28.11.01

ROBERT SCHREINER

Tous ceux qui s’intéressent aux iris connaissent la maison Schreiner, celle dont le nom apparaît derrière celui d’une quantité incroyable d’iris de grande qualité répandus dans le monde entier. Mais peu de personnes connaissent ceux qui ont créé puis développé cette entreprise d’une taille inconnue sur notre continent dans un domaine aussi restreint que les iris.

Le fondateur de la maison fut Francis X. Schreiner, chef de rayon et acheteur dans un grand magasin, qui s’intéressait aussi au jardinage. A partir de 1917 il s’est mis à cultiver les iris. Dès 1925 il disposait d’assez de marchandise pour publier une première liste, bientôt suivie, en 1928, d’un véritable catalogue. L’année suivante Francis Schreiner abandonnait son métier et se consacrait exclusivement à la production d’iris. A cette époque son fils Robert avait 19 ans.

Pour connaître la suite de l’histoire, il n’y a rien de mieux que de lire ce qu’a écrit à ce sujet Keith Keppel dans le bulletin n° 320 de l’AIS.

« Francis encouragea son fils à s’intéresser aux iris, et ce dernier, dès l’âge de 9 ans, disposait de sa propre planche. Combien de parents feraient manquer l’école à leur fils une journée entière pour assister à une exposition d’iris ? Francis l’a fait, parce que le pionnier de l’hybridation Willis Fryer devait être là, et qu’il pensait que Robert devait le rencontrer. Comme Francis était souvent parti pour faire des achats, il confia à Robert la responsabilité de la plantation et des soins aux nouvelles acquisitions, y compris les variétés européennes hors de prix. Francis fit cadeau à son fils du livre de Dykes ‘Le Genre Iris’ ; Robert y fit la connaissance d’obscures espèces originaires de pays exotiques, écrivit au département de botanique de l’université et examina les fameuses graines. A 19 ans il fit ses premiers croisements, et quelques années plus tard entreprit des études de botanique à l’Université du Minnesota. »

« Malheureusement, les études de Robert (surnommé Bob) furent brutalement interrompues en 1931, par la mort de Francis. Robert n’avait que vingt ans, mais il était l’aîné des trois enfants – Constance avait deux ans de moins que lui et Bernard (Gus pour les intimes) en avait neuf. La décision fut prise de continuer le commerce des iris, en dépit des âpres réalités de la crise économique. Constance (Connie) donnait un coup de main au bureau et Gus travaillait aux champs après l’école. Ainsi, comme maintenant, les Jardins Schreiner étaient une véritable affaire de famille, tellement qu’aujourd’hui il est difficile de séparer l’individuel du collectif. »

« Mais au début c’est surtout Robert qui s’occupait de l’hybridation, et il avait du sujet une approche éclectique. Si l’on consulte le plan de plantation de 1933, on voit un nombre prodigieux de croisement de grands iris. Et s’y ajoute une abondance de croisements concernant des iris nains, intermédiaires, ou même de purs arils comme parents d’un côté ou des deux. Il y avait des croisements d’Iris aphylla et autres avec Iris albertii ; d’autres entre des espèces de la section des juno. Plantées dans des boîtes il y avait des ‘graines d’Europe’ : espèces en provenance d’Autriche, de Bulgarie, de Roumanie et de Russie. »

« En 1935 est apparue la première introduction Schreiner : ‘Lucrezia Bori’. Alors qu’aujourd’hui quand on dit Schreiner on pense grands iris, dans les dix années qui suivirent les catalogues Schreiner comptaient des introductions d’iris oncos, et d’iris intermédiaires. » …

« Bob s’est intéressé dès le début aux iris sombres, et ‘Ethiop Queen’ (1938) était tout à fait estimable, mais c’est le petit ‘Black Forest’ (1945) qui incluait des gènes d’I. aphylla, qui a enclenché la succession rapide de grands iris de plus en plus sombres et de plus en plus grands. … »

