17.11.07







LE COMPTEUR DE CHROMOSOMES

On ne parle plus de Marc Simonet (à peine quelques lignes signées Maurice Boussard dans l’ABCdaire des Iris), et même sur Internet, on a bien du mal à trouver des informations sur ce scientifique auquel les amateurs d’iris doivent pourtant un grand pan de la connaissance de leur plante favorite.

Dans une brève note publiée dans le numéro 123 de la Revue « Iris & Bulbeuses », organe de la SFIB, Lawrence Ransom a écrit : « Marc Simonet, Docteur es science, Chevalier de la Légion d’Honneur et Officier du Mérite Agricole, fut l’un des tout premiers membres de la Société Française des Amateurs d’Iris, le nom d’origine de notre Association. Ceux qui le connaissaient bien se souviennent avec attachement de ce personnage, stéréotype du genre « professeur distrait ». Sur sa tombe, dans le cimetière d’Antibes, on peut voir, gravé sur la pierre á côté de son nom, les insignes de la Légion d’Honneur accompagnés d’un iris. »

Maurice Boussard dit de lui : « Né en 1899, Marc Simonet (…) a réalisé pendant plus de 30 ans (…) de nombreux travaux sur la cytologie des iris. En étudiant le caryotype (1) de plus d’une centaine d’iris, il a confirmé la grande hétérogénéité du genre. Ses recherches sur l’hybridation et la compatibilité des différentes espèces botaniques entre elles ont eu une influence déterminante sur le travail des obtenteurs. » Même si c’est court, c’est clair et cela résume bien toute l’œuvre de Marc Simonet.

Quand il était enfant, il se rendait en vacances à Verrières le Buisson. C’est là qu’il a acquis son intérêt pour les iris en visitant les jardins de la maison Vilmorin obtenteur d’iris, (‘Ambassadeur’, ‘Eldorado’, ‘Parisiana’ –photo -…) A l’occasion de ses études à l’Ecole Nationale Supérieure d’Horticulture de Versailles, il a obtenu une bourse pour l’institut Pasteur. Il prend goût à la génétique et aux chromosomes et fait de nombreux croisements, principalement sur les céréales et le lin. Ingénieur horticole et chercheur, il commence comme chef du laboratoire des recherches génétiques et phytosanitaires chez Vilmorin-Andrieux. De 1923 à 1931, Il a accès au jardin d’iris, et entreprend des études sur le décompte des chromosomes.

C’est essentiellement en ce domaine que le monde des iris lui est redevable. Il a publié plusieurs communications sur le sujet dès la fin de l’année 1928. La première est parue sous le titre : « Le nombre de chromosomes dans le Genre Iris ». La suivante a porté plus précisément sur « Le nombre de chromosomes chez les iris des Jardins », puis, quelques semaines plus tard, un approfondissement de la communication précédente a été publié : « Nouvelles recherches sur le nombre des chromosomes chez les hybrides des Iris des Jardins ».

Ce décompte des chromosomes a fait apparaître, sans entrer dans le détail, l’existence de deux types d’iris, ceux, diploïdes, ayant 2n=24 chromosomes, et les autres issus d’espèces du Moyen Orient, qui en comptent 2n=48. Cette découverte est exprimée par son auteur de la façon suivante, qui nous paraît un peu désuète aujourd’hui, avec un recul de 80 ans : « Chez les Iris des Jardins (I, germanica Hort.), signalons que nous avons découvert de la tétraploïdie dans les espèces orientales, â grandes fleurs, introduites tout au début du xx` siècle. Celles-ci, en se croisant entre elles ou avec des types anciens ont donné naissance, à un certain nombre d'hybrides triploïdes (Ballerine) (photo), tétraploïdes (Ambassadeur) et pentaploïdes (Magnifica) ; avec parfois perte d'un chromosome ou, encore, présence de un ou deux chromosomes surnuméraires. (Ambassadeur possède, en effet, 2n=5o au lieu de zn=48 et Magnifica 2n=62, au lieu de 2n=6o). La présence de 2 chromosomes surnuméraires a été aussi signalée par Longley, chez Iris Jacquesiana (photo). L'existence, de tels hybrides est, comme nous y disions, très important chez les Iris où le nombre de chromosomes est en rapport direct avec le gigantisme floral de la plante. La variété Magnifica est, en effet, la forme horticole ayant les plus grandes fleurs.
Dans une précédente note, nous avions déjà suggéré, que, l'étude cytologique chez les Iris pourrait être un instrument de sélection. Ainsi, en étudiant les jeunes semis non encore fleuris (l'Iris demande 3 ans pour fleurir), on pourrait très facilement éliminer, dans la recherche des variétés à grandes fleurs, les espèces qui ne sont pas au moins triploïdes ».

Nous savons aujourd’hui que les formes triploïdes ou pentaploïdes sont stériles et par conséquent sans grand intérêt pour les hybrideurs. Avant les travaux de Marc Simonet, les hybrideurs ignoraient pourquoi certains croisements ne donnaient rien, et pourquoi certains iris avaient de grosses fleurs alors que d’autres n’en avaient que des petites. Grâce à Simonet, la connaissance a fait un progrès considérable et l’hybridation en a profité. Tous les grands iris actuels, ceux que Simonet appelle les Iris des Jardins et qu’en notre jargon américanisé nous nommons TB, sont tétraploïdes.

En 1936, il devient directeur du Centre de Recherche Agronomique de Provence, à Antibes, ce, jusqu’en 1942. Il retourne chez Vilmorin et étudie le passage à la polyploïdie grâce à la colchicine. Car il avait compris que c’était les grands iris tétraploïdes qui présentaient le plus d’intérêt, et il s’est attelé à rechercher un moyen de faire passer les iris de la diploïdie à la tétraploïdie. La technique qu’il a préconisée a pris par la suite une grande ampleur dans les travaux de spécialistes comme Currier McEwen, aux Etats-Unis, ou Tomas Tamberg, en Allemagne.

A partir de 1948, il travaille à Versailles (INRA). Pour affiner ses études et contrôler sur le terrain la pertinence de ses observations, Marc Simonet s’est lancé dans le croisement d’espèces différentes d’iris. Ces croisements interspécifiques ont abouti à la création d’une collection irremplaçable de cultivars très divers, qui, à la mort de leur créateur en 1965, a été récupérée par le Muséum National d’Histoire Naturelle, puis, déplacée plusieurs fois, se trouve maintenant aux Jardins de Brocéliande, conservatoire national de l’iris, ainsi qu’au Parc Floral de Vincennes. Même si au cours de ses déménagements la collection a été un peu chamboulée, elle reste un outil indispensable pour tout chercheur dans le domaine de l’iris.

Alors, pour une fois, un hommage à Marc Simonet, n’est que lui rendre enfin justice.

(1) caryotype = arrangement caractéristique des chromosomes d’une cellule, spécifique d’un individu ou d’une espèce. (le petit Robert 2007)

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