26.9.02

ELIZABETH POLDARK

Dans la chronique précédente, je déplorais la place restreinte réservée aux variétés européennes dans les offres des producteurs. Pour avoir quelque chance de voir une variété originaire d’Europe apparaître dans les catalogues, il faut le plus souvent qu’elle ait été introduite sur le marché des USA. C’est le cas pour ELIZABETH POLDARK, une variété anglaise, obtenue en 1987 par Robert Nichol et introduite aux Etats-Unis en 90 par George Sutton. Cette opportunité a valu à ELIZABETH POLDARK d’avoir une distribution mondiale, alors que bien d’autres variétés voisines, mais confinées à leur marché national, n’ont pas eu ce destin. Prenez, par exemple BRYNGWYN, de la Galloise Maureen Foster-Probert, enregistrée en 90, ou WHITE DREAM, de l’Allemand Harald Moos , obtenue en 91. L’une et l’autre sont des iris blancs, issus de variétés américaines, apparues au même moment. Mais ni l’une ni l’autre n’ont quitté leur pays d’origine…

Cela dit, ELIZABETH POLDARK n’a pas usurpé son succès mondial. Il s’agit d’un bel iris ondulé, blanc, avec traces de jaune au cœur et barbes jaunes pointées blanc. En soit il n’a rien de spécialement original, mais il est joli et, au moment de sa grande diffusion, enrichissait et rajeunissait les collections de blancs.

Analyser sa généalogie n’offre pas de réelle difficulté et présente un intérêt certain. ELIZABETH POLDARK provient de MARY FRANCES (Gaulter 73 – DM 79) x PARADISE (Gatty 80). C’est à dire un mauve croisé avec un rose. MARY FRANCES descend d’une lignée de mauves et de roses bleutés, TOWN AND COUNTRY (Gaulter 71), rose orchidée, MARIE PHILIPS (Muhlestein 63), bleu glycine, STERLING SILVER (Moldovan 61), néglecta mauve. A noter que MARIE PHILIPS et STERLING SILVER sont aussi les parents de TOWN AND COUNTRY ! C’est cependant le côté paternel d’ELIZABETH POLDARK qui est le plus intéressant. PARADISE est l’un de ces incomparables roses de Gatty, lui-même issu de roses : PLAYGIRL (Gatty 77) et un semis de MAY DANCER (Shoop 67), et de PRINCESS (Gatty 72). PLAYGIRL est sans conteste l’un des plus jolis roses qu’ait obtenu Joë Gatty. C’est un rose tendre, parfaitement formé et délicatement ondulé. Il a pour parents deux autres roses, LIZ (Gatty 72) et PINK SLEIGH (Rudolph 70). Rudolph était, avant Gatty, le champion des iris roses. Le « père » de PINK SLEIGH, PINK TAFFETA, est aussi un produit Rudolph. Enregistré en 68, il a été couronné de la Dykes Medal en 1975. Il résulte d’un croisement entre ARCTIC FLAME (Fay 60), blanc à barbes minium, et PINK ICE (Rudolph 60), rose pâle lui aussi, comme son nom l’indique. Quant à LIZ, c’est un joli rose saumon, qui est le frère de semis d’un « grand père » de PARADISE, le rose dragée bien connu PRINCESS (Gatty 72). Ce dernier et son frère LIZ ont des parents qui réunissent à peu près les mêmes caractéristiques que ceux de PINK TAFFETA, à savoir une « mère » blanche à barbes rouges – en l’occurrence RUFFLED VALENTINE (Brizendine 61) – et un « père » mauve, le fameux RIPPLING WATERS (Fay 61 – DM 66).

Si ELIZABETH POLDARK est un iris blanc, il le tient essentiellement de ces origines paternelles, où le blanc se retrouve chez ARCTIC FLAME et chez RUFFLED VALENTINE. Il a cependant troqué les barbes rouges contre un fond de jaune qui provient de son côté maternel.

ELIZABETH POLDARK n’a jamais obtenu de récompense officielle. En 92 et 93 la DM anglaise n’a pas été attribuée et, ensuite, se sont le bleu WHARFEDALE (Dodsworth 89) puis le petit plicata indigo ORINOCO FLOW (Bartlett 89) qui ont été honorés. Mais il peut se targuer de nobles origines. N’a-t-il pas dans ses ancêtres au moins trois vainqueurs de la DM : MARY FRANCES (79), PINK TAFFETA (75) et RIPPLING WATERS (66) ? De plus il peut être fier de ses descendants, essentiellement des iris blancs, comme H.C. STETSON (Stetson 2001) qui a remporté le Florin d’Or en 2001. Il faut compter aussi sur FREEDOM FLIGHT (Sutton 2001), qui ressemble beaucoup à sa « maman », et sur un iris que j’aime beaucoup, VERITY BLAMEY (Nichol 98), qui n’est évidemment pas blanc, mais qui, en deux tons de mauve et barbes or, rappelle les ancêtres colorés d’ELIZABETH POLDARK.