« Une autre recherche fut celle des iris dentelés dans une large palette de couleurs. Les dentelures sont apparues parmi les semis des frères Sass au début des années 30, mais ceux-ci les considéraient plutôt comme des anomalies et ne poursuivirent pas dans cette direction. Les visiteurs pouvaient acheter ces semis comme des nouveautés, et ce fut Dave Hall, fameux pour ses iris rose flamand, qui lança les iris dentelés en 1943 avec son ‘Chantilly’. Avant l’apparition de ‘Chantilly’, Bob avait commencé un programme incluant la variété de Sass ‘Matula’, et il a introduit en 53 le rose orchidée dentelé ‘Lavanesque’ suivi l’année suivante par ‘Orchid Ruffles’ et ‘Crispette’. En 55 ‘Carmela’ amena les dentelures parmi les fleurs dans les tons de brun. Ce premier travail se situe derrière les délicieuses variétés issues de ‘Salem’. »

« Parlez des grands iris de Schreiner et vous pensez inévitablement aux bleus – et rouges- deux classes de couleur si largement explorées pendant des années. Les uns et les autres se basent sur les premiers travaux de Bob. Il y eut un moment une forte poussée vers les bruns et les ‘blends’, mais ces lignes là ne furent pas poursuivies parce qu’elle furent considérées comme pas assez commerciales. »

« Quelquefois vous n’êtes pas complètement satisfait, mais il faut tenir bon. Au fur et à mesure que l’affaire prenait de l’ampleur, l’emploi du temps de Bob devint de plus en plus exigeant. Voyages outremer, supervision, photographies, relations publiques, et autres…laissèrent de moins en moins de temps pour le programme d’hybridation. Gus se chargeait du travail des champs, y compris les semis et le programme d’hybridation, mais c’était toujours initié par Bob, et ils se consultaient tous les trois quand venait le moment de choisir les introductions du nouveau catalogue. Cependant Bob n’a jamais perdu son intérêt pour l’hybridation, même en ce qui concerne les petits iris. Il gardait près de la maison quelques semis faisant appel aux Iris reichenbachii, plantes à fleurs de taille intermédiaire dans les tons de rouge à magenta, avec de grosses barbes bleues. Certains de leurs descendants parmi les grands iris sont en culture maintenant et on peut espérer qu’en sortira le roue à barbes bleues que Bob prévoyait. »

« On peut seulement se demander si l’adolescent du Minnesota avait une idée d’où la vie pouvait le mener, et de l’effet important qu’il aurait sur les iris et leurs amateurs. Comment le difficile déménagement de St Paul à Salem (Oregon) dans les années 40 donnerait naissance à une pépinière d’iris de plusieurs centaines d’hectares. Qu’il recevrait la Médaille d’Honneur de l’AIS en 72, que les Schreiner (Bob, Gus et Connie considérés comme une équipe) obtiendraient la Medaille des Hybrideurs en 54, et qu’il serait distingué personnellement par la rare Médaille d’or de l’AIS en 94. Les récompenses ne sont pas venues des seules sociétés iridophiles américaines. La Foster Memorial Plaque de la BIS en 63, la médaille de la Société d’Horticulture du Massachusetts pour services remarquables à l’horticulture en 75, et la Distinguished Service Medal de la Perennial Plant Association en 88 viennent à l’esprit. »

« Une liste des récompenses obtenues par les iris Schreiner serait fastidieuse. Il suffit de mentionner au passage les nombreuses Médailles de Dykes et les Florins d’Or de Florence comme un petit exemple du total, et de leur laisser le soin de faire la preuve absolue de l’importance de cet homme dont le travail d’hybridation a commencé dès l’adolescence. Qu’une brindille est devenue un arbre puissant. »

27.11.01

BEFORE THE STORM

Le quatrième iris de la série « Iris de la semaine » sera BEFORE THE STORM (Innerst 89 – DM 96). Il fait partie de ce que l’on appelle les iris « noirs », et constitue l’un des aboutissements d’une longue série d’amélioration et d’approfondissement de la couleur. Les variétés étudiées précédemment procédaient toutes d’une recherche de quelque chose de nouveau, celle-ci résulte d’un autre type de recherche : ne pas vouloir faire du neuf, mais améliorer ce qui existe déjà.

La même ligne de conduite a par ailleurs été également suivie par la maison Schreiner pour obtenir et enregistrer un autre vainqueur de la DM : HELLO DARKNESS (Schreiner 92 – DM 99), et l’on verra plus loin que ces deux cultivars sont des cousins assez proches.

