11.3.06


EXTENSION DU DOMAINE DE LA BARBE

Première partie

Rassurez-vous ! Ce titre houelbecquien n’annonce pas quelque chronique sulfureuse. Il s’adapte en fait fort bien au sujet d’aujourd’hui, qui est l’histoire de la barbe des iris (du moins celle de ceux qui en sont pourvus, qu’on appelle aussi « eupogons »).

La nature ne manque jamais d’imagination quand il s’agit d’assurer la perpétuation des espèces. Pour certains iris, ceux qui sont dits « eupogons » ou « pogoniris », elle a préparé un leurre étonnant pour convaincre les insectes, et en particulier les gros bourdons qui sont seuls suffisamment volumineux pour pouvoir se charger du pollen de la plante, d’entrer jusqu’au cœur de la fleur. Elle a d’abord créé pour eux une vaste piste d’atterrissage : les sépales, mais pour mettre toutes les chances de son côté, elle a ajouté des guides fallacieux : les barbes. Elles ont l’apparence de ces champs d’étamines où les insectes savent instinctivement qu’ils vont trouver du délicieux nectar. Ils vont donc se poser sur ce champ, mais là, point de nectar, point de pollen non plus. Alors ils s’enfoncent plus avant vers le cœur de la fleur en suivant cette ligne conductrice toute tracée. Ils trouveront enfin ce qu’ils recherchent, mais au passage ils seront passés sous les anthères des étamines, auront provoqué leur inflexion et reçu sur leur dos poilu le pollen de la fleur. Ce pollen, ils le déposeront tout aussi involontairement sur les lames des stigmates de la fleur d’à côté dans laquelle ils pénètreront ensuite. La fécondation croisée se trouve assurée par cet astucieux système pour lequel la fleur à fait preuve d’une rouerie admirable.

Les barbes auraient pu en rester là : assurer le cheminement des bourdons. Mais les hommes, lorsqu’ils ont commencé à jouer eux-même le rôle du bourdon pour ne polliniser les fleurs que dans le sens qu’ils souhaitaient et améliorer par l’hybridation les iris à barbes, ont compris que ces appendices pouvaient présenter un intérêt esthétique. Ils en ont fait un sujet de recherche et d’approfondissement.

A vrai dire, aux débuts de l’hybridation, les barbes n’ont pas particulièrement fait l’objet de l’attention des hybrideurs. Elles étaient blanches, ou jaunes, et c’était très bien comme ça. Il a fallu attendre les années 40, et l’apparition du facteur « mandarine » pour que l’on commence à s’intéresser aux barbes en elle-même. Ce fut avant tout pour tenter de transférer les barbes mandarines vers des fleurs d’une autre couleur ; Les premiers résultats intervinrent quand des iris violets furent ornés de barbes mandarines. Ce fut le cas pour ENCHANTED VIOLET en 1958. Mais pour obtenir un vrai bleu avec des barbes vraiment rouges, il fallut encore attendre longtemps, peut-être jusqu’à ACTRESS (Keppel 76) ou VIVIEN (Keppel 79) ! Entre-temps, les barbes mandarines avaient envahi des fleurs de bien d’autres couleurs : rose, bien sûr, mais aussi amarante, blanc, jaune… Un peu plus tard, même le noir – NIGHT GAME (Keppel 96)a été ainsi agrémenté. Il en a été de même pour la plupart des associations de couleurs ou de teintes, jusqu’à ces fameux iris que l’on qualifie de tricolores (pétales blancs, sépales bleus, barbes rouges) dont Richard Cayeux s’est fait une spécialité – PARISIEN (94), RUBAN BLEU (97), mais pour lesquels les Américains ne sont pas en reste – PATRIOTIC BANNER (Fort 98).

Le travail sur la couleur des barbes ne s’est pas arrêté aux barbes mandarines. Des couleurs originales sont apparues, bleu nuit entre autres, comme le célèbre EVENING ECHO (Hamblen 77) –voir photo - ou CODICIL (Innerst 85) ; moutarde, bronze – TOUCH OF BRONZE (Blyth 83)… Mais le défi le plus difficile a sans doute été d’introduire des barbes bleues dans des iris jaunes ou roses. Le résultat n’est pas encore parfait, mais des variétés comme MAGIC WISH (Hager 90) ou BLUE-EYED SUSAN (Lauer 98) y sont presque parvenues.

Mais certains se sont dit que ces barbes, quelle qu’en serait la couleur, pouvaient être un attrait supplémentaire soit parce que leur importance pouvait donner du caractère à une fleur, soit, au contraire, parce qu’en se faisant discrètes elles permettaient d’attirer l’attention sur les autres qualités de la fleur. De là est né le souci de jouer avec l’importance des barbes. Certains cultivars se présentent avec des barbes proéminentes, épaisses, vivement colorées, d’autre à l’inverse ne sont dotés que de barbes infimes dans les tons de la fleur, pour passer presque inaperçues. Les obtenteurs jouent encore aujourd’hui sur ces traits. Ainsi en est-il chez Richard Cayeux, par exemple : CUMULUS (2000) est un néglecta mauve, où les barbes minuscules laissent la vedette à l’ensemble coquet et élégant de la fleur, alors que chez CHEVALIER DE MALTE (97) les énormes barbes minium s’étalent sur le plastron blanc des sépales et font encore plus ressortir l’apparence tricolore de la variété.

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