5.5.06

LES LEÇONS D’IRIS DANS UN PARC

Un parcours initiatique dans des jardins imaginaires

Sixième leçon : les iris arilbreds

Les visiteurs arrivent aux Augustins en remontant l’étroit vallon creusé par un ruisseau qui se hâte de rejoindre la rivière. L’allée principale longe un épais bosquet qui a gardé un air sauvage, avant de déboucher devant la demeure, sur une large esplanade sablée. Un petit bassin ovale, animé par un jet d’eau, précède une vaste pelouse qui commence par faire un peu le gros dos avant de s’incliner doucement vers la falaise. Au-delà de la chute abrupte du plateau, la Vienne déploie sa courbe souple et grise, et sur l’autre rive, le coteau vert sombre barre l’horizon. Un peu sur la gauche, le regard est attiré par la pointe rocheuse en fer de lance que domine la formidable forteresse médiévale de Chinon.

Quand le docteur S., chimiste renommé, a pris sa retraite, il s’est installé à plein temps dans la gentilhommière où il ne venait jusque là que pour de courtes vacances. Il ne s’est pas contenté de contempler à longueur de journée l’extraordinaire panorama qui se déroulait sous ses yeux. Il a fait de son parc une délicate mosaïque fleurie, qu’il prend plaisir à faire visiter aux nombreux amateurs qui sonnent à sa grille. Quant aux serres, à l’abri de grands charmes et de chênes, elles hébergent plusieurs collections de plantes précieuses.

LE DOCTEUR S. : « Suivez-moi ! Je vais vous emmener voir mes iris arilbreds. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Bien volontiers ! »
LE DOCTEUR S. : « Si vous voulez savoir pourquoi j’ai choisi de collectionner ces iris, je vous dirai que c’est par défi. On me disait qu’il s’agissait de plantes délicates, capricieuses, gourmandes… Tant mieux, me suis-je dit, il n’y a rien qui m’excite comme quelque chose de difficile. Vous savez, je suis juif, originaire d’Europe de l’Est, et des obstacles, j’ai du en franchir des centaines ! J’ai surmonté la plupart. Alors, un de plus… »
L’AMATEUR D’IRIS : « Et vous avez triomphé une fois de plus ! »
LE DOCTEUR S. : « On a raison de dire que la culture des arils n’est pas facile ! Ils proviennent du Moyen-Orient, et les conditions climatiques que nous leur imposons sont fort éloignées de celles pour lesquelles ils ont été conçus. Heureusement les arilbreds sont un peu plus arrangeants, grâce au sang de pogoniris qu’on leur a injecté. J’ai essayé de les cultiver en pleine terre, sur cette pente, pour qu’ils soient dans un sol particulièrement bien drainé. J’ai allégé la terre avec beaucoup de tourbe et d’humus. Mais je n’ai pas réussi. Malgré une bonne protection de fougères sèches, ils ont gelé dès le premier hiver… J’ai alors fait agrandir la serre et j’ai recommencé en les plantant dans de grands pots, que je sors l’été : ici les étés sont le plus souvent torrides et très secs, cela leur convient ! »
L’AMATEUR D’IRIS : « Il y a pourtant plus d’un siècle que les Anglais ont commencé à réaliser des arilbreds. »
LE DOCTEUR S. : « Oui, grâce à Michael Foster. Mais ces hybrides étaient stériles pour la plupart et ce n’est pas par simple multiplication végétative qu’on arrivera à répandre une nouvelle plante à travers le monde. Il faut pouvoir créer des nouveautés ! Il a fallu attendre les années 20 et l’apparition des iris de Mohr pour que les arilbreds reprennent leur progression. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Votre collection contient des variétés de cette époque ? »
LE DOCTEUR S. : « Oui ! J’ai LADY MOHR, ELMOHR (le seul aril à avoir jamais obtenu la médaille de Dykes) et aussi le fameux CAPITOLA (Reinelt 40) ! Je vais vous les montrer. »
L’AMATEUR D’IRIS : « J’ai l’impression que les arilbreds présentent davantage de traits d’arils que de traits de pogoniris. »
LE DOCTEUR S. : « C’est normal : les arilbreds de valeur sont ceux qui sont au trois-quarts arils. La plante est très proche des arils d’origine, mais la fleur ressemble beaucoup à celle d’un grand iris, avec cet œil brun, sous les barbes, qui fait toute la beauté de ces hybrides. »
L’AMATEUR D’IRIS : «Mais les plus nombreux sont tout de même des ‘demi-sang’. »
LE DOCTEUR S. : « Exact ! Parce que ce sont les plus fertiles et aussi les plus robustes. Ils résistent, notamment, mieux aux maladies et aux virus. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ce qui m’intéresserait c’est que des plantes ayant les caractéristiques des grands iris présentent les associations de couleur et le signal sombre des arils. »
LE DOCTEUR S. : « Je crois que c’est en chemin, mais le travail n’est pas encore achevé. Ne désespérez pas ! Avec les grands iris, on est maintenant sur le point d’avoir des iris rouges ; pourquoi n’aurait-on pas bientôt des iris à signal noir ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « J’en rêve ! »
LE DOCTEUR S. : « Ceux que je préfère sont les nouveaux hybrides blancs, ou amoenas. Comme le ZAZOU, de chez les Anfosso, ou celui que je trouve le plus novateur de ces dernières années, je veux parler de SHEBAH’S JEWEL, de Howard Shockey, tout blanc, avec un gros signal grenat, bien net. Le voilà ! … A côté, c’est un autre Shockey : DESERT FURY, comme du satin grenat… J’aime moins CONCERTO GROSSO, que voici. Mais c’est une variété allemande, et elle a été récompensée aux USA, ce n’est souvent qu’un tel événement ce produit ! Harald Mathes avait déjà manqué de peu la première place avec son ANACRUSIS, en 2003. Ce bleu, là, c’est MOHR PRETENDER ; il date de 78 et marque une avancée dans cette couleur. Et puis voici CHOCOLATE MINT, de Richard Tasco, le vainqueur de la Clarence G. White Medal, cette année : un amoena acide, qui me plait bien. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Votre collection est superbe. Combien de variétés cultivez-vous ?
LE DOCTEUR S. : « Une vingtaine, je crois. Mais je n’irai pas beaucoup plus loin. Je vais plutôt m’orienter maintenant vers l’hybridation. Jusqu’à présent je me contentais des iris des autres, je vais essayer de fabriquer les miens !»

Le Docteur S. et son visiteur se sont encore attardés devant quelques autres variétés et en particuliers les anciens LADY MOHR (Salbach 43), mauve parme et jaune olive tout piqueté de brun, et ELMOHR (Loomis 42) aux grosses fleur rouge foncé. A regret, ils ont pris le chemin du retour, s’attardant un moment à admirer le panorama qui s’étendait à leurs pieds.

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