23.9.02

SACRÉE BARBOUZE

Il me faut faire une rectification. Il m’est arrivé, notamment dans la chronique à propos des iris à barbes noires, de citer l’iris bleu de Lawrence Ransom « Barbouze ». J’aurais du dire SACRÉE BARBOUZE, puisque c’est ce nom qui a finalement été attribué à cette variété. Pourquoi avoir changé le nom ? Lawrence Ransom l’explique très bien dans sa lettre 2002 : « …en France, les obtenteurs donnent à leurs hybrides des noms français, qui font allusion à une personne, une particularité… Pour moi qui suis le « fruit d’une hybridation franco-britannique », c’est un problème délicat, car certains mots ont parfois, à l’usage, un double sens… Ah ! ce nom de BARBOUZE !! Il m’avait plu, et je l’avais attribué l’année dernière à une fleur qui porte de bien belles barbes contrastées… sans penser à d’autres « barbes »… de triste renommée dans l’Histoire. Cela me fut reproché !… Je le regrette profondément et espère que la nouvelle appellation « SACRÉE BARBOUZE » vous incitera à découvrir cette variété. »

On peut ajouter que ce vocable de « barbouze » possède aussi une autre signification, qu’ignore peut-être notre ami « hybride franco-britannique », qui est de désigner un garde du corps musclé, ou un membre des services de sécurité, dont la réputation n’a rien de poétique ! SACRÉE BARBOUZE replace bien le problème dans le sens recherché par l’obtenteur, celui d’une barbe particulièrement remarquable. Cette jolie fleur originale ne méritait pas d’être mêlée à une histoire de gros bras !

21.9.02

OÙ SONT LES FRANÇAIS ?

Depuis plusieurs années les variétés françaises enregistrées se multiplient gentiment. Est-ce le résultat des efforts de la SFIB pour inciter les obtenteurs amateurs à donner une existence officielle à leurs produits ? Est-ce une prise de conscience de ces mêmes obtenteurs, de ce que leur travail ne doit pas éternellement rester dans l’ombre ? Est-ce qu’il y a de plus en plus d’amateurs qui pratiquent l’hybridation ? Sans doute un peu de tout cela, en tout cas le résultat est là, et c’est ce qui compte.

De 1995 à 2001 il y a eu 140 enregistrements de variétés françaises tous types confondus. Mais le vrai début des enregistrements d’amateurs se situe en 2000, avec quatre nouveaux noms. L’année 2001 a été florissante avec 6 amateurs qui ont proposé des enregistrements. Jusqu’ à la fin du XXème siècle les amateurs n’apparaissaient guère (1 en 95, 0 en 96, 3 en 97, 3 en 98, 1 en 99).

Si l’on ne peut que se réjouir de ce soudain engouement, cela n’est pas suffisant pour faire connaître l’hybridation française à travers le monde. En effet, quand on consulte les catalogues des producteurs étrangers il n’y a que deux noms d’obtenteurs français qui apparaissent : Cayeux et Anfosso. Le premier est sans aucun doute le plus connu et le plus répandu. Il jouit d’une réputation qui remonte aux années 20 et ne s’est jamais démentie. Le second, en quelques années, a su se creuser une place enviable : des variétés comme RÉVOLUTION, ECHO DE FRANCE, FONDATION VAN GOGH se rencontrent dans plusieurs catalogues d’outre atlantique. Mais les Américains sont friands de nouveautés et le désintérêt marqué de la famille Anfosso pour les iris aboutira dans peu de temps à la disparition de leur nom. Il n’y aura plus que Cayeux pour représenter notre pays ; c’est bien, mais c’est bien peu…

La France n’est pas seule dans ce cas. Les obtenteurs européens en général sont inconnus ailleurs que dans leur pays d’origine. Prenez les obtenteurs allemands. Ils sont sérieux, habiles et respectueux des règles. Ils enregistrent scrupuleusement le produit de leur travail. Mais leurs iris ne sont pas commercialisés. Les catalogues allemands eux-mêmes ne proposent que très peu d’iris allemands ! Le problème est aussi grave Grande-Bretagne. Les hybrideurs anglais enregistrent aussi leurs iris. Ils s’offrent même une Médaille de Dykes pour récompenser chaque année leurs plus beaux spécimens, mais les catalogues anglais ne parle guère des produits nationaux… Dans l’ex-Europe de l’Est, on se remue nettement plus. Le marché national est assez restreint, mais la solidarité entre obtenteurs joue bien et ils arrivent à se faire connaître en dehors de leurs frontières, sans pour autant atteindre encore à la véritable célébrité.

