5.5.06


A LA RECHERCHE DE L’IRIS GRIS

On ne peut pas dire qu’en matière de couleur d’iris le gris soit particulièrement vendeur ! Cette couleur n’est pas celle qui va déchaîner les passions comme le fait la recherche de l’iris rouge. C’est donc le plus souvent fortuitement qu’un iris gris est sélectionné par un obtenteur car je ne crois pas qu’il y en ait qui se soit lancé dans un véritable programme de sélection dans ce coloris. C’est un peu pour ça que je m’intéresse à un tel projet, parce que je n’ai aucune préoccupation commerciale et que je n’agis que par curiosité. Mais mon activité d’hybrideur est tellement infime que je n’ai guère d’illusion quant à l’aboutissement de cette recherche !

On pourrait commencer par définir ce que l’on entend par iris gris. Le gris, théoriquement, est un mélange de noir et de blanc, qui va du blanc cassé au gris anthracite. Mais on appelle également gris le mélange précédent lorsqu’il contient une part de bleu ou de mauve, voire de brun et même de rose. Autant dire que les gris sont multiples ! En plus il faudrait ajouter à ce panel les couleurs qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas nettes ou franches. Le cas n’est pas rare chez les iris, où bien souvent des semis présentent une couleur sale, boueuse, qui n’a en principe rien d’élégant. Ces plantes sont en général rejetées, mais certains hybrideurs, pour différentes raisons, en retiennent quand même. Quelque fois cela donne un effet fumé, d’autres, une teinte brumeuse qui confère de l’étrangeté à la fleur…

Mais l’iris gris vraiment gris est rare, il en existe néanmoins un certain nombre qui méritent que l’on parle d’eux. Cette chronique leur sera donc consacrée. L’un des tout premiers se nomme HOLY SMOKE (E. Smith 57). Génétiquement, c’est un mélange de bleu et de brun. Cela donne une fleur gris-mauve, marquée de brun aux épaules, avec une barbe orange brûlé. Gris aussi, mais plus clair et avec une fleur mieux formée, est RAIN FOREST (Plough 66) ; l’effet gris est obtenu par superposition du jaune pâle un peu vert du fond, et du mauve qui est plus nettement visible au cœur. Cependant l’iris de cette époque que je trouve absolument gris, c’est une variété italienne, obtenue dans les années 60 par une amatrice, Gina Sgaravitti, qui ne l’a jamais enregistré. Il s’appelle BEGHINA, et, malheureusement, je ne connais pas son pedigree. Je l’ai trouvé dans les trésors d’un vieux collectionneur, Noël Guillou, un jour que j’allais visiter son adorable jardin, au pied des Causses. J’ai été enthousiasmé par cette couleur si peu ordinaire, et dès l’automne suivant je l’ai planté chez moi. Il y est toujours et, malgré ses fleurs qui avouent leur âge, je l’aime toujours autant (voir photo).

Après celui-ci, vint FOGGY DEW (Keppel 69), qui a les pétales blanc grisé et les sépales avec dessins plicatas mauves, mais ce n’est pas un pur gris. Plus représentatif est GHOST STORY (Ghio 75). C’est une fleur vraiment grise, fortement marquée de chartreuse aux épaules et sur les côtes des pétales. Les barbes sont jaune moutarde. Joë Ghio a souvent retenu des iris aux coloris peu courants, comme ses verts PISTACHIO (74) ou AL FRESCO (81), ou ses bruns comme COFFEE HOUSE (77) et FLARE UP (78).

Dans les années 80 j’ai remarqué deux variétés grises : FORBIDDEN (R. Dunn 80) et LAMIA (Hager) 81. Le premier est une version rajeunie de GHOST STORY, avec les mêmes infusions chartreuse ; le second et plus colorés, dans les tons de mauve grisé, avec, également, des épaules chartreuse et, en plus, des éperons mauves de belle taille. BATEAU IVRE (Anfosso 82) est de la même veine : il n’a pas d’éperons, mais une brillante flamme bleue sous les barbes.

Le domaine des iris gris s’est enrichi au cours des années 90. Le plus remarquable, peut-être, est TRAITOR (Jameson 93), orné d’une superbe barbe bleu vif. Jack Durrance, avec PEWTER TREASURE (94) a obtenu un iris du gris de l ‘étain (comme son nom le laisse à penser), influencé de vert, mais l’iridophile curieux ne saura jamais quels étaient ses parents puisque son pedigree a été perdu. La même année, Adolf Volfovitch-Moler, du fond de l’Ouzbékistan nous a envoyé VECHERNIAYA SKAZKA (97) qui est un gris-mauve avec barbe orange, bien représentatif du travail de son obtenteur. Trois autres iris bien gris nous viennent des USA : OFF COLOR JOKE (P. Black 97), LET IT RIDE (Schick 98) et GHOST (Dyer 99). Très proches les uns des autres, ils font partie de la famille dans laquelle on a déjà trouvé FORBIDDEN et GHOST STORY, c’est à dire celle des gris additionnés de jaune ou de brun aux épaules et sur les côtes. Il ne s’agit cependant pas d’une famille à proprement parler car leurs liens parentaux sont ténus, voire inexistants, ce qui tend à démontrer qu’un iris gris est plus le fait du hasard que de la recherche génétique.
Tom Burseen, réputé pour l’originalité des couleurs de ses iris (autant que pour les jeux de mots vaseux qu’il utilise souvent pour les nommer), a produit OZONE ALERT (97), proche des précédents, dans une teinte gris clair à peine bleuté, un coloris un peu inquiétant, comme le phénomène auquel son nom fait allusion. De son côté, Clarence Mahan a enregistré en 2003 ce qui me paraît être une proche réplique de mon cher BEGHINA. Celui-là, qui n’a pas basculé du côté obscur de la Force, s’appelle OBI-WAN KENOBI. Comme BEGHINA il a cette base gris perle, surtout présente sur les pétales car les sépales sont imprégnés de gris-bleu, et ces barbes franchement jaunes. Dans le pedigree d’OZONE ALERT, comme dans celui de OBI-WAN KENOBI, on trouve une alliance de bleu et de jaune, avec du pourpre chez le premier, et du gris –déjà – chez le second, en la personne de JOAN’S PLEASURE (Zurbrigg 92).


Beaucoup d’iris qualifiés de gris, tirent en fait soit vers le mauve, soit vers le vieux rose ou rose isabelle. C’est ce qui arrive quand on force la saturation des couleurs. Pour maintenir un véritable gris, il faut rester dans les teintes légères. C’est un équilibre difficile à tenir, et c’est ce qui rend la recherche intéressante. Y a-t-il de vrais hybrideurs pour tenter cette aventure ? L’un d’entre eux, au moins, semble s’y intéresser : il s’agit de Bruce Filardi, qui n’est pas encore professionnel mais qui a une grande expérience des iris, par le fait en particulier de son activité de rédacteur du Bulletin de l’AIS. Parmi ses tous premiers enregistrements figurent deux iris gris, PEWTER AND GOLD (04) et DUGLY UCKLING (05). Ces deux variétés sont arrivées l’été dernier dans mon jardin ; je vais pouvoir les apprécier dès ce printemps.

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