BEFORE THE STORM est un iris violet très foncé, pratiquement noir. Comme la plupart des noirs, il est un peu délicat à faire pousser et ses fleurs ne sont pas très ondulées. Mais ce qui compte le plus, c’est qu’il soit d’un beau noir, uni et velouté. De ce côté là il n’y a aucun reproche à lui faire ! Il est le produit du croisement de deux autres « noirs », SUPERSTITION (Schreiner 77) et RAVEN’S ROOST (Plough 81). Du côté maternel, on n’a que des informations partielles car la « mère » de Superstition est un semis dont la check-list de l’AIS ne dit rien, mais sont « père » est NAVY STRUT (Schreiner 74), un iris largement utilisé en hybridation, aussi bien dans la recherche des bleus que dans celle des noirs.

Raven’s Roost est l’aboutissement des travaux de Gordon Plough dans la recherche du noir le plus noir. Il faut faire remarquer que G. Plough est l’un des obtenteurs américains qui s’est le plus impliqué dans cette voie, avec des variétés comme EDENITE, SWAHILI (1964), STUDY IN BLACK (1968), CHARCOAL (1969), BLACK MARKET (1973), variétés que l’on retrouve toutes dans les ancêtres de Raven’s Roost et, donc, de Before the Storm. Le « père » de Raven’s Roost provient de la ligne de recherche de noirs de la maison Schreiner. Il s’agit de PATENT LEATHER (1971), une variété qui n’a pas fait carrière, du moins en Europe, mais dans l’arbre généalogique de laquelle on rencontre les principaux noirs de Schreiner : PRINCE INDIGO (1964), NIGHTSIDE (1966), STORM WARNING, ETHIOP QUEEN, LICORICE STICK et enfin BLACK FOREST, le géniteur d’origine de pratiquement tous les noirs actuels.

La descendance de Black Forest est édifiante : A la première génération il y a eu DARK BOATMAN, BLACK HILLS, BLACK TAFFETA, STORM WARNING/ ENSUITE ON TROUVE PAR EXEMPLE ECSTATIC NIGHT, BLACK SWAN, STUDY IN BLACK, DARK FURY, LICORICE STICK, puis CHARCOAL, MIDNIGHT SPECIAL, TROPICAL NIGHT, DUSKY EVENING, BLACK MARKET, OPENING NIGHT, DUSKY DANCER, BASIC BLACK, MATINATA, puis TUXEDO, DARK TRIUMPH, NIGHT OWL, etc.

Si l’on reprend l’arborescence des ancêtres de Hello Darkness, pur produit Schreiner, on ne va pas voir les noirs de Plough, mais toutes les autres variétés que l’on vient de citer, ou presque, se retrouvent dans son pedigree. Il est le fils de TITAN’S GLORY (Schreiner 81 – DM 88) et de MIDNIGHT DANCER (Schreiner 91). Titan’s Glory compte parmi ses ancêtres Navy Strut et Prince Indigo, Midnight Dancer descend de Navy Strut, Black Swan, un frère de semis de Tuxedo…

C’est avec les bons légumes qu’on fait les bonnes soupes. Cet aphorisme s’applique tout à fait à Before the Storm et à Hello Darkness. Les enfants de ces deux iris seront toujours plus noirs, comme GHOST TRAIN (Schreiner 2000) et tous ceux qui apparaîtront dans les années à venir.

17.11.01

SKY HOOKS

Avec SKY HOOKS, les iris à éperons (en américain iris Space Age) ont acquis leurs lettres de noblesse. Parce qu’il rassemble à la fois force, beauté et élégance, il est devenu l’une des variétés les plus utilisées en hybridation par tous ceux qui souhaitaient entreprendre ou améliorer une lignée d’iris à éperons. Avec un peu de chance il aurait pu obtenir la Médaille de Dykes en 1990, puisqu’il a terminé troisième de la compétition, derrière Jesse’s Song, Az et Everything Plus. Pour voir un iris Space Age remporter la médaille, il faudra attendre jusqu’en 97, et le triomphe de Thornbird, qui est l’un de ses nombreux descendants.

SKY HOOKS (Manley Osborne 1980) se distingue par des fleurs amples et bien ondulées, une couleur jaune un peu teinté de vert, et surtout de beaux éperons bleus à l’extrémité de barbes jaunes. Lorsqu’on admire la fleur, présente aujourd’hui dans la plupart des jardins d’iris, on ne cherche pas forcément à savoir de qui il tient ces divers éléments. Cependant l’examen de son pedigree, on comprend que tout cela est le résultat que l’on pouvait attendre des différents gènes qu’il contient.

