30.4.10











GHIO, KEPPEL, BLYTH, MÊME COMBAT

Serait-ce une nouvelle version de la querelle des anciens et des modernes ? Après tout, la création de nouveaux iris est bien un art, alors pourquoi le domaine de l’horticulture ne réagirait-il pas aux mêmes stimuli que celui de l’art ? Toujours est-il qu’une intéressante controverse s’élève actuellement et fait beaucoup jaser dans le petit monde des iris. Il s’agit de savoir si les fleurs modernes sont belles ou laides. Mais de quelles fleurs s’agit-il ? De ces fleurs épaisses, dentelées et bouillonnées comme un jupon de french-cancan que l’on rencontre de plus en plus fréquemment dans les catalogues d’iris.

Les précurseurs dans ce genre de fleurs ont été les trois grands maîtres que sont Keith Keppel, Barry Blyth et Joë Ghio. Ces trois personnages ont entre eux des liens d’amitiés et même de connivence très profonds. Keppel et Ghio se rendent chaque année l’un chez l’autre pour comparer leurs dernières obtentions et échanger du pollen. C’est de ces rencontres que sont nés, entre autres, les « distalatas ». Keppel est le distributeur aux USA des iris de Barry Blyth, chez qui, chaque hiver, il va passer quelques semaines, sous le brûlant soleil d’Australie, au moment où, là-bas, les iris sont en fleurs. Ensemble ils ont mis sur le marché un grand nombre de variétés qui sont à l’origine de la controverse en cours.

Au cours des dix dernières années, ces trois hybrideurs ont introduit sur le marché près de 400 nouvelles variétés d’iris ! Ajoutez-leurs G. Grosvenor, P. Black, T. Johnson, R. Tasco, R. Duncan, R. Ernst et les Schreiner, et vous aurez cumulé l’essentiel de la production australo-américaine des iris. C’est dire que ce que ces trois hommes réalisent est forcément très important et joue un rôle essentiel dans l’évolution de cette plante.

Pour ce qui est des iris bouillonnés, ils s’en sont donné à cœur joie, et aujourd’hui leurs catalogues regorgent de ces fleurs. Mais où se situe l’origine du mouvement ? Pour ma part, je le situe en 1999, avec l’apparition simultanée de ‘Sea Power’ (Keppel), ‘Louisa’s Song’ (Blyth) et ‘Entangled’ (Ghio). Mais ce qui est curieux c’est que ces trois variétés ont des pedigrees très différents. ‘Sea Power’ fait appel à deux variétés Shreiner fort connues : ‘Yaquina Blue’ (92) et ‘Jazz me Blue’ (93), eux-même issus de longues lignées d’iris bleus, excellents mais pas particulièrement ondulés ou frisés. ‘Louisa’s Song’ est de (Cloud Berry x About Town) ; seul ‘About Town’ présente déjà les caractéristiques qui nous intéressent, qu’il tient de ‘Bubble Up’ (Ghio 88). Quant à ‘Entangled’, on trouve dans son pedigree ses traits de luminata mais pas une prédisposition marquée au « bouillonnement », même si chacun de ses parents est abondamment ondulé. Plutôt qu’issu d’une recherche systématique, il semble bien que le « bouillonnement » soit le produit d’une évolution normale et d’une sélection délibérée que l’on pouvait pressentir dès les ‘Bubbling Over’ (82), ‘Bubble Up’ (88) et autres « bubble quelque chose » de Ghio, et si l’on recherche une paternité pour ce phénomène, c’est vers Ghio qu’il faut se tourner. Cependant si les iris bouillonnés ont été sélectionnés, c’est que leurs obtenteurs leurs avaient trouvé quelque chose d’intéressant. Et comme ils ont beaucoup de goûts communs, il s’agit d’un choix volontaire mais pas nécessairement concerté.

Si le modèle ne s’est pas limité à quelques variétés expérimentales, c’est qu’il a rencontré un accueil favorable de la part des acheteurs. Leur enthousiasme s’est manifesté dès la mise sur le marché, c’est à dire en 1999. Il n’a fait que s’amplifier, de sorte que les obtenteurs concernés ont continué leur sélection de variétés bouillonnées. A Florence, en 2008, j’ai pu personnellement constater combien les visiteurs du jardin d’iris, principalement les dames, s’extasiaient devant les plus contournés des iris en compétition, notamment ‘Florentine Silk’, qui n’était évidemment pas identifié par son nom mais qui attirait plein de commentaires dithyrambiques. Les termes les plus entendus étaient : charme, élégance, grâce, originalité, fantaisie…

Mais tout le monde n’a pas cet engouement. Les détracteurs du modèle se recrutent surtout chez les collectionneurs et certains professionnels. Le reproche essentiel est que ces fleurs, excessivement ondulées ont perdu le côté vraiment « iris » pour une forme théâtrale mais lourde et un peu vulgaire (les danseuses du french-cancan n’avaient pas la réputation d’être particulièrement distinguées, et on allait les voir plutôt pour le côté canaille de leurs évolutions sur scène). Certains vont même jusqu’à considérer que ce modèle n’est qu’une démarche commerciale qui se fait au détriment de la pureté des iris classiques, avec leurs fleurs de petite taille (dainty), raides et ajustées (tailored). Bien souvent ce sont les mêmes qui louent les qualités des iris du type ‘Dolce’ (Black, 2002), qui se situent entre les grands iris et les iris de table. Question de goût…

En tout cas les iris bouillonnés rencontrent effectivement un succès commercial. Si leurs obtenteurs peuvent en tirer un certain profit, c’est tant mieux pour eux. Car il ne faut pas perdre de vue qu’à côté de ce modèle ils développent aussi des plantes plus classiques ainsi que d’autres, nouvelles dans un domaine différent et fort intéressant comme les « distalatas » par exemple, dont chacun, aujourd’hui s’empresse de copier le modèle.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Faut-il regretter la place prise par les iris "bouillonnés" ? Tout est en effet affaire de mode . Il y a trente ans, la mode était aux iris présentant des sépales presque plats. J'avoue avoir conservé un faible pour certains d'entre eux et Fuji's Mantle conserve une place de choix dans ce qui reste de ma collection.
L'engouement actuel est aussi une affaire d'offre. On finit par aimer ce qui est nouveau et que l'on voit un peu partout. A partir du moment où ces iris sont massivement proposés, ils deviennent en quelque sorte un standard.
Peut-être un jour trouverons nous "modernes" les iris aux sépales en oreille de cocker ?

marvoux17113 a dit…

Tout est affaire de goût et de mode très certainement. Quoi qu'il en soit, si je ne déteste pas les jupons bouillonnants et autres dentelles qui ont tendance à parer de plus en plus nos jolies protégées, il faut admettre qu'une certaine mesure reste de mise pour ne pas tomber dans la vulgarité du tout much et, que je préférerai toujours la simplicité à la débauche de l'extravagance.