4.11.05

BAPTÊME

Ce n’est pas évident de donner un nom de baptême à une nouvelle variété. A plusieurs reprises ce sujet à été abordé dans ces chroniques, mais cette fois il est prévu de faire le tour complet de la question.

Bien sûr les règles ont évolué au cours du temps, à la fois pour éviter des abus et pour ouvrir un peu plus l’éventail des possibilités, car il faut pouvoir donner un nom nouveau alors que des milliers ont déjà été utilisés. Les règles sont celles de la Nomenclature Internationale des Plantes Cultivées. On va les examiner une à une et voir quelles difficultés peuvent apparaître dans leur application.

1) Les noms de personnes.
Pour que le nom d’une personne soit donné à un iris, il faut soit que cette personne soit décédée depuis plus de dix ans, soit qu’elle ou ses ayants droit ait donné une autorisation écrite. Pour Vitali Gordodelov, il n’y a donc eu aucun problème pour qu’il choisisse le nom de GRAF TOLSTOY (1976) pour l’une de ses nombreuses obtentions. En revanche Lawrence Ransom a du demander à la dédicataire une autorisation pour donner un l’un de ses cultivars le nom de GLADYS CLARKE (2000). Mais il n’est pas possible à un mineur de donner cette autorisation ; alors on triche un peu. Richard Cayeux a-t-il voulu honorer l’une de ses filles ? Il a été obligé de baptiser la variété prévue pour cela SIXTINE C.(94). Le C est là pour Cayeux, évidemment.

2) Les titres.
Il ne serait plus possible aujourd’hui d’enregistrer MADAME FRANÇOIS DEBAT (Cayeux 57), mais il n’y a pas eu d’obstacle à ce que le nom de DOCTOR NOLAN HENDERSON (Hedgecock 2000) soit attribué. Parce que ce ne sont que les titres M. Mme, Melle etc.. qui sont interdits, en quelque langue que ce soit.

3) Nombres et symboles
Les choses se compliquent un peu à ce niveau. En effet les symboles, nombres, signes de ponctuation ou abréviations sont interdits, mais seulement s’ils ne sont pas essentiels pour le sens du nom. Ainsi R. Cayeux a-t-il eu le droit de donner le nom de TROIS MOUSQUETAIRES à l’une de ses dernières obtentions (2004) parce qu’il s’agit pratiquement d’une expression dont les éléments sont inséparables. De même rien ne s’est opposé à ce que Joyce Meek choisisse P.T. BARNUM (79) car les initiales sont partie intégrante du nom. Mais on entre là dans le domaine de l’interprétation donnée à la règle par le « registrar » de l’AIS.

4) L’article
Là encore le dernier mot restera au « registrar » car si un nom commençant par un article (dans n’importe quelle langue) est en principe interdit, il sera tout de même accepté si cet article est « nécessaire » dans la langue en question. LA BELLE AUDE (Ségui 82) a été retenu, mais ce n’était pas évident. En fait l’opposition que le « registrar » pourrait mettre tient à sa capacité de connaître ce qui, dans la langue considérée est nécessaire ou non, et il n’est pas forcément polyglotte, surtout lorsque, avec la mondialisation de l’extension de l’iris, des langues « exotiques » sont utilisées (aux USA, qui parle le breton, le basque, l’espéranto ou l’ouzbek ?) Des anomalies apparaîtront nécessairement, mais elles ne sont pas graves à ce niveau.