Il est le produit de quatre sources : une source blanc pur, blanc bleuté, voir bleu ciel du côté maternel ; une source rose, du côté de son père, avec des antécédents jaunes et, bien entendu des éperons !

Sa « mère » est Wedding Vow (Joë Ghio 72) un blanc issu d’une longue lignée de blancs et de bleus : dans les premières générations on trouve Patricia Craig (Tom Craig 62), un blanc, First Courtship (Ghio 62), un autre blanc, Junior Prom (Ghio 66), un blanc glacier, et Nina’s Delight (Ghio 62), un blanc à barbes bleues. Plus loin, on trouve Frosted Starlight (Ghio 61), un autre bleu glacier, enfant d’un blanc, New Snow (Fay 46) et d’un bleu archi célèbre, Chivalry ; Frieda’s Favourite (Craig 60), toujours un blanc, Jane Phillips (Graves 50), un fameux bleu ciel descendant d’Helen McGregor,Violet Harmony (Lowry 48 – DM 57), et Mary McClellan (Craig). De cette ascendance Sky Hooks tient à la fois le bleu de ses éperons et la teinte un peu verte de son coloris.

Son « père » s’appelle Moon Mistress (Osborne 75), un iris pèche à éperons assortis, lui-même issu d’une lignée de roses chair : Chinese Coral (Fay 62), Mary Randall (Fay 50 – DM 54), Fleeta… et d’une lignée d’iris à éperons, dans les tons de jaune : Spooned Blaze (Austin 64), Lemon Spoon (Austin 60), Horned Papa… D’où à la fois les éperons et la coloris jaune clair.

La descendance de Sky Hooks est immense. Dans ma documentation j’ ai décelé plus de 120 descendants au premier degré, mais je suis loin du compte ! Pour mémoire j’en citerai quelques uns qui ont atteint une certaine célébrité : Antigua Soleil (Anfosso 90), Carmagnole (Anfosso 89), Conjuration (Byers 8ç – DM 98), Flûte Enchantée (Anfosso 91), Lurid (Byers 87), Magic Kingdom (Byers 89), Mesmerizer (Byers 91), Ostrogoth (Peyrard 94), Thornbird (Byers 89 – DM 97), Triple Whammy (Hager 90), pour ne parler que de cette génération là.
QUESTION DE FORME

Celui qui ne s’intéresse que superficiellement aux iris ne fera pas forcément la différence entre une fleur d’iris germanica ou pallida, comme on en voit dans tous les jardins, et une fleur de grand iris barbu. L’une et l’autre ont trois pétales dressés en dôme, trois sépales retombants et des barbes.

Et pourtant ! Le spécialiste, lui, saura distinguer et même pourra dire, sans trop de risque de se tromper, en quelle décennie la variété qu’on lui présente a été obtenue. Une grande partie de travail des hybrideurs a porté sur la forme des fleurs. Le progrès a consisté à corriger ce qui pouvait manquer de grâce dans la fleur botanique : raideur de l’ensemble, étroitesse des sépales, manque de rigidité des pétales. Il a contribué aussi à apporter de petits détails, comme le bord lacinié des parties florales, qui donnent à l’ensemble un chic particulier. On peut dire qu’il y a autant de différences entre une fleur d’iris botanique et une fleur d’iris moderne qu’entre une robe coupée à la maison et une tenue de soirée signée d’un grand couturier.

Le chemin a été long, et il n’est sûrement pas près de s’achever. Prenez, par exemple l’iris ALCAZAR (Vilmorin 1910). Il est très proche de l’iris botanique, aucune ondulation, pas trace de frisettes, des sépales qui pendent comme des oreilles de cockers… Regardez ensuite JEAN CAYEUX (Cayeux 1931) : les pétales sont encore un peu mous, mais les sépales ne s’effondrent plus, commencent à prendre de l’ampleur. Comparez avec BY LINE (de Forest 1952 – Florin d’or 53) : les pétales ont pris de la rigidité, les sépales s’étalent, manquent encore les ondulations. BABBLING BROOK (Keppel 69 – DM 72), a côté de cela a pris une allure franchement moderne, les pièces florales ondulent gracieusement, les sépales, larges, se tiennent horizontaux sur plus de la moitié de leur longueur, les pétales, soutenus par des côtes robustes se dressent vigoureusement ; la récompense suprême n’a pas été usurpée.

