6.1.06


LES LEÇONS D’IRIS DANS UN PARC
Un parcours initiatique dans des jardins imaginaires


Deuxième leçon : les iris de Sibérie

Pour arriver au château il faut traverser un petit bois, de sorte qu’on découvre brusquement la bâtisse, au détour d’un chemin. Une haute bâtisse, appuyée contre le coteau, au point qu’elle ne comporte, en réalité, que trois murs. La façade, tournée vers la vallée, s’orne d’un énorme hydrangea grimpant qui monte du sol jusqu’au toit ; le pignon ouest, quant à lui, sert d’appui à un rosier liane ‘Mermaid’ non moins gigantesque. Depuis la terrasse qui s’allonge à l’ouest du château, la vue plonge, au loin, vers la vallée bleutée du Loir, mais c’est d’abord le vaste étang, situé devant l’édifice, qui attire l’attention. La maîtresse de maison fait visiter son jardin à un important groupe de touristes, de sorte que, bientôt, des groupes plus petits se forment, s’attardant qui au-dessus d’un parterre de vivaces, qui, au bord de l’étang, devant les touffes vert vif de feuilles élancées d’une sorte d’iris.

LA VISITEUSE : « Vous croyez que ce sont des iris, là ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Oui, Madame, ce sont bien des iris. »
LA VISITEUSE : « Ils ne ressemblent pourtant pas à ceux qu’on a l’habitude de voir ! »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ce sont des iris de Sibérie. »
LA VISITEUSE : « Parce qu’il y a des iris, en Sibérie ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ceux-là, en particulier ! Mais on ne les trouve pas que dans cette région ingrate. L’espèce se rencontre aussi en Allemagne, en Bohême, dans les Balkans et même en Turquie. C’est une espèce résistante, qui survit sous les plus rudes climats parce que les longues feuilles que vous voyez, là, sèchent à l’automne et constituent un manteau bien douillet qui protège le cœur de la plante. Au printemps, de nouvelles feuilles renaissent et entourent, comme à présent, les hautes tiges florales. »
LA VISITEUSE : « Vous avez l’air de bien vous y connaître ! Est-ce que ces iris là sont des plantes sauvages, ou, au contraire, s’agit-il de plantes cultivées ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « En l’occurrence, ce sont des plantes cultivées, des hybrides, qui proviennent en fait d’un croisement entre deux espèces botaniques, I.sibirica et I. sanguinea. Le premier a des tiges élevées, qui portent haut des fleurs d’un bleu violacé, le second est plus discret et ses fleurs sont souvent cachées dans le feuillage. Mais elles sont plus grandes que les précédentes, plus foncées, veinées de clair et même quelques fois complètement blanches. En associant les qualités de l’une et l’autre espèce, les hybrideurs ont créé une quantité de variétés qui vont maintenant du blanc au crème, au jaune, à toutes les teintes de bleu et de violet et même au rose, un peu violacé tout de même. »
LA VISITEUSE : « Celles-ci sont jaunes et blanches. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Oui, parce qu’il y a des hybrides bicolores. Chaque année les obtenteurs présentent de nouvelles couleurs ou combinaisons de couleurs. Leur travail consiste à améliorer sans cesse la plante. Ils veulent du jaune vraiment jaune, du rose vraiment rose… Ils recherchent des tiges avec des fleurs plus nombreuses, qui durent plus longtemps, avec des sépales plus larges, plus horizontaux, des pétales ondulés, un cœur franchement veiné ou au contraire absolument uni… »
LA VISITEUSE : « Ce sont des Américains qui font ça ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Oui, mais pas seulement ! Il y a un Américain très fameux qui a consacré sa vie aux iris de Sibérie, c’est Currier McEwen (voir photo), un homme qui a vécu centenaire et qui est mort récemment. En Allemagne, Tomas Tamberg a également produit de nombreux iris de Sibérie. »
LA VISITEUSE : « Ce qui fait gracieux, ce sont ces trois petites ailes qui s’élèvent au-dessus de la fleur. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ce sont les pétales. Et entre les pétales vous voyez ce qu’on appelle les styles, ces appendices à l’extrémité relevée. Ce sont les abris des parties sexuelles de la fleur, c’est là-dessous que se produit le mystère de la fécondation. »
LA VISITEUSE : « Les fleurs de cette touffe là ont l’air plus gros que les autres. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Il est vraisemblable que cette variété ait deux fois plus de chromosomes que la blanche devant laquelle nous étions il y a un instant. Certains hybrideurs ont fait subir un traitement à la colchicine aux graines d’iris et cela a eu pour résultat un doublement des chromosomes. »
LA VISITEUSE : « Une manipulation génétique, en quelque sorte. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Assurément ! Grâce à elle, on obtient des plantes plus grandes, plus grosses et de nouvelles possibilités de colorations. On est parvenu de façon naturelle au doublement des chromosomes des grands iris barbus, mais pour les autres espèces, on n’y est arrivé qu’en traitant chimiquement les semences. »
LA VISITEUSE : « N’importe qui peut cultiver les iris de Sibérie dans son jardin ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ce sont des iris qui poussent sans problèmes. Il leur faut simplement un sol un peu acide, de l’humidité, mais pas d’eau à leurs pieds. Leur place idéale, c’est, comme ici, à proximité d’une mare ou d’un étang. Ils aiment bien qu’il fasse froid l’hiver. Si vous voulez en mettre chez vous, n’oubliez pas, comme vous voyez, que les touffes prennent de l’ampleur : il ne faut donc pas trop les serrer. La seule difficulté, en fait, tient à la fragilité des rhizomes. Il faut faire attention quand on les plante. Mais il n’y a pas besoin d’une préparation savante du terrain, et pas besoin non plus de creuser des trous profonds. Par-dessus le marché, ce sont des plantes qui ne sont jamais malades. En vérité la culture des iris de Sibérie est à la portée de tout le monde ! »
LA VISITEUSE : « Vous me donnez envie d’essayer. Où pourrais-je m’en procurer ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Chez tous les producteurs d’iris. Si vous voulez, je peux vous indiquer un certain nombre d’adresses, et même le nom de quelques variétés récentes, plus belle et plus prolifiques que les anciennes. La plantation a lieu à l’automne, de préférence. Mais soyez patiente, car les iris de Sibérie aiment prendre leur temps pour s’installer. Il n’est pas rare qu’ils ne commencent à fleurir que la seconde année après leur plantation. »

A la bonde de l’étang, de grands roseaux masquent un peu le paysage. La troupe des visiteurs peu à peu se reconstitue et la maîtresse des lieux en profite pour ajouter à sa présentation une ou deux anecdotes qui amusent l’auditoire. Puis chacun retourne à sa voiture, et, dans la brume qui commence à voiler le fond du vallon, le silence revient et le château retrouve sa douce quiétude.

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