11.5.08


IV. A la manière de Colette
(Pour un herbier)

Fleuri, doux.

« Fleuri, doux », c’est ainsi qu’un grand nez (comme on appelle ces hommes qui ont l’organe de l’odorat tellement affûté qu’ils sont capables, dans la foule d’une station de métro, de citer le nom du parfum de chacune des femmes qui passent auprès d’eux) a défini le parfum de l’iris. Parler du parfum de l’iris, c’est me retrouver dans notre jardin de St-Sauveur-en-Puisaye, un soir de mai, à la fin d’une journée où les premières chaleurs nous ont rendues nonchalantes. Les longues tiges flexueuses des iris bleu tendre s’inclinent vers le sol, et les fleurs, contraintes de se redresser pour offrir aux abeilles les trésors de leur nectar, se tortillent pour rester présentables malgré l’inconfort de leur situation. La chevelure dorée de leurs barbes est là pour leurrer les insectes. « Venez, semblent-elles dire, par ici vous trouverez ce qu’il y a de meilleur ! » Mais leur véritable intention est, en fait, de conduire jusqu’à leur cœur celui ou celle qui, au passage, va frotter son dos velu sur leur petite étamine et emporter le pollen vers la fleur voisine où il se déposera, mécaniquement, quand l’hôte d’un instant voudra encore une fois se régaler d’une nouvelle dose de sirop. Mais la chenille dorée n’est pas la seule à attirer le visiteur, il y a aussi l’odeur ! Ce parfum sucré, lourd, tenace, qui atteint son paroxysme aux dernières heures de la journée, comme pour ranimer l’appétit des pollinisateurs, émoussé par un après-midi de bombance.

Le parfum de l’iris, du moins celui de sa fleur, est effectivement un parfum doux et fleuri, mais pourquoi ne pas faire, justement, de ces caractéristiques la référence de l’iris. Un iris qui sent l’iris, est-ce inconcevable ? Oui, je sais, il existe des iris qui ne sentent pas l’iris ! Des traîtres, en quelque sorte, ou des plagiaires, qui prétendent se montrer intéressants en singeant l’odeur du muguet, de l’œillet, du lis blanc ou de la vanille. Comme si sentir l’iris était d’un commun, qu’une fleur distinguée ne pouvait pas se permettre. Il est vrai, également que d’autres négligent superbement de se parfumer : on-t-ils besoin de cet artifice, eux qui sont si beaux que personne ne saurait leur résister ? Certains vont même jusqu’à offrir une odeur âcre et désagréable, les iris sombres, surtout. Mais ce qui nous semble à nous humains, rébarbatif ou simplement déplaisant, n’a-t-il pas un effet fort différent sur l’odorat des insectes ? J’ai entendu dire que la forêt tropicale recèle des fleurs immenses, aux couleurs abominables, et dégageant une odeur épouvantable, mais qui ont un succès fou auprès des mouches autochtones. Tous les goûts sont dans la nature !

L’iris, au demeurant, n’est pas une fleur discrète : c’est un chevalier, un souverain. Observons avec quel dédain se dresse sa fleur, au sommet de la hampe. Il est fier et dominateur, et ses feuilles acérées et dressées lui font une garde rapprochée raide et menaçante. Mais ce prince guerrier a, aussi, son côté enjôleur, sa part de féminité. C’est son parfum, cette onde de langueur, douce et forte à la fois, que le souffle du soir emporte à travers le jardin et qui démontre, à ceux qui en douteraient , que l’iris abrite bien, en une seule enveloppe, les caractères majeurs des deux sexes.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour ce joli texte. Un plaisir qui sent bon...l'iris