Dix ans plus tard, RINGO (Shoop 79) atteint une sorte de paroxysme en matière d’ondulations, et les épaules des sépales sont si développées que ceux-ci restent parfaitement horizontaux jusqu’à ce que la fleur se fane. Mais une certaine réaction va se faire, avec le retour des iris a fleurs rigoureusement dessinées, adieu le flou. C’est le cas, par exemple chez CODICIL (Innerst 85) ou WINESAP (Byers 89), et c’est une forme appréciée par l’obtenteur franco-britannique Lawrence Ransom, et que l’on trouve chez son tout récent BARBOUZE (2001).

Une autre transformation a été l’apparition des fines dentelures sur le bord des pièces florales. Cela confère de la légèreté à l’ensemble, c’est un col de plumes d’autruche sur une robe de soirée. FABULOUS FRILLS (Schreiner 75) ou LACED COTTON (Schreiner 80) sont des illustrations remarquables de ce développement, que l’on trouve aussi chez FRINGE BENEFITS (Hager 88) et, en Europe chez FLOUNCED BAJAZZO (Muska 98).

Une autre évolution a marqué la tenue horizontale des sépales. Ceux-ci ont pris de plus en plus d’ampleur à leur base, de sorte qu’ils ne plient plus sous leur propre poids et restent bien droits, comme dans les variétés françaises suivantes : ANTIGUA SOLEIL (Anfosso 90), AU PAIR (Ransom 95), BUISSON DE ROSES (Cayeux 97), ou celles de Hager : ANNA BELLE BABSON (85), KATHERINE KAY NELSON (93), ou de Keppel : FLAMENCO (77), THUNDERCLOUD (73) (position favorisée dans ces variétés par la légèreté de la fleur, qui est restée assez petite) ou encore de Blyth : AFFAIRE (93).

Il faut aussi parler d’une autre évolution, celle de la disposition des pétales. On a vu les pétales des iris botaniques, qui s’écrasaient un peu, surtout sous la pluie. Ce défaut a été corrigé en rigidifiant peu à peu les côtes qui les soutiennent et en recherchant d’autres situations où les pétales s’entraident à rester verticaux. Ainsi ont été sélectionnées des variétés dont les pétales s’enroulent comme des boutons de rose, plutôt que de se croiser en dôme. C’est le cas de BAYBERRY CANDLE (DeForest 69), de CALAMITÉ (Anfosso 82) ou de CAROLINE PENVENON (Nichol 89). Certains ont retenu des fleurs sont les pétales, franchement dressés, s’ouvrent un peu par le haut, souvent dans une abondance d’ondulations. Voyez BUBBLING OVER (Ghio 82) ou BUBBLE UP (Ghio 88), CARRIBEE (Hager 90) ou CERDAGNE (Segui 89).

Cependant la majorité des obtenteurs optent pour des fleurs de forme classique, mais amples et bien disposées, qui ne se démodent pas. C’est le choix traditionnel de l’équipe SCHREINER dont les iris superbes conservent une forme majestueuse et opulente : BREAKERS (86), CHAMPAGNE WALTZ (94 - FO 97), CELEBRATION SONG (93) en sont des exemples récents ; la même politique est suivie par la maison Cayeux (FRISON-ROCHE 94), MER DU SUD (97), ROUGE GORGE (2000).

Cela n’empêche pas certains de présenter des plantes aux caractéristiques florales très anormales – pas de pétales, pas de barbes – mais je ne sais pas si c’est un progrès, ou plutôt une volonté de se singulariser. Enfin disons un mot des appendices divers qui ornent maintenant un grand nombre de cultivars. Ces modifications génétiques ne font pas l’unanimité même si deux iris à éperons ont déjà été couronnés de la Dykes Medal : CONJURATION (Byers 89 – DM 98) et THORNBIRD (Byers 89 – DM 97), mais une variété comme MESMERIZER (Byers 91) devrait réconcilier tout le monde sur ce sujet, tant les appendices gracieux qu’une telle fleur comporte montrent la voie vers des iris « flore pleno », ou, plus simplement, à fleurs doubles.

On n’arrête pas le progrès, c’est banal de le dire, mais c’est vrai dans le domaine des iris comme dans tout autre, et les années avenir verront apparaître de variétés avec des nouveautés qui nous feront aimer encore plus nos fleurs préférées.


