26.8.06


POURQUOI AIMONS-NOUS LES IRIS ?

Quand on lui demandait les raisons de son amitié pour La Boëtie, Montaigne répondait « parce que c’était moi, parce que c’était lui. » Mais si l’on en reste à cette évidence, on n’avancera pas beaucoup dans le sujet d’aujourd’hui. Car s’il est bien vrai que quelque chose d’inexplicable régit nos sentiments, il existe aussi des raisons tangibles de nos choix. Pourquoi les amateurs d’iris aiment-ils cette fleur-là ? Pourquoi bien souvent cet attachement devient exclusif, ou tout au moins dominant ? Voilà des questions auxquelles on peut essayer d’apporter des réponses.

La madeleine de Proust

Quant on interroge un mordu des iris, il explique en général qu’il a été accroché, d’une façon qui ressemble à un coup de foudre amoureux. Quelque fois cette attirance est apparue très tôt dans la vie de l’amateur : il a ressenti un choc, un jour, dans des circonstances variables, mais qui gravitent le plus souvent autour d’une rencontre. Auprès de chez ma grand’mère, à Chinon, dans la falaise qui domine la ville, il y avait (il y a toujours) des touffes de petits iris germanicas, violet foncé, qui s’épanouissaient très tôt en saison, vers la mi-février. J’ai été fasciné par cette fleur superbe, qui accompagnait mes pas vers celle que j’aimais tendrement et que je me dépêchais d’aller rejoindre. Quand j’approchais des iris, c’était l’avertissement que j’arrivais où je voulais aller et c’était le signe avant-coureur du bonheur qui m’attendait. Dans mon jardin d’aujourd’hui, j’ai des iris germanicas qui viennent de ces touffes hâtives du coteau de Chinon, et auxquels je tiens plus qu’à toutes mes variétés modernes et vivement colorées. Aux alentours de la Pentecôte, le jardin de mon autre grand’mère, en Limousin, embaumait du délicieux parfum des grands iris pallidas bleu tendre, aux tiges un peu molles, qui traînaient souvent au sol. Ces fleurs là ont conservé pour moi un sens très particulier et, comme aux précédents, je tiens profondément aux rhizomes de ces iris, que j’ai précieusement rapportés quand il a fallu abandonner la maison limousine…

J’ai lu et étudié les biographies d’un grand nombre d’iridophiles, surtout lorsqu’ils s’étaient taillé une place majeure dans le petit monde des iris en tant qu’hybrideurs de mérite. Dans de très nombreux cas c’est un choc du même genre qui a déclenché la passion. Quelque fois c’est un intérêt plus spécifique, comme une attirance pour la création de variétés nouvelles, qui en est à la base. Mais il s’agit toujours de quelque chose d’irraisonné, tout à fait proche de l’opinion de Montaigne dont je parlais au début ; quelque chose d’inexplicable, de mystérieux, mais néanmoins rattaché par un lien particulier à la personnalité de l’amateur.

Le choc des couleurs

A côté de ces chocs émotionnels, il y a d’autres causes à la passion que les iris génèrent. Ils ne sont pas les seuls, d’ailleurs, à déclencher ces réactions : les orchidées, les hémérocalles, les pivoines, les lis, les roses surtout, font l’objet de passions identiques. Il est curieux de constater que ce sont en général des plantes pérennes, encombrantes, majestueuses ; on se passionne moins pour les crocus ou les pensées. Ces aspects de permanence et de taille importante font certainement partie des raisons de l’attirance pour les iris, mais ce ne sont pas les seuls : il y a la forme ternaire de la fleur, le fait qu’elle soit portée par une tige élevée qui la met bien en évidence, le fait qu’elle soit d’assez grande taille elle-même, même chez les iris nains, enfin il y a les couleurs. Je ne connais personne qui soit insensible à la vision d’une iriseraie au pic de sa floraison, ni même à la splendeur d’un catalogue illustré. Ces couleurs exceptionnelles, variées, infiniment déclinées en dessins ou mélanges harmonieux, n’ont pas leurs pareil. Comparez un champ d’iris, chez Cayeux par exemple, et un champ de roses dans une pépinière : une certaine uniformité marque le second, tandis que c’est la variété qui domine dans le premier. Le fait qu’il ne manque que le vrai rouge dans la palette des iris explique évidemment cette différence.

Le mystère de l’hybridation

Presque tous ceux qui cultivent les iris sont un jour tentés par l’hybridation, quand ce n’est pas cet aspect des choses qui a entraîné la culture. Rien de plus facile, en effet, que de créer ses propres variétés. Et l’on n’a pas à patienter trop longtemps avant de jouir de ce que l’on a créé : deux ou trois ans suffisent. On se pique vite au jeu. On n’est pas obligé d’agir méthodiquement, comme font les professionnels, on peut tout simplement laisser libre cours à l’inspiration du moment, au désir de voir ce que pourra donner telle ou telle variété croisée avec telle autre. Le résultat ne sera pas forcément génial, mais le plaisir de créer et l’excitation de voir apparaître la première fleur d’un semis compensent largement la petite déception du résultat. De toute façon, ses iris, on les aime, comme on aime ses enfants dont on ne voit pas l’ingratitude de certains traits ou l’imperfection de certaines silhouettes. Ainsi de ce ‘Tilleul-Menthe’ (voir photo) que je garde, mais qui ne sera jamais enregistré. Ce qui compte, c’est bien autre chose, quelque chose qui vient du cœur. A preuve, il faut une sacrée dose de courage (ou d’indifférence !) pour arracher un semis par trop imparfait. La sélection n’est pas naturelle à qui se prend pour le père !

En guise de conclusion

La passion des iris est née en France, au milieu du XIXeme siècle. Elle a gagné le monde anglo-saxon où elle a prospéré formidablement. Elle est revenue en Europe continentale, a envahi le monde slave, qui est maintenant le plus prospère. Elle s’est aussi installée chez les latins : l’Italie compte un grand nombre de passionnés ; elle atteint les slaves du sud et fait son apparition en Espagne là où le climat permet son expansion, comme la Catalogne ou le Pays Basque. Au Japon, en Australie, en Nouvelle Zélande, elle prend la forme des iris Ensatas ou celle des iris de Louisiane, mais elle a les mêmes fondements. Partout où il est possible d’en faire pousser, les iris s’installent. Cette universalité démontre qu’aimer les iris peut atteindre tous les humains, parce que tous sont sensibles aux phénomènes que je viens de décrire.

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