5.9.08


LE BÉNÉFICE DE L’ERREUR
ou la mésaventure de I. reichenbachii

L’un de ceux à qui le monde des iris doit le plus s’appelait Paul Cook. Dès sa jeunesse il s’est intéressé à l’hybridation, faisant ses premiers essais sur les pois. Mais la Première Guerre Mondiale a interrompu ses efforts. Quand il est revenu, avec son ami Bruce Williamson, il a repris ses travaux, les focalisant sur les iris. Une véritable émulation s’est installée entre les deux amis, sans nuire à leur amitié et à leur partenariat commercial. Paul Cook était méticuleux et organisé, de sorte que son travail de croisements était systématiquement planifié. Dans « The World of Irises » Melba Hamblen et Keith Keppel ont écrit : “Son premier travail sur les grands iris a concerné les rouges et les bleus ; il fut l’un des premiers à reconnaître l’importance de la tétraploïdie et à s’efforcer d’obtenir de nouveaux tétraploïdes pour enrichir et diversifier ses lignes de production de grands barbus. »

En 1939, à la recherche d’une saturation des iris bleus, il voulut tenter un croisement avec un espèce naine, I. mellita. Mais il se révéla que son fournisseur de graines avait commis une erreur d’étiquetage, et que l’espèce utilisée n’était pas I. mellita, mais I. reichenbachii.

I.reichenbachii est en effet une espèce naine diploïde, originaire des Balkans, mais plutôt grande pour sa catégorie, avec des feuilles bien développées, en forme de faucille, et de jolies fleurs d’un jaune profond marquées de brun aux sépales. Paul Cook a réalisé en 1944 un croisement entre un de ces I. reichenbachii et le grand iris bleu ‘Shining Waters’ (Douglas circa 35). Le résultat n’a pas été brillant en nombre de graines, mais l’un des semis obtenus, croisé de nouveau avec ‘Shining Waters’, a donné un petit iris de rien du tout. Persévérant, Cook a croisé et re-croisé cet iris avec des grands iris barbus. Il a alors réalisé que l’iris minable issu de ces graines d’ I. reichenbachii, possédait l’extraordinaire capacité d’inhiber le pigment bleu dans les pétales de ses descendants. Cette variété providentielle fut baptisée ‘Progenitor’ et utilisée à maintes reprises pour produire des iris amoenas.

De tous les cultivars issus de ‘Progenitor’, s’il fallait n’en retenir que quatre, ce seraient ‘Melodrama’, Whole Cloth’, ‘Superlation’ et ‘Emma Cook’, parce qu’ils sont absolument exemplaires.

Dans sa très savante contribution sur la génétique des iris pour « The World of Irises », Kenneth K. Kidd explique comment et pourquoi se produit l’inhibition des pigments violets (anthocyaniques) chez les descendants de ‘Progenitor’, dans les pétales essentiellement, mais aussi dans les sépales. Pou faire court, la présence du gène inhibiteur, en plus ou moins grande quantité aboutit à un dégradé de couleur allant du simple neglecta au blanc pratiquement pur. Les quatre variétés citées plus hauts constituent des exemples de cette inhibition à plus ou moins grande échelle. Quand l’inhibition de l’anthocyanine est incomplète, on obtient des fleurs de modèle de ‘Melodrama’, c’est à dire avec des pétales plus clairs que les sépales. Quand l’inhibition s’accentue on arrive au modèle de ‘Whole Cloth’, avec des pétales presque blancs et des sépales qui ont conservé leurs pigments bleus d’origine. L’inhibition peut être plus active et atteindre les sépales, comme chez ‘Superlation’ où une zone blanche apparaît sous les barbes ; elle peut aussi s’accentuer au point de ne laisser apparaître la couleur qu’à l’extrême bord des sépales, comme chez ‘Emma Cook’ (on pourrait penser de ce dernier qu’il s’agit d’un plicata, mais les pointillés caractéristiques de ce modèle sont absents). Cette aptitude ouvre un espace infini dans les variations qu’il est possible d’obtenir, même s’il reste une part de mystère puisque la question du dosage du gène inhibiteur n’est toujours pas éclaircie. Les hybrideurs ne se sont pas privés d’utiliser ces potentialités et la famille des amoenas, auparavant extrêmement restreinte, s’est accrue dans des proportions illimitées. ‘Progenitor’ est apparu en 1951. Ses grands aînés datent de 56, 57 et 58. Cela ne fait donc que cinquante ans que l’on dispose d’amoenas de qualité. Ils sont devenus plus purs, plus contrastés, plus diversifiés. On en trouve dans tous les coloris, jaune, rose, orange, pourpre, avec des barbes contrastantes, rouges ou même tirant sur le noir. Ils sont devenus incontournables, mais on a oublié que c’est au petit Iris reichenbachii qu’on doit cette avalanche de fleurs délicieuses. Cette chronique est là pour lui rendre justice.

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