10.11.01

KILT LILT

L’iris de la semaine s’appelle KILT LILT. Il a été enregistré par Jim Gibson, de Porterville, Californie, en 1969 et a obtenu la Médaille de Dykes en 1976.

C’est le type parfait de ce que l’on appelle un « variegata-plicata ». Variegata parce qu’à base de jaune orangé, pour les pétales, et de brun, pour les sépales ; mais plicata parce que le brun des sépales est agrémenté d’une tache blanche sous les barbes largement piquetée de brun sombre, le bord des sépales étant d’un brun clair. Une flamme brun sombre part des barbes, oranges, et atteint le bord de la fleur.

Ce type de coloris est maintenant largement connu et des variétés célèbres l’arborent : Broadway (Keppel 81) et ses parents Caramba et Flamenco, Morocco (Keppel 80), lui-même fils de Kilt Lilt, Desert Echo (D. Meek 80), Bengal Tiger (Maryott 81), Dazzling Gold (Anderson 81), Chuckles (Ghio 87), Test Pattern (Ghio 90), Light Show (Keppel 91) et son descendant Sneezy (Keppel 96), ou le français Corbières (Segui 82), pour n’en citer que quelques uns. Mais le grand maître en la matière a été James Gibson qui s’en est fait une spécialité bien à lui. Parmi ses nombreuses réussites dans le genre, citons chronologiquement Spyglass Hill (82), Chickasaw Sue (83), Lemon and Spice (85), Thunder Echo (87), Yellow Brick Road (92), Living Legacy (93)… « The World of Irises », sous la plume de Melba Hamblen et Keith Keppel, raconte que Jim Gibson a décidé dès 1940 de consacrer ses efforts d’hybridation sur les plicata, et qu’en effectuant une visite chez Mitchell, il a recueilli du pollen d’un semis brun-rouge qui lui plaisait. De retour chez lui, il n’a trouvé qu’un seul iris plicata en mesure de recevoir ce pollen, il s’appelait Sacramento. C’est de ce mariage, effectué un peu à la sauvette, qu’est née la longue lignée de ses variegata-plicata.

L’arbre généalogique de KILT LILT ne peut être développé que d’un côté car on ne connaît rien de sa « mère ». En revanche, du côté du père, on dispose de renseignements précis. Il s’agit de Golden Filigree (Gibson 64), qui est déjà un variegata-plicata qui descend de deux autre iris du même type, Henna Stiches (Gibson 60) et Wild Ginger (Gibson 60).

Cette dernière variété descend de deux ancêtres illustres, le français Madame Louis Aureau (Cayeux 34), un plicata rose pourpré, et Tiffany (Sass), un autre plicata, largement utilisé par une foule d’obtenteur dans les années 40 et 50. Ces deux iris ont donné Gibson Girl, fameux plicata violet sur blanc, dont l’un des frères de semis, marié à Firecracker (qui a apporté la couleur brune), a donné un plicata brun, Taholah (Gibson 56), une autre variété-fétiche des hybrideurs des années 50. L’union avec Floradora Flounce, une variété qui contient par deux fois Taholah dans ses géniteurs a donné naissance à Wild Ginger, remarquable variegata-plicata dont on retrouve la trace dans la plupart des variétés modernes de cette catégorie.

KILT LILT, par la chaleur de ses couleurs et l’élégance de sa fleur, a bien mérité la récompense qu’il a reçue. Il reste aujourd’hui un élément de valeur dans tous les jardins d’iris.

7.11.01

PLICATAS POPULAIRES

(Traduction d’un article de Keith Keppel, paru dans le Bulletin Spécial de l’AIS, pour son 75eme anniversaire, mai 1995)

La première médaille de Dykes américaine est allée au plicata SAN FRANCISCO en 1927, mais il a fallu attendre quarante et un an pour qu’un autre plicata obtienne cet honneur. En revanche, le dernier quart de siècle a été un âge d’or pour le développement et l’intérêt porté aux « plics », avec trois nouveaux vainqueurs de la DM : KILT LILT (76), JESSE’S SONG (90) et EVERYTHING PLUS (91). Au cours des vingt-cinq dernières années, trente-quatre Awards of Merit ont été accordés à des grands iris plicatas.

