6.6.09
















LES DAMES DE CHINON

La petite ville de Chinon, dont je suis originaire et où je suis revenu vivre, définitivement sans doute, depuis vingt ans, s’enorgueillit d’avoir abrité plusieurs personnages importants. Elle honore François Rabelais, son enfant le plus fameux, et ses truculents personnages, mais aussi quelques dames de passage qui ont marqué son histoire et celle du monde.

Les réjouissants géants inventés par Rabelais sont ici aussi connus que Bilboo le Hobbit ou Harry Potter. Ils accompagnent les Chinonais dans leur vie de tous les jours et les habitants en parlent comme de gentils voisins. Gargantua et son épouse Gargamelle sont de toutes les fêtes locales, tout comme l’atrabilaire Pichrocole ou le courageux frère Jehan des Entommeures. On parle un peu moins de Pantagruel, même s’il est de bon ton de l’évoquer ainsi que son mentor Panurge. J’ai cherché à savoir si, tout comme le folklore tourangeau, le monde des iris avait eu une pensée pour ces glorieux personnages. Et j’ai découvert qu’en 1927 l’incontournable Ferdinand Cayeux avait dédié à Pantagruel une de ses nombreuses obtentions. D’après les documents officiels il s’agit d’une très haute variété, qui est aussi fort hâtive, et qui présente des fleurs dans les tons de rose orchidée, avec des veines claires sous les barbes. Je ne vois pas ce que la couleur rose a à voir avec le personnage de Pantagruel, mais est-ce que cela a de l’importance ? J’aimerais, si cela est encore possible, retrouver cette plante et la multiplier pour en orner certains jardins publics de notre bonne ville.

Mais il y a d’autres iris qui auraient leur place dans l’ornementation de Chinon. Je pense aux dames auxquelles, en mainte occasion elle fait référence. Jeanne d’Arc par exemple, qui dispose d’une vaste place à son nom, lequel a également été donné à l’artère principale, le quai Jeanne d’Arc, qui longe la rivière de Vienne sur la moitié de la ville. Le même nom a été attribué au cours des ans à plusieurs autres objets, et son dernier avatar concerne la clinique où les Chinonais se font soigner… Mais qu’en est-il en matière iridophile ? Notre chère pucelle de Domrémy a inspiré un obtenteur américain, J. Griffin Crump qui, en 2006, lui a dédié une variété dans les tons de jaune chartreuse : ‘Maid of Orleans’. L’intrépide Lorraine non contente d’avoir « bouté l’Anglois hors de France », s’est invitée en Virginie !

Autre célébrité chinonaise, dont le gisant trône dans la superbe abbaye voisine de Fontevrault, la reine Aliénor d’Aquitaine. Celle qui fut en son temps le personnage le plus puissant d’Europe a séjourné maintes fois dans son château de Chinon. Aujourd’hui on dirait qu’elle avait la double nationalité, française et anglaise, puisque ses possessions s’étendaient de part et d’autre de la Manche. C’est peut-être pour cela que le monde des iris lui a rendu un double hommage. A commencer par celui d’un bi-national comme elle, Lawrence Ransom, qui a donné son nom à un iris intermédiaire bien connu maintenant : ‘Alienor d’Aquitaine’ (1992). Il s’agit d’une variété aux fleurs blanches marquées de jaune soufré aux épaules, avec des barbes jaunes pointées de blanc ; déclaré pour mesurer 50 cm, il dépasse bien souvent cette taille et rejoint en ce domaine bien des variétés du type TB.

Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée là. Voilà-t-il pas qu’un hybrideur américain, admirateur de notre pays et de son histoire, a baptisé ‘Eleanor of Aquitaine’ une de ses obtentions ! Protestations, palabres, compromis… Finalement l’AIS a tranché et l’iris américain a hérité d’un nom un peu plus long mais qui ne change pas grand chose : il s’appelle désormais ‘Queen Eleanor of Aquitaine’ (Baumunk 2006). C’est un plicata très traditionnel, en bleu indigo sur fond blanc. Il est issu de deux plicatas, un bleu-violet, ‘County of Kent’ (Baumunk 2005), et un plus pourpré (et plus chargé), ‘Laugh Lines’ (Ghio 98). Quoi qu’il en soit, ce n’est pas pour cela que ‘Queen Eleanor of Aquitaine’ est remarquable, mais bien plutôt pour le conflit franco-américain qu’il a engendré, et qui ressemble fort à la guerre de cent ans que la dédicataire a involontairement déclenchée entre la France et l’Angleterre lorsque son fils, roi d’Angleterre, s’est déclaré également roi de France… Il est curieux que cette vieille affaire se soit presque réveillée par l’effet d’un simple iris.

Si la ville de Chinon avait l’intention d’enrichir ses massifs floraux par des plantes originales, elle aurait, avec les trois variétés ci-dessus, de quoi se distinguer avec élégance.

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