes. (…) La nature préfère la simplicité. Les individus provenant de la fusion de deux lots réduits de chromosomes sont dits diploïdes ; la plupart des organismes sont diploïdes, ou, du moins, l’étaient à l’origine. » Mais quand on associe une plante diploïde et une plante tétraploïde, on obtient en principe trois paires de chromosomes (un lot de chromosomes du parent diploïde et deux lots de chromosomes du parent tétraploïde), et cet assemblage bancal ne donne qu’une plante stérile.

C’est ce qui s’est produit notamment avec les iris intermédiaires (IB) qui résultent du croisement d’un iris nain et d’un grand iris. Les nains sont diploïdes, les grands tétraploïdes comme on vient de le voir. Pendant très longtemps les IB sont restés stériles et cela les a beaucoup desservi dans l’esprit des amateurs puisqu’il n’était pas possible d’espérer une amélioration quelconque d’un modèle considéré comme intéressant mais perfectible. Dans la revue « Les Iris Cultivés » des années 1920, il est plusieurs fois question des « hybrides de Vitry » qui sont des variétés obtenues par Ferdinand Cayeux, dont l’obtenteur dit tout le bien possible, que les professionnels admirent, mais dont on a perdu rapidement la trace. Interrogé, Richard Cayeux n’a pas pu nous renseigner sur ces mystérieux iris. A mon avis il devait s’agir d’iris intermédiaires, et leur stérilité a fait que même leur inventeur s’en est rapidement désintéressé. Heureusement que d’autres obtenteurs, américains, ont repris l’expérience et ont persévéré.

Heureusement aussi qu’à la longue, un peu comme cela s’est passé avec les grands iris et leur passage à la tétraploïdie, les obtenteurs d’iris intermédiaires en sélectionnant scientifiquement les parents, sont parvenus à des IB fertiles, et tétraploïdes ! C’est essentiellement à l’obtenteur(e) américaine Marky Smith que l’on doit cette nouvelle révolution (mais on doit aussi citer le Russe Sergeï Loktev et le franco-néerlandais Loïc Tasquier). Elle a effectué de nombreux croisements entre des intermédiaires utilisés comme parent femelle et, soit des nains standards, soit des grands iris. Au début de 98 elle a choisi des IB (intermédiaires) qu'elle a d'abord fécondé avec du pollen prélevé sur des SDB (iris nains), alors en fin de floraison, puis, un peu plus tard, avec du pollen de TB (grands iris), soit la formule (IB x SDB) X TB. C’était la bonne idée. Maintenant ces IB modernes sont fertiles et le monde des iris a acquis de nouvelles variétés qui ouvrent des portes infinies vers des iris de petites tailles, bien adaptés aux jardins modernes, mais susceptibles d’être croisés entre eux, comme les grands et aussi d’apporter aux grands des traits réservés jusqu’à présent aux SDB, comme les barbes bleues et le « signal » sombre sous les barbes. L’impasse de la triploïdie a été vaincue, et tous les types vont en profiter.

Illustrations :
· ‘Colonel Candelot’ – TB diploïde
· ‘Locarno’ – SDB diploïde
· ‘Bold Print’ – IB triploïde
· semis TASQUIER – IB tétraploïde

1 commentaire:

Peyrard a dit…

Bien pour les modifications ! Quant à l'évolution des types d'iris par croisements originaux comme le fait Loïc, il sera un peu long pour stabiliser les lignéée. Il vient de m'annoncer la réussite de croisements avec deux de mes iris : Mon Prince plutot BB et Athaeneus un petit IB, tous les deux space age, je lui souhaite bonne chance
Jean Peyrard