5) La langue
La seule langue interdite est le latin, pour cause de confusion possible avec les noms botaniques. Toutes les autres langues sont admises. Cela peut devenir un vrai casse-tête car on baptise des iris dans des pays chaque année plus nombreux. Une autre règle précise qu’un nom déjà utilisé dans une autre langue ne peut pas être repris après traduction. Mais comment savoir ce que veut dire tel ou tel nom dans une langue dont le « registrar » n’a aucune connaissance ? Il existe déjà des doublons en ce domaine. Ainsi Lech Komarnicki n’aurait pas du être autorisé à baptiser un iris BIALA NOC (97) parce qu’en polonais ce nom veut dire « nuit blanche », et que le nom de NUIT BLANCHE a été accordé à Pierre Anfosso en 1979. Enfin, pas plus qu’un nom identique à la langue près, n’est permise l’infime variation d’un nom déjà donné. Mais cette règle subit ou risque de subir les mêmes entorses que la précédente, pour les mêmes raisons. Il existe un moyen d’éviter ces malentendus et ces risques de confusion : que le nom proposé soit présenté à l’enregistrement à la fois dans la langue choisie et dans une langue commune, qui, pour moi, devrait être l’espéranto, mais qui pourrait être, plus vraisemblablement, l’américain. C’est une suggestion que je vais d’ailleurs faire à l’AIS.

6) Les mots et les lettres
Jusqu’à une époque récente, les noms composés de plus de trois mots étaient interdits. Il y a seulement quelques années qu’on est passé à quatre mots pour un nom. Dans ces conditions l’appellation PRINCESSE CAROLINE DE MONACO (Cayeux 97) est tout à fait légale. Ce nom à rallonge respecte également la limite des trente lettres pour un même nom. La règle des quatre mots vient en aide aux langues qui, comme le français, font usage de prépositions et d’articles ; auparavant, par exemple un nom comme COURONNE DE LA MARIÉE n’aurait pas été admissible, alors que les Schreiner ont eu la possibilité de nommer un BRIDAL CROWN (81). Les langues qui se passent de prépositions et les langues agglutinantes étaient outrageusement avantagées, notamment l’anglais ou son cousin l’américain.

7) Les noms d’espèces
Autre interdiction, les noms qui contiendraient le mot « iris » ou tout autre mot pouvant désigner une espèce végétale, notamment celles du genre « Iris ». C’est aussi pour éviter les confusions avec les noms botaniques.

8) L’ego de l’hybrideur
La règle suivante concerne essentiellement les obtenteurs de langue anglaise (ou américaine, évidemment). Il s’agit d’empêcher une appropriation excessive ou mégalomaniaque en utilisant la forme progressive (celle qui fait référence au génitif des langues saxonnes, avec un ‘ en fin de mot, suivi d’un s). Dans cet ordre d’idée, le nom de SCHORTMAN'S GARNET RUFFLES (Schortman 81) me semble en infraction à la règle puisque le nom de l’obtenteur en personne est à la forme progressive. En revanche le nom de PANDORA'S PURPLE (Ensminger 81) ne pose pas de problème car la belle Pandore a pu avoir une mauvaise idée, mais elle n’a jamais hybridé le moindre iris ! La règle suivante est dans le même ordre d’idée : pas d’exagération dans les qualités prêtées à la variété dénommée. LE MEILLEUR DE TOUS est un nom qui serait rejeté, à juste titre. Il est également interdit de choisir comme nom un adjectif, seul, lorsque celui-ci peut être considéré comme désignant une caractéristique de la plante : FRISÉ serait rejeté, FRISOUNETTE (Ségui 98) a été normalement admis.

9) Les noms oubliés
Des noms déjà donnés peuvent être tombés en désuétude, ou bien la plante baptisée a disparu. Dans le premier cas, le nom reste inutilisable sauf si celui qui veut s’en servir à son tour obtient la permission de celui qui a été le premier utilisateur. C’est contraignant, mais justifié. Dans l’autre cas, pour une reprise d’un nom déjà donné, il faut s’entourer de précautions, en particulier il faut s’assurer auprès du premier dénominateur que l’iris n’a pas été distribué et qu’il n’a pas été utilisé en hybridation pour une variété elle-même enregistrée. Toujours la même précaution pour éviter, cette fois, les erreurs de paternité.

On voit que donner un nom à une nouvelle variété n’est pas une affaire simple. Heureusement l’imagination humaine n’a pas de limites et les hybrideurs imaginatifs n’ont pas à se faire de soucis.

Aucun commentaire: