17.9.10






















GLISSEMENTS PROGRESSIFS DU DESSIN

La combinaison des couleurs dans les fleurs d’iris est infiniment variée. Il y a les classiques fleurs unicolores, dans un vaste choix de teintes, avec souvent une légère différence entre la coloration des pétales et celle des sépales ; il y a les bicolores traditionnels, avec une teinte claire aux pétales et une teinte plus sombre aux sépales (à moins que cela ne soit le contraire !) ; il y a des dégradés de couleurs, dans tous les sens, comme ces sépales qui s’éclaircissent quand on s’approche des bords ou bien la couleur des sépales qui infuse les pétales à partir de leur base ; il y a ces taches plus ou moins étendues qui éclairent ou assombrissent le centre des sépales ; il y a ces couleurs rubanées qui semblent disposées de façon absolument aléatoire qu’on appelle « couleurs brisées » ; il y a enfin la distribution originale que l’on désigne sous le nom de « plicata », et qui est celle dont on va parler aujourd’hui.

Les plicatas existent depuis toujours. Le premier iris horticole ayant été baptisé, qui s’appelait ‘Buriensis’, était un iris plicata. C’était dans les années 1830, et la sélection de plicatas parmi les semis naturels, telle que la pratiquaient, de Bure, Lémon ou Jacques, n’a jamais cessé, certains des ces iris étant devenus des pierres angulaires de l’hybridation. C’est le cas de ‘Mme Chéreau’ (Lémon, 1844) ou ‘Mme Louesse ’ (Verdier, 1860).

La pratique de la fécondation artificielle a favorisé l’apparition de semis ou l’aspect plicata prenait des formes très diversifiées : fins dessins bleus de ‘Ma Mie’ (Cayeux, 1903), ou violets de ‘Parisiana’ (Vilmorin, 1913) ou ‘San Francisco’ (Mohr, 1927) ; dessins plus chargés de ‘Mme Chobaut’ (Denis, 1916), ‘Midwest’ (Sass, 1923) ou ‘Sacramento’ (Mohr, 1928).

L’obtenteur américain Keith Keppel, qui est le maître incontesté des iris plicatas en donnait récemment une description générale qui se passe de commentaires : « Une fleur dont le fond est blanc ou de couleur claire, piqueté, pointillé ou lavé d’une couleur plus sombre et contrastante. (…) La couleur du fond peut être blanche, jaune, rose ou orange – avec toutes les teintes intermédiaires et tous les niveaux de saturation. Les dessins sont en bleu, violet, pourpre, orchidée (des couleurs froides), mais peuvent paraître rouges, bruns, ou même verdâtre quand ils recouvrent un fond coloré. Ces dessins partent des épaules et, de là, peuvent (mais pas obligatoirement) gagner les bords de tous les tépales, à moins que des bords ils ne gagnent l’intérieur des tépales. Ils peuvent être très denses ou si discrets qu’ils vous faillent aller à la chasse pour les trouver » Les plicatas mettent donc en jeu les deux catégories de pigments qu’on trouve dans les iris, les pigments caroténoïdes, qui, en l’occurrence, tapissent le fond des pièces florales, et les pigments anthocyaniques qui constituent les dessins. La couleur de fond peut être appliquée uniformément, mais cela n’est pas toujours le cas, par exemple la plupart des plicatas roses auront des épaules teintées de saumon en raison de la présence de plusieurs pigments. Le fond est ensuite plus ou moins recouvert par le motif plicata. Celui-ci est constitué par des pigments anthocyaniques violacés (lavande, bleu, violet, pourpre ou rose orchidée) qui ne se mélangent pas avec les pigments du fond. C’est un gène spécifique qui, inhibant plus ou moins le développement des pigments anthocyaniques, fait que l’on trouve une infinité de nuances dans les plicatas et qu’on peut constater ces glissements progressifs du dessin qui expliquent le titre de cette chronique.

Il arrive que le gène inhibiteur se montre d’une activité très restreinte. Dans ce cas le dessin plicata sera très peu apparent, et il faudra examiner attentivement la fleur pour en constater les effets, ceux-ci se manifestant surtout par quelques apparitions du fond sous les barbes. C’est là que l’on distingue le plumetis. On peut en prendre pour exemple la variété ‘Chief Hematite’ (Gibson, 1983). Le fond est presque totalement recouvert par les pigments qui constituent la coloration brun-rouge de cet iris.

Plus le gène inhibiteur manifestera son activité, plus la couleur de fond deviendra apparente et plus le dessin plicata deviendra discret. On glisse d’une coloration quasi totale, vers une coloration quasi absente, et, bien sûr, il y a un juste milieu qui constitue le dessin le plus classique, celui qui orne l’inoxydable ‘Stepping Out’, mais aussi une foule d’autre plicatas, depuis le fameux ‘Mme Louis Aureau’ (Cayeux, 1934) jusqu’à, par exemple, ‘Straight Up’ (M. Sutton, 2004), vu à Jouy pendant le concours FRANCIRIS 2007.

Quand les pigments anthocyaniques s’effacent, la fleur devient de plus en plus claire. Les pétales sont en majorité blancs (ou clairs), de même que les sépales. La coloration se réfugie tout au bord et forme un liseré plus ou moins large et dense. C’est le cas pour la variété fétiche de K. Keppel : ‘Tea Apron’ (Sass, 1960) ou le bien connu ‘Stitch in Time’ (Schreiner, 1978). Mais le dessin plicata peut aussi n’apparaître qu’au cœur de la fleur, comme dans ‘Lightly Seasoned’ (Zurbrigg, 1979).

Quelquefois la trace des pigments bleus est presque insaisissable : juste une petite marque, quand la fleur vient de s’ouvrir, comme dans ‘Laced Cotton’ (Schreiner, 1980) ; et Keith Keppel nous confirme que cet iris est bien un plicata car, dit-il, en le croisant avec un plicata, on obtiendra des plicatas (le modèle plicata étant récessif, il faut que les deux parents soient plicatas pour qu’il réapparaisse).

Il peut même arriver que la dépigmentation anthocyanique soit totale, et dans ce cas la fleur aura une couleur d’une pureté absolue : on parle alors d’iris « glaciata ».

D’une couverture quasi parfaite par la couleur, jusqu’à la disparition de celle-ci, on assiste à des glissements progressifs du dessin, qui font le charme et l’originalité de ce modèle de coloration, et mérite bien un clin d’œil à Alain Robbe-Grillet !

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