Le plus prolifique de nos obtenteurs, Lawrence Ransom, n’est pas intéressé par la commercialisation de ses obtentions. Il se contente d’une solide réputation franco-française et ne se passionne que pour l’hybridation. Mais cette attitude est bien dommage car ses iris ont leur place à travers le monde. Ceux de Jean Ségui pourraient aussi trouver une réputation mondiale. Mais il y a une difficulté : pour s’ouvrir une porte aux USA, à défaut d’y avoir acquis depuis longtemps sa renommée, il faut y avoir un actif correspondant. Si les iris de l’Australien Barry Blyth ont pu faire le tour du monde, c’est parce qu’il travaille avec Keith Keppel, qui commercialise ses variétés en Amérique. Quelques hybrideurs européens ont compris qu’il leur fallait faire de même. C’est le cas de l’Anglais Cy Bartlett, du tchèque Zdenek Seidl et de l’italien Augusto Bianco qui, maintenant, sont distribués là-bas. Tant que nos compatriotes n’auront pas cherché, ou trouvé, un correspondant, la place de nos iris dans le monde restera confidentielle. Personnellement je le regrette car je considère que les obtentions françaises de ces dernières années, et tout particulièrement celles de L. Ransom, sont dignes de représenter notre pays dans les jardins du monde entier.

13.9.02

DUDE RANCH

Voilà une variété récente, qui vient de remporter le Florin d’or cette année, dont la généalogie ne s’encombre pas de croisements complexes, et qui est parvenue à imposer un coloris trop peu récompensé jusqu’à présent.

DUDE RANCH (Paul Black 2000) est en effet un iris neglecta original. Les pétales en sont jaunes d’or imprégnés de pourpre à la base, les sépales plus sombres sont qualifiés de couleur caramel marqués de mauve sous les barbes vieil or. Une fleur flamboyante donc, originale et rare. Les iris jaunes d’or sont nombreux, les iris miel plus rares, les fleurs caramel franchement peu nombreuses. La combinaison présentée par DUDE RANCH est proprement unique, même si on peut lui trouver quelques traits communs avec des variétés comme BOHEMIAN (Schreiner 88) ou un autre enfant de Paul Black, BOY NEXT DOOR (93).

Ce n’est pas uniquement sur sa couleur que DUDE RANCH a été apprécié, mais aussi pour la qualité de la plante et la vigueur de sa pousse.

Du côté féminin, il provient de PORCELAIN BALLET (P. Black 85), un iris abricot à barbes minium, qui n’est pas, comme on voit de la dernière génération. Lui-même descend de deux iris des années 70, OLD FLAME (Ghio 75) et INSTANT CHARM (O. Brown 74). Le premier est blanc liseré de crème, un peu comme le célèbre BRIDE’S HALO, le second est un rose bleuté franchement mauve au bord des sépales. OLD FLAME lui-même est l’enfant de deux variétés richement colorées : WEST COAST (Knopf 68) – or deux tons, et RADIANT LIGHT (Fay 63) – orange. C’est très certainement de cette origine que DUDE RANCH tient son coloris.

Du côté masculin, ses grands-parents sont deux variétés fort connues, TEQUILA SUNRISE (Mc Wirther 78), variegata mandarine et améthyste, et ENTOURAGE (Ghio 77), exceptionnel iris vieux rose. Du côté de TEQUILA SUNRISE on trouve AMIGO’S GUITAR (Plough 64), variegata lui aussi, auquel ressemble beaucoup son descendant, et des mauves bien connus comme LAURIE (Gaulter 66) et SAN LEANDRO (Gaulter 68). Le même SAN LEANDRO est d’ailleurs dans le pedigree d’ENTOURAGE, ainsi que le jaune NEW MOON, dont on a parlé récemment. A titre anecdotique, il faut noter qu’ENTOURAGE a obtenu le Florin d’Or en 1980. Vingt-deux ans après, son petit-fils atteint le même sommet.

