9.3.07




LES ANCÊTRES FRANÇAIS DE ‘CONJURATION’

On ne mesure pas toujours l’apport de l’iridophilie française dans le patrimoine génétique des iris d’aujourd’hui. Il faut dire que retrouver cet apport est un travail de bénédictin qui n’est pas fait de manière systématique, et ne résulte que de l’acharnement de quelques chercheurs comme l’Américain David Pane-Joyce qui, en 1995, a méticuleusement reconstitué le pedigree de ‘Conjuration’ (Byers 88 – DM 98), jusqu’aux espèces d’origine. Grâce à ce travail, on mesure le chemin parcouru depuis les débuts de l’hybridation, c’est à dire, en gros, les années 1840, jusqu’à nos jours. En tout, treize générations ! Et depuis ‘Conjuration’, deux nouvelles générations sont apparues…

Quel est donc l’apport des iris français dans cette généalogie qui, rapportée à l’échelle humaine, correspondrait à une recherche remontant trois cents ans en arrière ?

A partir du travail de David Pane-Joyce, j’ai établi la liste des iris français identifiés. Elle est riche, comme on va le voir. Mais ce qui est vrai pour ‘Conjuration’ l’est également pour toutes les variétés actuelles. Les iris dont il va être question maintenant font donc partie, à un point ou à un autre, du patrimoine de tous les iris.

L’iris le plus ancien qui soit identifié est ‘Aurea’ (Jacques 1830), un petit iris qui fut considéré comme le meilleur iris jaune jusqu’au début de XXeme siècle. On en trouve la trace non seulement chez les iris jaunes, mais aussi chez les iris à éperons : on est donc déjà dans notre sujet quand on parle de ‘Conjuration’.

Ce sont les iris de Jean Nicolas Lémon qui se présentent ensuite. Ils sont au nombre de six. ‘Jacquesiana’ tout d’abord, puis deux autres variétés introduites en 1840 : ‘Hector’ et ‘Fries Morel’ (voir photo). Le premier est dans les tons de grenat bronzé, le second est un jaune miel, et le troisième, un bicolore jaune et acajou. Vient ensuite l’inévitable ‘Madame Chéreau’(1844), sûrement le plus célèbre des iris Lémon, présent dans tous les iris plicatas. Pour finir, deux intéressantes variétés, ‘Innocenza’ (1854) et ‘Céleste’ (1858). ‘Innocenza’ est un blanc à peine marqué de pourpre aux épaules, c’est un ancêtre de ‘Whole Cloth’ ; ‘Céleste’ est bleu tendre, comme son nom l’indique.

On passe ensuite aux hybrides obtenus chez Vilmorin. Pour commencer il y a ‘Oriflamme’ (1904), le premier tétraploïde de la famille, bitone lavande/violet. Puis vient ‘Alcazar’ (1910) la plus connue des variétés de Philippe de Vimorin, en deux tons de violet pourpré et des barbes oranges. ‘Parisiana’ (1911) est un étrange iris diploïde, blanc, légèrement liseré d’indigo, avec les styles de cette couleur, et des barbes blanches, orangées dans la gorge ; c’est l’ancêtre de ‘San Francisco’, première Médaille de Dykes américaine et fameux plicata indigo. ‘Déjazet’ (1914) se présente en deux tons de magenta bronzé, puis vient ‘Chasseur’ (1920), dont le titre de gloire est d’être le parent de ‘Pluie d’Or’, le premier iris vraiment jaune pur.

Dans les mêmes années, la grande époque des iris français, Fernand Denis a introduit quelques autres des ascendants de ‘Conjuration’. ‘Troost’ (1908), tout d’abord, dont on ne sait plus grand chose sinon qu’il devait être dans les tons de grenat ; puis ‘Madame Durrand’ (1912), lui aussi bien oublié. ‘Ochracea Caerulea’ (1919) est un frère de semis du précédent, c’est un variégata dont la descendance est fort importante. Enfin ‘Aurelle’ (1924) qui est l’enfant de ‘Souvenir de Mme Gaudichau’ dont on va parler maintenant.

