1.6.07




JOLIS MONSTRES

Les obtenteurs d’iris ont toujours eu des scrupules à mettre sur le marché des variétés qui comportaient des anomalies par rapport à l’aspect des espèces d’origine. La question qu’ils se posent dans ces cas-là est de savoir s’ils ne vont pas, en quelque sorte introduire le loup dans la bergerie. Accessoirement ils se posent aussi la question : « Cela va-t-il se vendre ? »

Bien souvent, d’ailleurs, ne sachant pas quelle est l’origine de l’anomalie, ils se résignent à détruire la plante monstrueuse plutôt que de la multiplier avec le risque de provoquer un cataclysme horticole. Il n’y a que si l’anomalie se représente souvent qu’ils finissent par la considérer comme « intéressante », voire comme « commerciale ».

C’est ce qui s’est produit avec les phénomènes qui sont maintenant communément admis, comme les ornements bizarres des « Space Age » ou les couleurs mélangées des « Broken Colors ». C’est aussi ce qui est arrivé avec les fleurs « plates », c’est à dire avec des pétales absents ou remplacés par de pseudo-sépales, même si ces sortes de fleurs n’ont pas acquis une notoriété bien évidente.

« Space Age » ou « Rostrata »

Avant que Lloyd Austin ne s’intéresse aux iris à ornements, ceux-ci étaient considérés comme des monstres et systématiquement envoyés au compost. Pourtant dans les années 50 Tom Craig, un nom célèbre au milieu du XXeme siècle chez les hybrideurs, avait remarqué que ce genre de plante apparaissait souvent dans ses semis, essentiellement parmi les descendants des plicatas de Sydney Mitchell et particulièrement ceux provenant de ‘Advance Guard’. A noter que tous ces iris avaient pour origine les plantations des frères Sass, dont le nom apparaît toujours lorsqu’il s’agit d’une nouveauté dans le monde des iris.

Il a fallu toute la détermination de Lloyd Austin pour imposer ces iris dont les barbes s’agrémentaient soit de fines pointes soit de spatules pétaloïdes. Les bonnes gens ont longtemps considéré que c’était là non pas des ornements, mais bien plutôt des malformations. Néanmoins Austin a persévéré et quelques autres on timidement suivi : Tom Craig a introduit ‘Bearded Lady’ (55), un plicata bruyère sur blanc, mais dont la description ne fait même pas état de l’existence des fameuses barbes prolongées. La même année 55, une autre Californienne, Madame Lohman, a osé enregistrer ‘Gay Nineties’, un variegata-plicata dont les barbes jaunes portent des éperons. Je ne sais pas quel a été l’accueil commercial de ces deux variétés…

Le premier des iris à éperons de Lloyd Austin s’est appelé ‘Unicorn’, il date de 1952. A partir de 59, Austin n’a plus enregistré que des « Space Age », dénomination dont il est l’inventeur pour désigner ces nouveaux iris, leur attribuant du même coup une identité synonyme de modernité. Les noms qu’il a donnés à ses iris font toujours allusion aux appendices qui les décorent : ‘Horned Rosyred’ (58) (photo), ‘Flounced Marvel’ (60), ‘Spoon of Gold’ (60), ‘Lemon Spoon’ (60), ‘Spooned Blaze’ (64)…

Les iris à éperons se sont peu à peu installés et d’autres hybrideurs se sont lancés dans l’aventure, utilisant les cultivars de Lloyd Austin comme base de leurs recherches. Manley Osborne, Henry Rowlan ont été parmi les premiers à reprendre le flambeau. Tout le monde connaît ‘Moon Mistress’ (Osborne 76), iris de couleur pêche, ou ‘Battle Star’ (Osborne 78), bicolore chamois et fuchsia, ‘Hula Moon’ (Rowlan 78), chamois marqué de violet, ou ‘Space Dawn’ ( Rowlan 82) blanc influencé de jaune citron. Ce sont des variétés qui sont à l’origine des SA actuels, avec les descendants de ‘Moon Mistress’ que sont ‘Twice Thrilling’ (Osborne 84), mais surtout ‘Sky Hooks’ (Osborne 80). C’est cependant le visionnaire Monty Byers qui a bien compris la charge esthétique des nouveaux iris. Il en a produit un grand nombre dont ‘Conjuration’ (89), ‘Thornbird’ (89) et ‘Mesmerizer’ (91), les trois Médailles de Dykes issus de ‘Sky Hooks’.

Maintenant plus personne ne conteste que les « rostratas » aient constitué une étape importante du développement des iris. Tout le monde en fabrique, et depuis que par trois fois ils ont remporté la médaille de Dykes ils ont été définitivement adoptés. Mais leur évolution est-elle terminée ? Non point : témoin cet ‘Oghab’ (Muska 2006) (photo), qui arbore deux éperons !

(à suivre)

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