Deux générations en vingt ans. DUDE RANCH est l’exemple même d’une recherche basée sur la qualité intrinsèque des géniteurs. A côté de cela on voit certains obtenteurs multiplier les variétés et s’empresser de les croiser, comme si la multiplication des générations était la seule voie pour obtenir des variétés modernes. Avec DUDE RANCH, Paul Black a parié sur un choix raisonné de parents éprouvés et il a obtenu un iris non seulement original dans son coloris, mais sûrement sain et robuste. Car, à Florence, on ne regarde pas que la fleur, les qualités de la plante sont largement prises en considération, au point que l’on a vu des variétés superbes devancées par des iris plus ordinaires mais solides et qui poussent bien. Ce fut le cas en 1995 avec IKAR (Volfovitch-Moler 92). Dans son lointain Ouzbékistan, Adolf Volfovitch-Moler a longtemps travaillé avec les variétés qui avaient pu lui parvenir malgré les difficultés provoquées par le rideau de fer et le régime soviétique. Il a fort bien réussi, car IKAR n’est pas sa seule réussite. CARNIVAL NIGHT (97), dont il a été question ici il y a quelques mois, en est un autre exemple, de même que TASHKENT (92), rutilant or et bordeaux, ou SYMPHONYIA (92), rose pourpré tardif, à barbes minium, avec des fleurs dans le style de celles de CONJURATION. Le premier est issu de RIPPLING WATERS x BROADWAY STAR, le second est le fruit de PIPES OF PAN x RIPPLING WATERS, c’est à dire des variétés des années 60, comme les antécédents de DUDE RANCH.

8.9.02

LA GRANDE PASSION DE Mr DYKES

Au tournant du vingtième siècle, dans la petite ville de Godalming, dans le Surrey, au sud-ouest de Londres, vivait un professeur du nom de William Rickatson Dykes. Les Britanniques ont toujours été intéressés par la botanique et le jardinage. William R. Dykes n’échappait pas à cette règle. Lui, sa passion, c’était les iris. Les bons auteurs parlent de lui comme d’un collectionneur passionné et d’un jardinier habile. Pour assouvir sa passion il correspondait avec un grand nombre de ses compatriotes dispersés un peu partout dans l’immense empire colonial géré par son pays. Lui-même parcourait chaque année les montagnes sauvages de l’Est de l’Adriatique où il découvrit un grand nombre d’espèces nouvelles et d’hybrides interspécifiques spontanés. Il rapporta entre autres des plants des véritables Iris pallida et Iris variegata. Ses correspondants lui envoyaient toutes sortes d’iris auxquels il donna le nom de la région d’où ils provenaient. C’est ainsi qu’il dénomma Iris cypriana et Iris trojana, de même que Iris mesopotamica.

Il était en relation avec un autre passionné, Sir Michael Foster, professeur de médecine à l’Université de Cambridge, qui cultivait et hybridait toutes les espèces qu’on lui fournissait, souvent avec une certaine désinvolture scientifique. William R. Dykes, lui, se montrait plus rigoureux et redressait les erreurs de son ami. Mais il ne résistait pas au désir d’accomplir lui-même des croisements, comme, d’ailleurs, quelques autres Anglais, comme Robert Wallace, George Yeld, Arthur Hoyt, Amos Perry ou Arthur Bliss.

A la mort de Foster, en 1907, il hérita de la collection de ce dernier et se lança dans un énorme travail scientifique : la classification du genre Iris. En 1913 il publia ce qui est toujours le texte de référence sur le sujet, « The Genus Iris ». Sa réputation devint universelle. Il fut le Secrétaire de la Royal Horticultural Society, et participa à la fondation de la British Iris Society.

Il ne lui manquait plus que d’être immortalisé. Ce fut fait après sa mort, en 1925, quand sa famille lui dédia un nouvel hybride, qui porte le nom de W. R. DYKES, et quand la B.I.S. décida de décerner chaque année trois médailles portant son nom : une pour la Grande-Bretagne, une pour la France et une pour les Etats-Unis. De nos jours, le médaille française n’est plus attribuée depuis 1938 ; sa courte existence n’a jamais eu une véritable justification car il n’y a jamais eu de réelle compétition : toutes les médailles attribuées l’ont été à des variétés de la famille Cayeux ! Mais il existe toujours trois médailles de Dykes ; la française a été remplacée par une médaille pour l’Australasie. La médaille américaine est rapidement devenue le sommet de ce qui se fait dans le monde. Les variétés qui l’obtiennent sont sûrement les meilleures du moment et sont assurées d’une longue vie commerciale. C’est encore un domaine où se manifeste l’hégémonie américaine. Nul ne sait si William Rickatson Dykes, anglais bon teint, aurait apprécié cette suprématie.

Quoi qu’il en soit, sa renommée à lui est bien établie. On ne peut pas parler d’iris sans parler de Dykes, et ce n’est que justice rendue à celui qui a accompli un travail immense en faveur de cette fleur.