La maison Millet, dans les années 10/20, faisait concurrence aux grandes affaires qu’étaient celles de Ph. De Vilmorin et de Ferdinand Cayeux. Plusieurs de ses iris ont fortement marqué l’histoire de l’hybridation, et notamment ce ‘Souvenir de Madame Gaudichau’ (1914). Cet iris, tétraploïde, ressemble largement à celui qui est considéré comme son « père », le fameux ‘Amas’, c’est à dire qu’il est bleu violacé, neglecta, avec des barbes bleuâtres, jaune orangé dans la gorge. C’est ce trait qui a fait dire que ‘Souvenir de Mme Gaudichau’ possédait les caractéristiques de I. aphylla, bien qu’on ignore comment cela a pu se produire. Quoi qu’il en soit, cet iris est l’un des plus importants qui soient, un élément fondamental de l’hybridation. Dans l’arbre généalogique de ‘Conjuration’ on trouve encore trois autres produits d’Armand Millet : ‘Madame Cécile Bouscant’ (1923), ‘Souvenir de Laetitia Michaud’ (1923) et ‘Germaine Perthuis’ (1924). Le premier a des fleurs rose violacé ; le second est un bleu superbe ; le troisième est un grand violet à barbes jaunes. Tous les trois ont eu une influence considérable, qui dénote le sens exceptionnel de l’hybridation d’Armand Millet.

C’est le moment d’aborder la part prépondérante de cet inventaire que constituent les iris de Ferdinand Cayeux. Si le compte est exact, il y a dix, ou onze.

‘Sensation’ (1925), considéré de son temps comme le meilleur bleu clair, il figure parmi les ancêtres de ‘Whole Cloth’ ;
‘Phryné’ (1925), en deux tons de bleu lavande, liseré d’argent, c’est l’un des parents de ‘Jean Cayeux’ ;
‘Thaïs’ (1926), un mauve rosé qui a pour titre essentiel de gloire d’être à l’origine de ‘Snow Flurry’, l’iris blanc, ondulé, « de base » ;
‘Pluie d’Or’ (1928), la première Médaille de Dykes française, et le premier véritable iris jaune pur ;
‘Député Nomblot’ (1929), (voir photo), un modèle d’iris brun-rouge, Médaille de Dykes française en 1930 ;
‘Evolution’ (1929), en deux tons, or et bronze, est un des plus grands géniteurs du début du XXeme siècle ;
‘Iceberg’ (1930), blanc de blanc, comme on peut le déduire de son nom ; le moins « capé » des ancêtres de ‘Conjuration’, c’est le parent femelle de ‘Alice Harding’ ;
‘Président Pilkington’ (1931), frère de semis du célèbre ‘Alice Harding’, c’est un variegata or/lavande ;
‘Jean Cayeux’ (1931), coloris unique, neglecta gris ocré, qui a fait sensation lors de son apparition et a obtenu aussitôt la DM française ;
‘Alice Harding’ (1933), un excellent jaune uni, frère de semis de ‘Président Pilkington’.
A cette brochette de grands iris il faut ajouter le semis non dénommé (Bruno X Evolution), élément paternel de ‘Jean Cayeux’.

Pour être complet, il faut avancer dans le temps et rejoindre ‘Falbala’ (78) et son enfant l’incontournable ‘Condottiere’ (78), qui est peut-être l’iris le plus utilisé en hybridation au cours des années 80/90.

L’énumération ci-dessus en dit long sur l’importance des variétés françaises dans la généalogie des iris modernes. La guerre de 39 a sonné le glas de l’hybridation à la française. Le flambeau a traversé l’Atlantique, mais les bases sont restées françaises et l’on peut en être fiers.

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