Un progrès est basé sur un succès préalable, c’est là dessus qu’il faut tabler dans une discussion sur l’obtention actuelle de plicatas. Il y a trois plicatas des années 60 qui ont eu une influence profonde sur la recherche. ROCOCO (Schreiner 60) a apporté les ondulations dans une classe qui n’était pas en avance dans ce domaine. Cette modernisation a amené de nombreux hybrideurs qui évitaient traditionnellement cette classe, à se lancer dans des projets de plicatas. L’intérêt initial a été accru par l’aspect de STEPPING OUT (Schreiner 64), vainqueur de la DM en 68 et plante de jardin extraordinaire, qui a montré que les plicatas n’étaient pas limités à une appréciation limitée, mais pouvaient être de remarquables éléments de décoration. Une troisième variété importante a été APRIL MELODY (Gibson 67). Les plicatas antérieurs comportant le facteur orange étaient rares et généralement insignifiants. Avec l’arrivée et l’utilisation d’APRIL MELODY, un fort courant d’innovations dans le domaine des barbes oranges a commencé à se développer.

Un quatrième ancêtre des plicatas modernes doit être mentionné : PROGENITOR, avec son rejeton médaillé de Dykes, WHOLE CLOTH (Cook 58). PROGENITOR, humble iris intermédiaire ainsi nommé par Cook pour simplifier les discussions et les enregistrements, et son descendant à la quatrième génération WHOLE CLOTH ne sont pas des plicatas, et ne portent pas autant que l’on sache ce facteur génétique, mais ils doivent contenir le gène requis pour inhiber la pigmentation anthocyanique dans les pétales (mais pas, ou peu, dans les sépales). Puisque les pigments anthocyaniques sont le tissu dont sont faits les dessins plicatas, cela signifiait qu’il était possible d’obtenir des « bicolor-plicatas », iris avec pétales unis et sépales à dessins plicatas.

Des trente-quatre grands iris qui ont reçu l’AM depuis 70, seulement cinq ne proviennent pas de ROCOCO, STEPPING OUT ou APRIL MELODY : KILT LILT, SUMMER SUNSHINE, SHOWCASE, WILD JASMINE et LACED COTTON. Des 29 restants seul ODYSSEY n’est pas un descendant de ROCOCO ! Quatorze proviennent de APRIL MELODY, neuf de STEPPING OUT, et seize descendent de PROGENITOR.

Parmi ces 34 lauréats on trouve une bonne représentation de ce que contient maintenant la famille plicata. Il y a LACED COTTON, un plicata minimaliste si finement marqué qu’on a du mal à l’identifier comme plicata ; de vigoureux, brillants plicatas à fond blanc comme GOING MY WAY et TENNISON RIDGE ; des variétés fermement marquées comme MODERN CLASSIC et d’autres, finement dessinées, comme RARE TREAT, plus ceux comme GENTLE RAIN ou JESSE’S SONG avec un dégradé s’estompant à partir du liseré ; des néglecta-plicatas comme THEATRE et EVERYTHING PLUS, des amoena-plicatas comme SNOWBROOK. Des plicatas à fond jaune comme SUMMER SUNSHINE et SHOWCASE, des variegata-plicatas comme WILD JASMINE, CARAMBA et BROADWAY. Des variations avec le facteur mandarine, depuis ANON, légèrement marqué, jusqu’à RANCHO ROSE et MISTRESS, plus vifs, et QUEEN IN CALICO ou RASPBERRY FUDGE franchement colorés. Des combinaisons à base de mandarine comme ACOMA, CAPRICIOUS et GIGOLO…

Quel est l’avenir ? De récentes introductions, ou des variétés en attente d’être introduites, montrent une batterie toujours croissante de couleurs orangées, certaines avec un fond rose ou orange foncé, et des marquages toujours plus frappants comme chez ABSTRACT ART, POWER SURGE et EPICENTER. ROCK STAR ajoute des éperons à cette catégorie. DAREDEVIL présente des barbes mandarine en combinaison avec des dessins bleus. Les barbes mandarine elles-mêmes deviennent brique, brun, ocre, chocolat ou autre, ajoutant un nouvel intérêt. Au demeurant, des plicatas à fond blanc ou jaune, plus conventionnels, deviennent de plus en plus ondulés et frisés.

Les luminatas longtemps délaissés commencent à faire leur entrée dans le camp : FLIGHTS OF FANCY, SPIRIT WORLD et MIND READER sont trois innovations dans ce domaine.

