11.3.11

RICHARD C. ERNST





Nous avons donc appris la semaine dernière la disparition brutale de Richard Ernst, consécutive à une septicémie, rudement ressentie dans le petit monde des iris. Non seulement à cause de la dureté de l’événement, mais aussi parce que la victime était universellement connue et généralement appréciée. Les Américains sont toujours sensibles à la réussite des gens et Richard Ernst faisait partie de ceux qui ont réussi. Dès la fin de ses études, en 1971, il avait intégré l’entreprise familiale, la pépinière Cooley’s Iris Garden, à Silverton, en Oregon. Cette entreprise a été fondée en 1928 par les descendants de Matthias Cooley, un pionnier, né dans le Missouri, orphelin, recueilli par une famille amie de la sienne, qui émigre en 1845 et vivra l’enfer avant de rejoindre la vallée de la Willamette. Rien qu’une histoire comme celle-là est de nature à enthousiasmer n’importe qui. Elle a largement contribué à faire le succès de la pépinière dont Richard Ernst a été le dirigeant après quatre générations de jardiniers. En même temps qu’il faisait prospérer l’entreprise familiale, Rick Ernst s’est lancé, à la suite de son père Larry, dans l’hybridation des iris. Cette autre activité n’a pas été moins fructueuse que la première.

La pépinière Cooley’s est peu à peu devenue l’une des plus importantes affaires d’iris dans le monde, faisant jeu égal sur ce plan avec la maison Schreiner’s. Les iris Ernst ont largement contribué à ce succès. Dès les premiers enregistrements les amateurs ont compris qu’ils avaient affaire à un hybrideur inspiré et talentueux. ‘Faded Denim’ de 1984, est un bel exemple de ce que cet obtenteur de 30 ans pouvait faire à partir d’un matériel on ne peut plus classique.

Le catalogue Cooley est devenu un monument du genre, intelligemment classé, richement illustré, artistiquement présenté : une redoutable machine commerciale offrant un choix exceptionnel d’iris de tous les modèles et de toutes les couleurs. Quand il fut question de passer au numérique, Cooley’s n’a pas été le dernier à créer son site, même si l’on sent bien aujourd’hui que ce n’est pas cette forme de commerce qui « branche » la famille.

L’activité d’obtenteur est l’autre branche de l’entreprise. C’est celle qui, en dehors des Etats-Unis, a fait sa célébrité. En un peu plus de 25 ans d’existence, le label « Ernst » a été attribué à 265 variétés d’iris, essentiellement des TB. Ce qui fait la particularité des iris Ernst c’est leur excellent succès auprès du public, tant aux USA qu’ailleurs dans le monde, et leur échec auprès des « professionnels de la profession ». Comment expliquer ce paradoxe ? Des iris généralement excellents, qui poussent bien, qui sont souvent originaux, et si peu de récompenses… Aucune Dykes Medal, et, toutes catégories confondues, une douzaine (1) d’Awards of Merit et une cinquantaine d’Honorable Mentions. Le plus important succès est la Wister Medal de ‘Ring Around Rosie’ (2) en 2007. La moisson est maigre ! Pour un nombre assez semblable d’enregistrements, Paul Black a un autre palmarès : rien que pour les TB, je lui ai compté 24 AM et 58 HM ! Et on ne peut pas dire que c’est un manque de visibilité des variétés qui serait la cause de l’absence de considération puisque les iris Ernst sont certainement parmi les mieux commercialisés.

Il y a eu un cas de désamour un peu semblable avec les iris de Gordon Plough, dans les années 60/70. Mais si le taux de récompense en AM de ce dernier se situe autour de 15%, c’est tout de même bien plus important que les 5% de Richard Ernst, même si on est fort loin de 45% de Keith Keppel !

Peut-être reproche-ton à Ernst de ne pas s’être assez attaché à un modèle d’iris. Il est vrai que ses enregistrements concernent à peu près tout le panel des modèles, des unicolores les plus classiques aux bicolores les plus modernes : luminatas, comme ‘Schizo’ (2003), distallatas, comme ‘Calamity Carol’ (2009)… Sans oublier ce modèle dont il est l’inventeur et qui porte le nom de son ‘Ring Around Rosie’ à défaut d’avoir hérité d’une dénomination pseudo-latine.

Peut-être la considération serait-elle venue si son grand projet, l’iris rouge, avait abouti. Mais ce fut un autre échec. Ernst avait pris contact au début des années 1990 avec un physicien qui affirmait qu’il était possible, avec les moyens technologiques actuels, d’obtenir un iris rouge. Il a relevé le défi et s’est mis en rapport avec l’Université de l’Etat d’Oregon pour engager le travail. Ce qui a nécessité l’embauche d’un physicien à temps complet et l’acquisition du matériel de laboratoire. L’Université de l’Etat d’Oregon a entrepris l’analyse complète de l’ADN d’un iris. La pigmentation de douzaines de variétés a été analysée et des cultures de tissu « in vitro » ont été réalisées. Il a fallu douze années de recherche pour découvrir et sélectionner les bons gènes rouges avant que ne commence le processus de transformation, processus qui a été couvert par un brevet. L’iris transformé a alors été mis en culture, mais on n’a plus entendu parler de l’affaire, ce qui laisse entendre qu’elle a sans doute échoué, sans qu’on sache exactement ce qui n’a pas marché. Fin du rêve ?

La reconnaissance des juges se mesure à des tas de critères plus ou moins objectifs. En l’occurrence ces derniers ont boudé les produits Ernst, mais se sont ces juges qui ont été désavoués par le public. Finalement Rick Ernst aura eu l’approbation de ses clients à défaut de celle de ses pairs, et l’impact de sa disparition démontre bien que l’opinion des juges n’a pas forcément de conséquences sur celle des amateurs.

(1) pour ce qui est des TB, j’ai relevé les AM de :

‘Afternoon Delight’ (1985)

‘Carnival Ride’ (2002)

‘Competitive Edge’ (1991)

‘Dandy Candy’ (2001)

‘Knock’em Dead’ (1993)

‘Ring Around Rosie’ (2000)

‘Whispering Spirits’ (2001)

(2) en fait il y a eu 3 WM en 2007, ‘Ring Around Rosie’ a obtenu la deuxième.

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