11.1.08







CRÉATEURS D’ÉTERNITÉ

Dans une chronique publiée dans « Irisenligne » en 2004, je terminais par cette phrase : « Verra-t-on des « maculosas » français ? Sûrement ! Michèle Bersillon, par exemple en a déjà obtenu, dont elle m’a fait parvenir une photo qui laisse espérer de jolies choses. » Mais ce n’est pas cette obtentrice qui a été la première à enregistrer un « maculosa ». Elle a été devancée par Rose-Linda Vasquez-Poupin, une amatrice du Vaucluse, qui nous a offert en 2007 ‘Rose-Linda Vasquez’ (voir photo), une variété aux pétales blanc bleuté et aux sépales blancs parcourus de dessins aléatoires bleu lavande. La fleur est bien formée et joliment ondulée. Charme supplémentaire, cet iris porte des éperons blancs à la pointe de ses barbes.

Voilà donc une double nouveauté à propos de laquelle son obtentrice s’est demandée s’il s’agissait bien d’un « maculosa » (ou « broken color »). Elle n’en sera persuadée que lorsqu’elle constatera le phénomène « broken color » sur les descendants de cette plante, mais dès maintenant elle peut être à peu près sûre de son coup. Car si ‘Rose-Linda Vasquez’ n’a pas d’ancêtre directement BC, il a pour parent femelle ‘Hindu Magic’ qui est un plicata, descendant de plicatas, et les BC sont des rejetons perturbés d’iris plicatas. L’un des premiers « maculosas » réellement intéressant qui ait été enregistré se nomme ‘Doodle Strudel’ (Ensminger 77), un iris bleu ciel, taché de bleu marine, et c’est un enfant de ‘Stepping Out’, plicata on ne peut plus célèbre. ‘Rose-Linda Vasquez’, lui, provient d’un autre fameux plicata, ‘Going My Way’, qui se situe dans le pedigree de ‘Hindu Magic’.

Dès maintenant on peut dire à Mme Vasquez-Poupin quelle peut se déclarer créatrice d’un iris très nouveau. De ce fait elle entre dans le monde de l’hybridation des iris d’une façon qui devrait être très remarquée. Et de ce fait aussi elle devient créatrice d’éternité.

Tous les hybrideurs, comme l’héroïne de cette chronique, se rendent-ils compte qu’en lançant dans le monde un nouvel iris ils créent une nouvelle plante qui, si tout va bien, pourra rester présente pour toujours ?

Les nouveaux cultivars, une fois qu’ils ont commencé à pousser, ont vocation à exister éternellement. En effet le système végétatif qui est le leur, avec son renouvellement par extension du rhizome originel, ne peut pas dégénérer et se multipliera indéfiniment à l’identique. C’est la raison pour laquelle on peut toujours trouver dans nos jardins des antiquités comme ‘Celeste (Lemon 1858) (photo), ‘Ma Mie’ (Cayeux F. 1903) ou ‘Prosper Laugier’ (Verdier 1914) (photo), et des centaines d’autres, pieusement conservés par des passionnés comme les animateurs de la HIPS (Historic Iris Preservation Society).

C’est une lourde responsabilité, en fin de compte, que de se lancer dans l’hybridation. A une échelle infime, créer un nouvel iris c’est modifier un élément du monde végétal. C’est une responsabilité encore plus grande que celle de concevoir un enfant. Car celui-ci, s’il se reproduit, ne le fera pas à l’identique et ne sera lui-même que pour un temps sur notre Terre. A la différence de la nouvelle plante qui défiera les siècles, pour peu que la chance lui laisse la possibilité de croître et de disséminer sur toute la planète des clones d’elle-même, et sera encore présente quand son créateur aura depuis longtemps disparu.

Je suis sûr que bien peu d’hybrideurs réfléchissent à cet aspect de leur action. C’est dommage car avec, en tête, cette vison des choses, peut-être choisiraient-ils avec encore plus de scrupules les iris qu’ils décident de mettre sur le marché, et, par conséquent, au monde pour l’éternité. Pour peu que ‘Rose-Linda Vasquez’ soit remarqué par les grands du monde des iris, son destin pourra être celui d’une plante que l’on retrouvera dans quelques siècles au fond de quelque jardin botanique comme on y trouve de nos jours ceux que certains appellent de « vieux » iris, faute de pouvoir leur mettre un nom sur la corolle.

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