Les « non-plicata plicatas » (oui, s'il y a de la bière sans alcool, pourquoi pas des plicatas sans dessins ?) font aussi leur retour. Ces blancs « de glace » et ces « citrons glacés » avec leurs marquages inhibés et donc invisibles apparaissent dans plusieurs autres couleurs et peuvent être rassemblés sous le terme nouveau de « glaciata ». Exhibant une clarté de coloris remarquable, BURNING LIGHT, GODDESS, CLASSMATE et ANSWERED PRAYERS sont quelques-uns de ces nouveaux iris « de glace ».

Il y avait huit plicatas dans la liste de 1970 du Symposium des grands iris ; leur nombre a cru jusqu’à quatorze sur cent dans la liste de 94. Nous pouvons parier que le nombre des plicatas populaires s’accroîtra encore dans les vingt-cinq prochaines années.

3.11.01

ALTRUIST

Il y a peu de temps, j’ai parlé du dernier vainqueur de la Dykes Medal, Yaquina Blue. Je faisais remarquer combien son pedigree était empli d’ancêtres glorieux. Aujourd’hui c’est un autre iris bleu, d’une lignée non moins prestigieuse, que je vais évoquer ; il s’agit de ALTRUIST (Schreiner 87). J’ai choisi cette variété un peu par hasard, parce que j’aime bien son bleu pâle marqué de blanc au cœur, et que je me suis aperçu, en établissant sa biographie qu’à l’instar de Yaquina Blue, elle est d’une lignée truffée de grands iris.

ALTRUIST a pour parents un semis de VICTORIA FALLS (Schreiner 77 – DM 84) et de TIDE’S IN (Schreiner 83), un iris abondamment utilisé par les hybrideurs. A partir de là, on entre dans un arbre généalogique impressionnant. Victoria Falls provient de White Pride (Branch 62) et de Violet Favor (O. Brown 71), un iris blanc et un iris violet. White Pride descend d’un bon iris blanc, Spanish Peaks, que l’on retrouve dans une autre branche de la famille d’Altruist ; Violet Favor est le fils de Silver Trail et de Queen’s Favor, dont on reparlera un peu plus loin.

Du côté de Tide’s In on trouve trois iris célèbres : Fashion Trend (Palmer 73), Blue Chiffon (Schreiner 66) et Sapphire Hills (Schreiner 71). Fashion Trend n’a que des ténors parmi ses ancêtres : au premier degré il y a Queen’s Favor (Palmer 63) et Winter Olympics (O. Brown 63 – DM 67), fils d’un autre DM, Eleanor’s Pride (DM 61). Queen’s Favor provient de First Violet (DeForest) – DM 56, et Violet Harmony (Lowry 48 – DM 57) le premier est un enfant du fameux Chivalry, et le second, du non moins fameux Snow Flurry !

Blue Chiffon (Schreiner 66) descend, lui aussi d’Eleanor’s Pride (Watkins 56 – DM 61) et d’un grand bleu, Salem (Schreiner 57). Quant à Sapphire Hills, une variété qui a eu un succès fou auprès des amateurs du monde entier, parce que considérée longtemps comme le meilleur bleu pur jamais obtenu, il descend d’une lignée de bleus : Galilee, Salem (encore), Parisian Blue (Schreiner 64), fils de Melissa et de Sylvan Stream (Schreiner 61) chez lequel on retrouve des célébrités comme Pierre Menard (frère foncé de Galilee), Blue Rhythm (Witting 45 – DM 50), Chivalry (Wills – DM 47) et Harbor Blue…

ALTRUIST, pour revenir à lui n’est pas seulement une variété remarquable, on ne peut pas ne pas aimer son ton pastel et le charme de sa fleur, typique de la « Schreiner’s touch », il a été également utilisé en hybridation pour obtenir des variétés à base de bleu ciel, comme Water Ballet (Ghio 93) ou Skywalker (Schreiner 96).

ALTRUIST est une variété de qualité, mais à se pencher sur ses origines, on se rend compte à quel point les cultivars modernes laissent apparaître leur consanguinité. C’est certainement la raison de la fragilité de plus en plus évidente des iris d’aujourd’hui.

PS : L’analyse d’Altruist marque le début d’un feuilleton hebdomadaire. Chaque semaine, désormais, une variété remarquable sera passée au crible. La semaine prochaine nous parlerons de KILT LILT, ce qui donnera l’occasion d’étudier les iris que l’on appelle « variegata-plicata ».